‘Hamlet’ aurait-il fait une pérégrination vers l’Est ?

Un indice troublant sur la paternité du ‘Hamlet’ de Shakespeare
 
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" Hamlet " est sans doute la pièce la plus célèbre de William Shakespeare. Elle est la source de phrases aussi célèbres qu’ :" Être ou ne pas être—telle est la question ", " Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark ", " La brièveté est l’âme de l’esprit ", " Sois loyal envers toi-même ", et la liste ne s’arrête pas là.


Le célèbre crâne qui apparaît souvent dans les caricatures de Shakespeare vient d’ "Hamlet ". J’ai également trouvé mes enfants en train de regarder une émission télévisée récente présentant des épisodes sur le thème d’ " Hamlet "–, et bien sûr, " Le Roi Lion " de Disney reprend quelques points de l’intrigue de la pièce. D’après le ‘British Council’ : " Depuis 1960, il existe des publications et des productions de ‘Hamlet’ en plus de 75 langues. "

Le Prince Hamlet tenant le crâne de Yorick, 19e siècle, par Ronald Gower. Stratford-upon-Avon. (Domaine public)


Pour le 400e anniversaire de la mort de Shakespeare, en 2016, des acteurs célèbres tels que Benedict Cumberbatch, Ian McKellen et Judi Dench, aussi bien que le Prince Charles, sont montés sur scène pour se chamailler avec humour sur la meilleure façon de faire entendre la phrase "Être ou ne pas être ".

Ainsi, dans le monde très prisé et analysé de Shakespeare, et dans le monde encore plus prisé et plus analysé de "Hamlet ", j’étais certain qu’il ne pouvait rien y avoir de neuf sous le soleil. C’est pourquoi, un jour, j’ai été assez choqué quand j’ai découvert quelque chose de très différent concernant " Hamlet " à laquelle je ne me serais jamais attendu.


"Pérégrination vers l’Ouest "

J’avais enseigné auparavant dans mon école la littérature classique, les oeuvres d’Homère, de Defoe, de Tolstoi et ainsi de suite, mais comme il y a parmi nos étudiants de nombreuses personnes d’origine chinoise, j’ai pensé m’aventurer ce semestre dans quelques classiques chinois. "Pérégrination vers l’Ouest" , de Wu Cheng’en, est considéré comme l’un des Quatre grands romans de la Chine et semblait être dès lors un choix naturel, de ce que j’en avais compris, il était plein d’aventures fantastiques ainsi que de thèmes spirituels profonds. Ce serait à la fois divertissant pour les élèves et riche en occasions de rédaction d’essais.


C’est difficile à imaginer, mais "Pérégrination vers l’Ouest" a eu indéniablement une influence plus grande sur la société chinoise que " Hamlet " sur l’Occident. Le roman a donné naissance à des séries télévisées, des dessins animés et une collection de bandes dessinées avec lesquels chaque enfant Chinois est familier. En 2015, la Chine a même baptisé son satellite Exploreur de Particules de Matière Noire ""Wukong " ’après l’un des personnages principaux de "Pérégrination vers l’Ouest ". Imaginez juste que le télescope Hubble ait été baptisé "Hamlet"—telle est l’influence de " Pérégrination vers l’Ouest ".


Le roman raconte l’histoire d’un groupe inhabituel de moines bouddhistes voyageant de la Chine à l’Est jusqu’en Inde à l’Ouest pour obtenir les écritures sacrées du Bouddha. Le groupe se compose du moine Sanzang, un personnage basé sur un vrai moine durant la dynastie des Tang (618–907) qui a fait le voyage, ainsi que de personnages entièrement fictifs : un homme-singe magique connu sous le nom de Roi Singe; un homme-porc stupide et glouton connu sous celui de Pigsy; et un personnage relativement mineur nommé Sandy.


Les quatre protagonistes de "Pérégrination vers l’Ouest ": (de gauche à droite) Sun Wukong, Tang Sanzang (sur le Cheval-Dragon blanc), Zhu Bajie et Sha Wujing. La peinture décore le Long Corridor du Palais d’Été à Pékin. (CC BY-SA 3.0)


J’ai été sous le charme quand je l’ai lu pour la première fois. C’était comme un conte de fée qui n'en finit jamais, d’épisode en épisode le groupe se heurte à des problèmes épouvantables et en trouve l’issue, habituellement grâce au Roi Singe ou à une intervention divine. C’est l’un de ces épisodes, que l’on retrouve dans les chapitres 37 à 40, qui m’a frappé par sa curieuse similitude avec " Hamlet ". Tout comme " Hamlet", l’épisode commence par une visite du fantôme d’un roi mort.


L’année suivante, j’ai décidé d’enseigner " Hamlet " pour la première fois et d’utiliser l’épisode de "Pérégrination vers l’Ouest " comme base pour une comparaison littéraire. En relisant les histoires et en les analysant avec ma classe, il m’est soudain apparu qu’il n’y avait pas simplement une connexion fortuite qu’un professeur d’anglais d’Université pourrait établir ; il y avait là véritablement quelque chose.


Des liens étranges

Les deux histoires débutent avec la visite du fantôme du défunt roi, mais ce n’est que le début. Les deux rois défunts ont un message spécifique à faire passer aux personnages principaux: essentiellement que le roi a été secrètement assassiné par son frère—dans " Hamlet ", un vrai frère, et dans "Pérégrination ", un " frère assermenté ".

Les deux histoires débutent avec la visite du fantôme du défunt roi. Une gravure de Hamlet, Horatio, Marcellus et le Fantôme tirée de " Hamlet ", Act 1, Scène 4, par Robert Thew d’après Henry Fuseli. The Metropolitan Museum of Art. (Domaine public)


Dans " Hamlet ", le frère a tué le roi alors qu’il était dans son jardin—dans " Pérégrination ", c’est techniquement un verger— et le frère devient alors le roi, épousant la reine. Dans " Pérégrination ", le frère assermenté est un sorcier qui se transforme lui-même en un sosie du roi, mais l’effet est le même : la reine est à présent la femme de l’assassin du roi.


Dans les deux histoires, le meutre laisse au début le prince, qui est l’héritier du trône, dans une totale obscurité concernant toute l’affaire. Une fois que le prince prend connaissance du message du fantôme, il se met en route pour réparer le préjudice. Le même arc narratif — se débarrasser à juste titre du mauvais roi—est présent tant dans "Hamlet " que dans " Pérégrination ".


La première chose à entreprendre pour le prince dans les deux histoires est de confronter la reine. Dans "Pérégrination ", l’échange dans le dialogue entre le prince et la reine semble tout droit sorti de " Hamlet "— pas mot pour mot mais certainement dans l’effet :


À quoi le Prince a répondu en s’agenouillant : " Mère, qui est celui qui occupe à présent le trône? "


" Le garçon est devenu fou !" s’est exclamée la Reine. " C’est ton père qui est le Roi. Pourquoi demandes-tu cela? "


Dans "Hamlet ", la reine accuse également le Prince Hamlet d’être fou, et Hamlet de manière similaire tente d’éveiller sa mère au caractère maléfique du frère meurtrier assis sur le trône.


" Hamlet " et " Pérégrination " se terminent l’un et l’autre avec un rebondissement qui place toute l’histoire précédente sous un nouveau jour. Dans " Hamlet ", juste au moment où Hamlet se meurt, le Prince de Norvège, Fortinbras, qui a été à l’arrière plan de toute la pièce (à tel point que son personnage est souvent complètement retiré des productions), arrive pour réclamer le trône et laisser ce qui semble être une fin heureuse pour le Danemark.


Dans "Pérégrination ", un dieu Bouddhiste, connu sous le nom de Bodhisattva Manjushri, surgit de nulle part et remet tout en place. Il s’avère que le roi qui avait été assassiné avait en fait été puni équitablement pour quelque chose de mal qu’il avait commis (juste comme le fantôme dans "Hamlet " qui dit qu’il doit être "condamné à jeûner dans les flammes, /jusqu’à ce que les crimes ignobles commis durant mes jours de vie / soient brûlés et purgés "), et qu’en fait le perfide " frère de sang " était en fait le lion céleste du Bodhisattva magiquement déguisé. Le roi dans "Pérégrination ", qui a été ramené à la vie, est réinstallé sur le trône et la tragédie est entièrement évitée, avec ce royaume, comme celui du Danemark, ayant également une fin heureuse.


Si ces similarités n’étaient pas des preuves suffisantes et franchement, assez troublantes, les deux œuvres ont une date de publication étrangement proche, considérant la nature géographiquement opposée et déconnectée de l’Angleterre du 16e siècle et de la Chine. "Hamlet" aurait été joué pour la première fois au Globe Theatre vers 1600, et la date de publication officielle de " Pérégrination " n’est que huit ans plus tôt en 1592.


Finalement, une autre similitude que je serai disposé à rejeter comme fortuite, mais qu’il semble négligent de totalement ignorer, est le nom du royaume dans " Pérégrination ", qui est ‘Wuji’ et peut être traduit littéralement par " chant du coq ". Il n’y a aucune explication à ce que le royaume porte un nom aussi idiot dans " Pérégrination ", mais dans " Hamlet " Act 1 Scène 1, plusieurs lignes mentionnent le chant d’un coq, lequel fait fuir le fantôme.


La nette impression que l’on a est que l’auteur de " Pérégrination ", Wu Cheng’en, ou quelqu’un d’autre, qui a transmis l’histoire à la Chine, a simplement tiré quelques mots du tout début de " Hamlet " pour être le nom du royaume.


Qu’est-ce que cela signifie?

Il y a une explication évidente que les histoires ont simplement été transmises d’une façon ou d’une autre. Un exemple courant d’un tel échange littéraire est le conte de fée de Cendrillon, lequel a en commun une version européenne et une version chinoise très similaire. Laquelle a été la première? Personne ne le sait assurément, et quasiment personne ne s’en préoccupe.


Cependant, dans ce cas, la situation est décidement différente puisque la somme d’érudition de Shakespeare est vaste et a construit une narration shakespearienne assez élaborée qui est une sorte de château de cartes fragile, avec une partie faible dépendant de nombreuses autres parties faibles. " Hamlet " dit-on a été écrit, au tout début, aux environs de 1599. Un petit remous sur 1599 et toute l’histoire de Shakespeare pourrait s’éffondrer.


Basé sur de nombreuses lectures et analyses, il semble probable qu’une certaine version de " Hamlet "—virtuellement la même que le " Hamlet" que nous avons aujourd’hui, étant donné les proches similarités avec " Pérégrination "—est en fait arrivée avant " Pérégrination vers l’Ouest ". Les entrelacements de l’intrigue dans " Hamlet " et le réalisme de l’œuvre ne donnent pas le sentiment de quelque chose ayant été artificiellement adaptée. Elle semble être en soi une oeuvre naturelle—bien qu’une, nous le savons déjà, qui repose sur des légendes occidentales d’un prince feignant la folie tout en complotant pour évincer le roi.


L’épisode de " Pérégrination ", en raison de sa nature féérique et de son intérêt accru pour les éléments thématiques et l’humour plutôt que pour l’intrigue et la cohérence des personnages, laisse le sentiment d’être rédigé à la hâte avec toute sorte de possibles survenant à chaque instant. Par exemple, les personnages se transforment pour ressembler à d’autres, et des êtres font des allers-retours au ciel. Ainsi, il semble plausible, voire probable, que l’intrigue de " Hamlet " ait été simplement adaptée à l’intérieur du cadre que suit " Pérégrination ".


Si "Hamlet " est venu en premier, cela signifie que le " Hamlet " que nous connaissons doit avoir été écrit un petit peu plus tôt, assurément avant 1582 année de la mort de Wu Cheng’en et probablement quelques cinq ou dix ans avant cela de manière à ce que l’histoire ait pu voyager jusqu’en Chine et avoir été incorporée dans "Pérégrination vers l’Ouest ". Cependant, même si nous donnons la date généreuse de 1578 comme la date à laquelle "Hamlet "aurait été écrit et mis en circulation, cela voudrait dire que Shakespeare, né en 1564, n’avait que 14 ans. Comment cela serait-il possible?

Les deux histoires ont des scènes très similaires dans laquelle le prince confronte sa mère, la reine. Une lithographie de Hamlet et la Reine, 1834, Par Eugène Delacroix. The Metropolitan Museum of Art. (Domaine Public)

La théorie de la paternité de Shakespeare

Ceci conduit à la théorie de longue date selon laquelle Shakespeare n’a en fait pas écrit les pièces de Shakespeare. Il y a une croyance largement partagée que William Shakespeare n’était qu’un simple acteur et que les pièces ont été écrites par quelqu’un d’autre de noble statut. Le théâtre était considéré en ce temps-là comme trop vulgaire pour qu’un noble associe son nom à une pièce y étant jouée, donc l’acteur William Shakespeare en a reçu le crédit.


Ceci peut paraître absurde aujourd’hui, mais "Hamlet " est en lui-même la preuve du code strict de ce qui était et n’était pas acceptable en ce temps-là pour la noblesse anglaise. Quand n’importe quelle royauté s’exprime dans "Hamlet ", c’est en pentamètre iambique. Ce n’est que quand Hamlet joue le fou ou est en interaction avec des roturiers, incluant des acteurs, qu’il change pour s’exprimer en prose normale.


Les œuvres de Shakespeare démontrent également que la personne qui les a écrites avait une éducation poussée en histoire, dans les langues et les pays étrangers qu’un noble serait susceptible d’avoir et que William Shakespeare, qui était un roturier, très vraissemblablement n’avait pas.


Le candidat le plus solide pour qui a écrit les œuvres de Shakespeare est le Comte d’Oxford, Edward de Vere, qui était connu comme un grand dramaturge mais qui n’avait aucune œuvre existant en son nom, et qui a eu des poèmes publiés sous son nom jusqu’à ce que des oeuvres commencent à apparaître sous le nom de William Shakespeare. Ses expériences de vie et ses voyages semblent refléter le contenu des pièces de Shakespeare, et il est notoirement enregistré dans l’histoire que quelqu’un lui a dit au sein de la cour royale : “Thy countenance shakes spears”— (en français " Votre expression secoue des lances ") —pouvant être une référence ironique au nom de " Shakespeare". En réalité, le cas est si solide en faveur de ‘de Vere’ qu’un film majeur de 2011, distribué par la Columbia Pictures, l’a présenté comme un fait. Le film s’intitulait " Anonymous ".

Edward de Vere, le 17e Comte d’Oxford, est le candidat alternatif le plus populaire pour être l’auteur présumé des œuvres de Shakespeare. Artiste inconnu après la perte de l’original, 1575. The National Portrait Gallery, London. (Domaine Public)


De Vere est né beaucoup plus tôt que Shakespeare, en 1550, et aurait eu 28 ans, au moment où j’ai émis l’hypothèse que " Hamlet " aurait pu raisonnablement avoir été écrit. Le personnage de Hamlet, qui est probablement jusqu’à un certain point autobiographique, avait 30 ans. Par conséquent, en Chine, nous trouvons un autre élément de preuve que ‘de Vere’ était le véritable dramaturge de Shakespeare.


La vraie sagesse

Mais ce n’est pas la querelle sur la paternité de Shakespeare que j’avais à l’esprit quand j’ai été stupéfait par les similitudes. C"était plutôt un moment sublime où j’ai réalisé que toutes les affaires humaines, aussi chaotiques soient-elles, fonctionnent en fait d'une manière claire et cohérente qui est difficile, et souvent impossible, à voir pour nous, simples humains.


D'étranges coïncidences qui défient le hasard se retrouvent tout au long de l'histoire. En science, c'est en fait relativement courant, comme lorsque Sir Isaac Newton et Gottfried Wilhelm Leibniz ont tous deux inventé le calcul indépendamment de part et d'autre de l'Europe à peu près au même moment. Le Russe Dmitri Mendeleev a inventé le Tableau Périodique des Eléments en même temps que, selon ThoughtCo, d'autres scientifiques en Allemagne et en France faisaient la même chose.


Encore plus inexplicable, il y a eu les décès simultanés du Président des Étas-Unis Thomas Jefferson et de John Adams, qui avaient des idéologies politiques opposées et qui vivaient très éloignés l’un de l’autre. Tous deux sont morts le 4 juillet 1826, exactement 50 ans après le 4 juillet 1776.


En regardant plus loin en arrière avec une perspective plus large sur l’histoire , nous voyons que Siddhartha Gautama (vers 566-486 av. J.-C., aussi connu sous le nom de Bouddha), Laozi (sixième siècle av, l'ancêtre du taoïsme), Confucius (551-479 av. J.-C.), Socrate (vers 470-399 av. J.-C.) et le prophète juif Daniel (vers 620-538 av. J.-C.) ont tous vécu il y a environ 2 500 ans et ont profondément marqué la spiritualité et la culture qui allaient exister jusqu'ici.


Le fait que cet épisode de "Pérégrination vers l’Ouest "et la pièce " Hamlet" sont si similaires et ont largement circulé à peu près à la même époque de part et d’autre de la civilisation nous indique qu’il existe une force—sublime, divine, céleste, appelez là comme vous voulez—qui ne peut être expliquée mais qui est indéniable. Cela fait paraître toutes nos affaires humaines bien superficielles en comparaison. Cela dépasse la littérature ; c’est la véritable sagesse.


Evan Mantyk est le Président de la ‘Society of Classical Poets’ et éditeur du livre " Prince Hamlet and the Monkey King ", d’où les citations de "Pérégrination vers l’Ouest " sont tirées.


Version anglaise :
https://www.theepochtimes.com/an-uncanny-clue-to-the-authorship-of-shakespeares-hamlet_3105192.html


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