Depuis le début des temps, tous les peuples savent qu'il y a une bataille en cours, et ils en parlent de la seule manière possible, c'est-à-dire de manière mythologique. Ils savent que les forces du chaos menacent de renverser les forces de l'ordre et qu'il faut résister au chaos. En effet, c'est à partir de cette compréhension de l'ordre par rapport au chaos que nous comprenons ce qu'est la moralité ; car les forces de l'ordre sont bonnes, et les forces du chaos sont mauvaises et il faut y résister.
Il n'y a aucun doute à ce sujet. C'est très clair. Et donc, pour les philosophes contemporains (et ceux du passé aussi), prétendre le contraire est une forme de tromperie, qui est elle-même génératrice de chaos et donc de mal. Comme l'a dit Theodore Dalrymple, "je soupçonne que l'erreur intellectuelle est à la base de la plupart des maux".
Bien sûr, l'un des pouvoirs considérables du mal est sa capacité à imiter le bien ; l'un des mots anciens préférés pour cela est "hypocrisie", et de nos jours, il pourrait s'agir de " vertu affichée". Le fait est que, alors que les mythes établissent clairement la distinction entre l'ordre et le chaos, le bien et le mal, nous constatons dans notre vie quotidienne qu'il est parfois plus difficile de les distinguer. Cela dit, le relativisme (qui dit ce qui est bon et ce qui est mauvais ? Tout dépend de votre point de vue !) n’est simplement que confusion ou stupidité ou, dans les deux cas, du chaos au sens large.
Avant d'examiner un mythe spécifique et célèbre, nous devons cependant corriger l'idée que nous suggérons que tout désordre est mauvais. En fait, nous ne pouvons pas progresser sans certaines forces perturbatrices. Zeus était certainement le gardien de l'ordre et du cosmos, tout comme ses trois enfants les plus brillants : Athéna, Apollon et Hermès. Nous nous rappelons également que Dionysos était le fils de Zeus et qu'avec Dionysos, il y avait une foule d'autres êtres divins, Pan et Silène par exemple, qui se consacraient à la perturbation et aux rites orgiaques. Mais cette perturbation (et leur perturbation) était entièrement dans les règles du jeu cosmologique de Zeus.
Ce genre de perturbation est très différent de celles des Titans, des Géants et Typhon qui menaçaient de renverser l'univers lui-même et de tout ramener à un état de loi de la jungle et de cannibalisme, car Cronos mangeait ses propres enfants.
Ainsi, nous en arrivons à notre mythe pour aujourd'hui : l'histoire de Midas et du Toucher de Midas. C'est un mythe bien connu et charmant, presque inoffensif dans ses qualités de conte de fées. Mais comme Luc Ferry l'a souligné dans son livre "La sagesse des mythes", l'histoire de Midas est souvent considérée comme étant "sans grande importance ou signification". Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité.
La folie du roi Midas
Le roi Midas reconnaît le prisonnier amené devant lui comme étant Silène, le dieu plutôt laid et dissipé qui était le beau-père de Dionysos. Midas y voit une opportunité : Non seulement il le libère, mais il l'honore en festoyant et en buvant en son honneur pendant 10 jours et 10 nuits ! Lorsque Dionysos apprend cela, il est extrêmement reconnaissant et offre à Midas un cadeau incroyable, à savoir tout ce qu'il aimerait avoir. Cette offre illimitée est immédiatement abusée par Midas, qui révèle ainsi son orgueil. Sans hésiter, il répond : "Priez pour que tout ce que je touche soit transformé en or."
Tout ce qu'il touche devient en effet de l'or - tout. Le mythe, à ce stade, devrait peut-être nous rappeler le dernier mythe que j'ai couvert ici, celui de Méduse. Dans son cas, son regard transformait la matière vivante et organique en pierre, la pétrifiant littéralement. Maintenant, nous avons le toucher qui transforme tout en or.
"Le roi Midas transforme une branche de chêne en or ", environ 1625, par Nicolas Poussin. Don de Christophe Janet, Université de Yale. (Galerie d'art de l'Université de Yale) |
Dans le cas de Midas, son orgueilleuse folie tient à ce que sa demande est hors de proportion avec l'avantage apporté à Dionysos. C'est comme si (en y réfléchissant) on avait ramené l'enfant d'un autre de l'école, et que le parent reconnaissant ait dit : "Merci beaucoup, que puis-je faire pour vous ?" et que la personne lui avait répondu : "Achetez-moi une maison de campagne avec 14 chambres."
D'une certaine manière, en se montrant si généreux envers Silène, Midas avait voulu tromper Dionysos au moyen d’une générosité qu'il allait exploiter. Mais tromper un dieu est délicat, voire carrément dangereux.
Il y a donc de l'orgueil dans la demande elle-même, qui est hors de toute proportion avec les actions de Midas en premier lieu et qui encourt donc le blâme de violer la maxime d'Apollon du juste milieu, ou "pas trop". C’est également de nature essentiellement orgueilleuse, puisque comme Méduse qui transforme tout en pierre, nous avons maintenant un être qui peut transformer toutes choses en or.
Heureusement, peut-être parce que Midas voue une véritable dévotion à Dionysos (se sera bien pire plus tard lorsqu'il croisera le dieu Apollon et obtiendra des oreilles d'âne en guise de punition), et que Dionysos lui-même est un perturbateur, cet orgueil n'est que légèrement puni. Lorsque Midas découvre qu'il ne peut plus ni manger ni boire parce que tout ce qu'il touche se transforme en or, il supplie Dionysos de reprendre le « cadeau », ce que fait Dionysos. Midas doit aller se laver dans la rivière Pactole et est alors libéré de la malédiction.
Mais quel est le lien avec le monde moderne et l'Occident en particulier?
Que se passe-t-il lorsque nous distribuons de l'argent ?
Bill Bonner a observé : " Tentez une expérience chez vous. Dites à votre adolescent qu'il recevra plus de 4000 euros par mois pour le restant de sa vie ainsi qu'un approvisionnement en marijuana à vie. Voyez comment cela le stimulera. Vous pensez qu'il va étudier plus assidûment, travailler plus courageusement? " L'idée d'obtenir de l'argent pour rien et quelque chose pour rien, et des richesses sans réel effort de notre part, est actuellement endémique de nos schémas de pensée - bien que l'on puisse difficilement appeler cela pensée.
Selon le World Resources Institute, au 21 avril, la Réserve fédérale américaine achetait quotidiennement environ 41 milliards de dollars d'actifs. Ouah! C'est beaucoup d'argent. Selon le Sheffield Political Economy Research Institute, plus modestement, au Royaume-Uni, les taux ont déjà été réduits à un niveau historiquement bas de 0,1% par la Banque d'Angleterre, et 200 milliards de livres (plus de 220 milliards d'euros) d'assouplissement quantitatif ont été ajoutés.
Une question sensée pourrait être : D'où vient tout cet argent ? Et la réponse technique pourrait être : les Fédéraux, ou la Banque d'Angleterre, ou les gouvernements, etc. (Bien sûr, plus technique encore, la réponse pourrait être le public, par le biais de la fiscalité !)
La réponse non technique pourrait être : tout cela vient du Toucher de Midas! Nous créons simplement de l'argent par décret ! Pour être clair, personne n'a amélioré ses performances; il n'y a pas eu d'augmentation de la productivité. Au contraire, selon The Guardian, rien qu'au Royaume-Uni, 25% du PIB ont été perdus en deux mois, et il n'y a certainement pas eu de hausse de revenus ou de bénéfices de la plupart des entreprises (sauf dans quelques cas réputés et exceptionnels).
Il semble que nous soyons dans un monde où les banques et les gouvernements peuvent simplement activer la "touche Midas" à volonté et fabriquer de l'or. L'argent n'a pas été gagné de manière significative.
Les économistes, bien sûr, donnent des avis contradictoires sur cette situation. Certains disent que nous l'avons fait lors de la crise financière de 2008, que cela a sauvé la situation et que tout s'est bien passé à nouveau ; d'autres soutiennent que les circonstances en 2008 étaient fondamentalement différentes de celles d'aujourd'hui. Par exemple, en 2008, les banques étaient sous-capitalisées et pouvaient donc absorber tout l'argent gratuit, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, et cela va donc conduire à un niveau d'inflation épouvantable que nous n'avons pas connu depuis au moins les années 1970. Qui a raison ?
La solution n'est pas de se tourner vers les économistes, car que savent-ils réellement? Selon Reuters, Warren Buffett aurait commenté avec acidité : "Toute entreprise ayant un économiste a un employé de trop." Non, la réponse se trouve dans le mythe de Midas.
Espérer une chose sans rien donner en retour
Lorsque nous comprenons le mythe, nous voyons ce qu'il nous dit : S'attendre à quelque chose pour rien mène au désastre. C'est de l'orgueil contre les dieux grecs et la structure du cosmos ; des idées similaires se retrouvent dans diverses religions et mythologies à travers le monde, y compris le "Tao Te Ching" chinois. C'est ainsi que Midas, avec tout l'argent du monde, tout cet or potentiel, finit par mourir de faim ou de soif.
La création d'or par magie mène à la mort. Imaginez cela ! Nous tentons de sauver des vies du COVID-19, et pourtant nous créons - par notre intervention - une situation qui pourrait potentiellement détruire beaucoup plus de vies que nous n'en sauvons !
Et, bien-sûr ce que nous n'avons pas encore précisé, c'est que non seulement Midas est stupide et orgueilleux, mais que son vice le plus évident est son avarice: Il veut détenir de plus en plus aux dépens du bien commun. L'une des choses remarquablement mauvaise à propos du confinement suite au COVID-19 n'est pas seulement le fait que les riches sont devenus beaucoup plus riches, mais que les gens ordinaires ont amassé du papier toilette, du savon et d'autres types de produits d'hygiène - leur or, pour ainsi dire. Encore une fois, comme l' affirmé Bill Bonner , "une crise énorme-- causée par le faux argent et la fausse pensée--arrive."
Mais Midas ne meurt pas. Dans ce cas, le dieu le laisse partir. Mais comme Jésus qui dit à l'aveugle d'aller se laver dans la piscine (Jean 9:7), Midas, qui est aussi en quelque sorte aveugle, doit lui aussi se laver. Il doit subir une sorte de baptême, une mort à l'ancienne vie, une guérison et une nouvelle naissance. Pouvons-nous faire cela ?
Pouvons-nous nous détourner de l'avarice, de l'argent gratuit, et adopter un nouveau mode de vie ? Midas l'a fait. Mais malheureusement, il est retourné à ses anciennes habitudes. Cela ne s'est pas bien terminé pour lui, pas bien du tout.
James Sale est un homme d'affaires anglais dont la société, Motivational Maps Ltd, est présente dans 14 pays. Il est l'auteur de plus de 40 livres sur la gestion et l'éducation, publiés par de grands éditeurs internationaux, dont Macmillan, Pearson et Routledge. En tant que poète, il a remporté le premier prix du concours 2017 de la Society of Classical Poets et est intervenu en juin 2019 lors du premier symposium du groupe qui s'est tenu au Princeton Club de New York.
Version anglaise disponible à:
https://www.theepochtimes.com/the-midas-touch-and-we-in-the-west_3399126.html
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