L'histoire de la communication entre l'Orient et l'Occident

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En 1684, un homme est entré dans le palais de Louis XIV sans y être invité pour offrir au roi quelques objets simples qui ont changé le cours de l'histoire : il s’agissait de Shen Fuzong, un prêtre jésuite originaire de Chine et vivant en Europe. Il a donné à Louis XIV des traductions latines de trois textes confucéens classiques. Il a fait une démonstration de calligraphie et de peinture chinoises, a décrit la signification des caractères chinois et a demandé à Louis XIV d'envoyer des missionnaires en Chine. Inspiré par la calligraphie, l'art et la philosophie, le Roi Soleil a envoyé un navire en Chine avec cinq missionnaires. C'était le début d'un chapitre de l'histoire qui allait changer le cours des choses.


À l'arrivée du navire, les voyageurs ont rencontré un autre monarque suprême, l'empereur Kangxi. Comme Louis XIV, il avait été couronné roi alors qu'il n'était qu'un enfant et avait fait énormément de bien à ses sujets au cours d'un règne particulièrement long. Il a recueilli la poésie Tang, cultivé des variétés de riz innovantes et fait progresser les sciences naturelles. Il excellait dans les arts martiaux, le tir à l'arc, la musique et bien d'autres disciplines.


À gauche : le château de Versailles À droite : la Cité interdite


Ces visiteurs inattendus l'intriguaient tellement qu'il les fit asseoir sur des chaises à côté des siennes dans le palais impérial. Ces missionnaires lui enseignèrent la géométrie, l'astronomie et le solfège occidental. De plus, ils lui donnèrent des appareils scientifiques occidentaux et lui racontèrent des histoires de Louis XIV. Imaginez le plaisir intense de l'infatigable érudit qu'était l'empereur Kangxi d'avoir soudainement accès à un autre continent de connaissances. Une nouvelle ère de la culture chinoise était née.


L'empereur Kangxi fit construire des écoles semblables aux académies françaises, fit traduire des textes médicaux occidentaux en chinois et s'efforça de dresser une carte complète de la Chine avec leur aide. Enthousiaste à l'idée de poursuivre ces échanges, il renvoie un missionnaire européen en France avec des cadeaux pour Louis XIV. On ne peut qu'imaginer l'émoi suscité par l'arrivée de ce navire. Lorsque les couvercles des caisses contenant des textes chinois anciens, des œuvres d'art, des vêtements, des meubles, des inventions et d'autres trésors orientaux ont été retirés, l'Europe est entrée dans une nouvelle ère. Des trésors culturels comme la philosophie orientale, la porcelaine, le thé et la soie sont devenus une fascination et une source d'inspiration pour les Français pendant des siècles.

A gauche : Plaque de l'Etat présent de la Chine de Joachim Bouvet (1697). A droite : Confucius Sinarum Philosophus (« Vie et œuvres de Confucius »), par le père Philippe Couplet et le père Prospero Intorcetta, 1687.


Comme une image en miroir, pendant cet épanouissement de la culture chinoise en France, les Européens n'ont cessé d'éduquer les Chinois avec des outils et des techniques qui ont permis des avancées incroyables : représentation de la perspective dans les arts visuels, le travail du verre, les découvertes médicales, etc.


À l'âge de 40 ans, l'empereur Kangxi a eu la malaria et aucune médecine chinoise n'a pu le guérir. Deux missionnaires ont partagé leur quinine pour guérir sa maladie. Après sa guérison, il les a récompensés en leur offrant deux maisons dans la porte de Xi'An.


Bien qu'ils ne se soient jamais rencontrés, l'empereur et le roi ont tous deux influencé le style de leadership de l'autre et les deux sociétés ont bénéficié d'améliorations. Les Européens ont été touchés par la clémence avec laquelle l'empereur réévaluait les prisonniers dans le couloir de la mort. La tradition européenne des postes politiques transmis de génération en génération aux membres de la famille a été reconsidérée à la lumière du système chinois d'examens de la fonction publique.


Les instruments, les céramiques, les livres et les cartes nés à cette époque de découvertes transcontinentales figurent dans les expositions des musées du monde entier. Les conséquences immatérielles - nouveaux paradigmes de gouvernance, d'esthétique et de recherche scientifique - sont des trésors enfouis dans la manière dont nous concevons nos vies modernes.

A gauche : Porcelaine chinoise A droite : Instruments européens du 17ème siècle


Malgré les milliers de kilomètres qui les séparaient et les grandes différences entre leurs peuples, deux monarques de l'Europe et de la Chine du XVIIe siècle n’en ont pas moins supervisé un grand transfert de connaissances culturelles dont l'impact résonne encore aujourd'hui.


Ces hommes étaient l'empereur Kangxi de la grande dynastie Ming de Chine, et le roi Louis XIV, le puissant monarque de France. Les dernières avancées scientifiques voyageaient vers l'Empire du Milieu et l'éblouissaient, tandis que la philosophie profonde de l'Orient pénétrait l'esprit des penseurs du Vieux Continent.

Gauche : Portrait de l'empereur Kangxi en tenue informelle tenant un pinceau, période Kangxi (1662-1722), par des artistes anonymes de la cour. Rouleau suspendu, encre et couleur sur soie. (Image du domaine public). À droite : Le roi Louis XIV de France peint par Hyacinthe Rigaud 1701 (Wikimedia).


De l'ouest à l'est
Une image symbolique de l'époque illustre cet échange : Des missionnaires jésuites vêtus de robes d'officiels Qing, debout à côté d'une sphère armillaire à la cour de l'empereur chinois Kangxi. L'astronomie, les mathématiques, la physique et la chimie qu'ils apportaient ont fasciné le jeune empereur.


Dans sa jeunesse, Kangxi était particulièrement intéressé par les corps célestes. Ferdinand Verbiest, un jésuite flamand qui devint un ami proche de l'empereur, mentionne dans une lettre privée comment il faisait le tour des villes avec lui. « Sous le ciel nocturne limpide, l'empereur observait l'univers semi-circulaire et me demandait d'utiliser le chinois et ma langue pour lui indiquer les principales constellations.»


Verbiest a ajouté : « Je pense que cela montre qu'il s'intéressait aux sciences naturelles depuis longtemps. »


Kangxi a fait des missionnaires ses professeurs personnels, et sous leur tutelle attentive, il a acquis une riche connaissance de l'astronomie et des mathématiques. Il utilisa un quadrant pour calculer le méridien du soleil, et des anneaux astronomiques pour mesurer l'altitude des étoiles. Lors d'une visite dans le sud de la Chine, il utilisa un niveau à bulle pour mesurer l'eau et découvrit une erreur dans la façon dont ses ministres contrôlaient l'eau du lac Hongze.


Nombreux sont ceux en Chine qui s'étonnent qu'un empereur chinois ait acquis une telle connaissance des technologies occidentales, mais les intérêts de Kangxi allaient au-delà des sciences exactes : Il cherchait à comprendre le système monarchique occidental, et commença à organiser les informations sur ces terres étrangères et à les diffuser au public.

Illustrations de 1736 par Jean-Baptiste Du Halde représentant trois jésuites européens qui vivaient en Chine. (Wikimedia)


Il commanda la traduction dans la langue mandchoue d'ouvrages européens tels que La science des motifs, les Éléments d'Euclide et bien d'autres. Il demanda à son troisième prince, Yinzhi, de créer un musée des mathématiques où des Mandchous et des Chinois Han talentueux travailleraient côte à côte, s'engageant dans la recherche et l'observation des lois mathématiques et de l'univers. Dans les discours de la cour, Kangxi s'étendait sur les sciences naturelles d'Europe, enseignant aux jeunes princes, et même aux neuf ministres, l'astronomie, les systèmes de calendrier, l'arithmétique et la syntonie. Les étudiants les plus brillants étaient envoyés au bureau d'astronomie, ou bien envoyés pour inspecter le royaume et établir des cartes en utilisant les nouvelles techniques.


L'adhésion de Kangxi aux idées scientifiques occidentales a permis aux missionnaires occidentaux de la cour chinoise, enveloppés dans les robes impériales chinoises, d'accrocher le symbole de la croix chrétienne. Leur enseignement assidu de l'empereur (les leçons se déroulaient souvent tous les jours, jusque tard dans la nuit) a porté ses fruits lorsqu'en 1692, le catholicisme a été rendu légal. Compte tenu des conflits religieux en Europe, l'empereur de Chine a fait une concession magnanime, bien qu'elle n'ait pas été exempte de détracteurs.


Alors que les missionnaires sont venus en Orient avant tout pour convertir les masses orientales au Christ, lorsqu'ils sont arrivés dans cet ancien royaume, ils ont constaté que ses habitants avaient déjà leur propre connaissance et explication du monde. À côté de la géographie, de l'arithmétique et de son complément d'appareils occidentaux, la profondeur et le mystère des enseignements spirituels traditionnels chinois demeuraient. Il y avait le nombre d'or de Confucius et l'inconnaissable Tao de Lao Tseu. Ces enseignements ont laissé une profonde impression sur les missionnaires itinérants.


Et d'Est en Ouest
Les enseignements chinois sont également parvenus en Europe, parfois avec force. La première traduction latine des Analectes, les enseignements de Confucius, contenait ces mots dans l'introduction : « Sans révélation de Dieu, le pouvoir de rationalité et de raisonnement de l'esprit humain n'a jamais été aussi parfaitement exposé, n'a jamais eu un pouvoir aussi magnifique. » Les guerres de religion avaient déchiré l'Europe aux XVIe et XVIIe siècles, mais cette philosophie pacifique et humaniste venue d'un empire oriental fut accueillie avec beaucoup d'estime et d'admiration.


Gottfried Wilhelm Leibniz, Allemand et principal philosophe de l'école rationaliste, est devenu le géniteur de la pensée chinoise en Europe. Il écrivit un jour : "Vu les proportions démesurées auxquelles la corruption des mœurs est arrivée, je crois presque nécessaire qu'on nous envoie des missionnaires chinois pour enseigner le but et la pratique de la théologie naturelle, comme nous leur envoyons des missionnaires pour les instruire dans la théologie révélée."

Portrait de Gottfried Leibniz (1646-1716), philosophe allemand (Wikimedia).


Pour Leibniz, une meilleure compréhension de la philosophie chinoise serait bénéfique pour tous. Ainsi, de manière systématique, il a transmis à l'Europe une connaissance approfondie de la tradition confucéenne.


La pensée sublime des Chinois a également retenu l'attention de l'écrivain français Voltaire, qui a un jour déclaré que la philosophie morale de la Chine était « la science la plus importante. » Il a déclaré que la Chine était « la nation la plus sage et la plus civilisée de l'univers » et s'est un jour montré lyrique en déclarant que : « Si, comme philosophe, on veut s'instruire de ce qui s'est passé sur le globe, il faut d'abord tourner les yeux vers l'Orient, berceau de tous les arts, auquel l'Occident doit tout. »


Matteo Ricci, le missionnaire jésuite, a été le premier à commencer à percer les secrets de la culture morale chinoise et à entamer le long processus visant à la faire connaître aux Européens. Paris devient la capitale de l'étude de la chinoiserie, avec une abondance de documents traduits. En 1814, l'Académie des sciences de France a organisé un cours de conférences sur les études chinoises, et l'étude de la Chine est devenue pour la première fois une partie officielle du programme universitaire occidental.

A gauche : Le Père Matteo Ricci avec une célébrité chinoise convertie. (Cuivre du livre d'Anthanasius Kirchers : China illustrata, 1667) (Wikimedia). A droite : L'ancien observatoire de Pékin (Wikimedia).


Il ne fait aucun doute, avec le recul, que nombre de ces débutants ont mal compris ce qu'ils ont rencontré de la culture chinoise. Mais des hommes comme Leibniz étaient engagés dans une tentative sincère et approfondie de comprendre la tradition philosophique chinoise, avec son respect de la volonté du ciel et de la nature. Ils espéraient que cela pourrait conduire l'humanité vers une voie meilleure et plus parfaite.
Les vastes échanges entre ces cultures font presque penser à une époque miraculeuse ; jamais auparavant les grandes civilisations de l'Est et de l'Ouest n'avaient été aussi proches. Le destin a-t-il voulu que le grand empereur Kangxi et le roi Louis XIV, dans leur sagesse, donnent aux peuples des deux pays la brillante chance de s'améliorer et de se perfectionner par l'exploration profonde de leurs cultures respectives ? Nous laissons à nos lecteurs le soin d'en décider.


Version originale en anglais : https://magnifissance.com/arts/the-history-of-communication/

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