Le monde invisible que nous ignorons à nos risques et périls

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Dans notre monde de plus en plus centré sur la matière, un monde où l'image prime sur le contenu, il convient de garder à l'esprit que les aspects invisibles de la vie, les mondes qui se trouvent au-delà de ce que nous voyons à l'œil nu, sont parfois bien plus importants.


Il y a une histoire merveilleuse tirée du Livre des Hébreux (11:27) où il est dit de Moïse dans un éclair de lucidité inspirée : "C’est par la foi qu’il quitta l’Égypte, sans être effrayé de la colère du roi; car il se montra ferme, comme voyant celui qui est invisible.".


Il a enduré toutes sortes d'épreuves parce qu'il pouvait voir "Celui qui est invisible". Il a vu ce qui était invisible et insaisissable. Quelle figure de style avons-nous là - un oxymore, ou un paradoxe. Pourtant, nous savons ce que cela signifie, car dans notre imagination nous pouvons voir l'invisible, et cette vision de l'invisible est corrélée à la foi : Au-delà des évidences de nos sens, nous connaissons une vérité plus profonde, et cette vérité nous donne un pouvoir irrépressible si, comme Moïse, nous l'embrassons et y croyons.


Ce que cette histoire montre et témoigne de manière si vivante, à mon avis, c'est la réalité du monde que nous ne pouvons pas voir mais qui est tout autour, et dont tous les mythes et écritures anciennes témoignent d'une manière ou d'une autre. En d'autres termes, le monde invisible que nous pourrions appeler Esprit ; et ce monde spirituel, comme le démontre Moïse, est bien plus puissant que le monde matériel que nous percevons réellement et directement.


Moïse pouvait voir l'invisible. "Moïse" de Michel-Ange dans l'église de San Pietro in Vincoli à Rome. (Les cornes sur la tête de Moïse sont attribuées à la traduction latine de la Bible au moment de la création de la statue). (Jorg Bittner Unna CC BY 3.0)


Un maître spirituel moderne, Teilhard de Chardin, l'a exprimé ainsi : "La matière est l'esprit qui se déplace assez lentement pour être vu." Assez lentement ? Pourquoi ? Parce que l'Esprit est beaucoup, beaucoup plus rapide ! Si rapide, en fait, qu'il est invisible. C'est le mouvement atomique ; il est si rapide et si petit que nous ne pouvons le voir, mais il est le fondement de la réalité.


72 000 guerriers angéliques opérationnels !

Nous avons dans la tradition chrétienne, une situation importante et comparable : Dans le jardin de Gethsémani, nous apprenons (Matthieu 26:53) qu'après avoir ordonné à ses disciples de remettre leurs épées dans leurs fourreaux, Jésus a dit : " Vous croyez que je ne pourrais pas appeler mon Père ? Il m’enverrait tout de suite plus de douze légions d’anges.? » Une légion équivaut à 6 000 hommes, il s'agit donc ici de convoquer quelque 72 000 guerriers angéliques ! Il n'est pas seul dans ce jardin désolé, tous ces êtres saints sont instantanément disponibles et l’entourent.


Jésus n'avait pas besoin de ses disciples pour le défendre, il avait une armée d'anges à sa disposition.


"Prise du Christ avec l'épisode de Malchus", vers 1620, par Gérard Douffet. Musée des Beaux-Arts de Boston. (Domaine public)


L'importance de l'invisible dans nos vies ne saurait être surestimée, en particulier dans une culture comme la nôtre, qui est devenue si matérialiste et anti-spirituelle.


Pour le souligner, nous devons être clairs sur le fait que ce qui est vraiment important pour nous dans nos vies est vraiment invisible : Lorsque nous parlons d'"amour" ou de "justice" ou de "liberté" ou de "démocratie", ou encore de toute autre valeur ou abstraction pour laquelle nous sommes prêts à mourir, nous parlons de l'invisible.


Voir l'amour ?

Nous ne voyons pas l'amour dans son essence. Mais quand quelqu'un aime quelqu'un d'autre, la matière de son corps se déplace assez lentement pour que nous puissions voir un comportement amoureux peut-être, dont nous disons : "Ah, c'est l'amour". Ou peut-être plus précisément, "C'est un comportement aimant".


Mais l'essence de l'amour reste toujours invisible pour nous. Et je dis cela parce que, bien sûr, ces valeurs invisibles dictent nos comportements, nos actions, dans le monde visible de la matière - qu'il s'agisse de valeurs positives, invisibles comme l'amour ou la liberté, ou négatives comme la haine ou l'indifférence.


Carl Jung, le fondateur de la psychologie analytique, a posé la question fondamentale : "La question décisive pour l'homme est la suivante : est-il lié à quelque chose d'infini ou non ?" Moïse et le Christ, en tant que deux prophètes, nous assurent que nous le sommes. Le Christ l'établit d'une manière particulièrement dramatique, se moquant - en fait - de l'aveuglement de ses propres apôtres qui se fient davantage à leurs propres épées qu'à la puissance illimitée du Christ. Nous nous souvenons de la phrase la plus souvent citée : "Et il leur dit : C'est à cause de votre incrédulité ; car je vous dis en vérité que si vous aviez de la foi, aussi gros qu'un grain de moutarde, vous diriez à cette montagne : Transporte-toi d'ici là, et elle s'y transporterait, et rien ne vous serait impossible.". (Matthieu 17:20)


Les Saints Êtres de Krishna

Il existe une histoire parallèle dans les mythes indiens qui mérite qu'on s'y attarde un bref instant, car elle nous aide à voir les contes chrétiens et juifs sous un jour nouveau. Dans le fascinant livre de Donald A. Mackenzie "Indian Myth and Legend", il y a une scène merveilleuse et très expressive où le dieu Krishna sous forme mortelle, et seul, conseille au faible et vieux maharadjah de discipliner et de retenir son fils ambitieux et maléfique, Duryodhana, avant qu'il ne soit trop tard.


Duryodhana projette - contre tous les bons conseils - de dépouiller ses cousins, les Pandavas, de leur héritage légitime au royaume. Alors que Krishna donne ses conseils, Duryodhana est enragé, attendant dehors avec trois complices, complotant pour emprisonner Krishna et le faire prisonnier ; ce faisant, ils raisonnent, affaiblissant les Pandavas.


Mais Krishna connaît leurs pensées et leur complot, et prononce ces mots inspirés devant le père de Duryodhana lorsque Duryodhana est rappelé dans la pièce : "Ah ! toi qui es peu compréhensif, est-ce ton désir de me prendre en captivité ? Sache maintenant que je ne suis pas seul ici, car tous les dieux et les êtres saints m’accompagnent".


Puis, de façon dramatique, dans une transfiguration divine, il révèle sa vraie nature et devient une langue de feu, le feu sortant de sa bouche, de ses yeux et de ses oreilles ; des étincelles se détachent de sa peau, qui est aussi radieuse que le soleil, et autour de lui apparaissent des dieux et des êtres divins.


Jésus a été transfiguré dans une lumière aveuglante ; un mythe hindou raconte une transfiguration similaire. "Transfiguration de Jésus" par Carl Bloch. (PD-US)


Comme les Pharisiens et les Romains, Duryodhana ne peut pas voir tous les êtres saints, il ne peut pas reconnaître la puissance invisible du prophète qui se tient devant lui, et il poursuit donc aveuglément son chemin ignorant, s'accrochant au pouvoir et au succès, et trahissant même sa propre famille car il les perçoit comme entravant son chemin. En fin de compte, ce processus conduit à une autodestruction totale. Nous voyons la même chose avec ces persécuteurs dans les histoires chrétiennes : Hérode, Pilate et Judas sont tous détruits par leur cécité.


Nous pourrions voir une autre extension de cette analogie - et peut-être un renversement de celle-ci - dans le récit de Saint Paul, l'agent chargé de traquer les apôtres. Paul est physiquement aveuglé par Dieu, mais il finit par voir la vérité du Christ malgré l’absence de sa vue matérielle. Sa vision lui est donc rendue, et bien plus encore : Il acquiert un nouveau but en tant que nouvel apôtre, le 13ème. Paul était un homme de gouvernement, un homme sans aucune dimension spirituelle dans sa vie, un matérialiste qui faisait de mauvaises choses pour son salaire. Mais en étant aveuglé et donc forcé d'examiner le monde immatériel, ou peut-être le monde intérieur, il devient spirituellement éclairé et est capable d'entendre le message de Dieu. L'importance de faire confiance à l'invisible pour trouver notre chemin dans la vie ne pourrait être plus claire.


Paul au moment où il est aveuglé par Dieu. "Conversion sur le chemin de Damas", 1601, par Caravage. Huile sur toile. Sainte Marie du peuple, Rome. (Domaine public)


Là encore, il y a une parité avec les légendes indiennes. Krishna dénonce ces "personnes de nature démoniaque ... dépourvues de pureté, de bonne conduite et de vérité" et qui prétendent que "l'univers est vide de vérité, de principes directeurs et de dirigeant". Ces personnes, selon Krishna, sont celles "nées pour la destruction de l'univers".


C'est une chose assez dure, et l'humanisme libéral la déteste et veut toujours l'édulcorer. Mais les écritures nous avertissent que le fait de nier le monde spirituel et de le revendiquer a de très graves conséquences.


Il y a un lien très direct, semble-t-il, entre le déni des réalités spirituelles et le fait d'être, faute de mieux, mauvais. Le mal, en tant que concept, est très désagréable pour la pensée moderne, tout comme l'idée qu'il peut résulter d'un manque de croyance spirituelle. Les médias modernes tentent souvent de présenter les personnes à tendance spirituelle comme les méchants : fanatiques, extrémistes, terroristes. Comme l'a observé le psychanalyste James Hollis : "Le principal projet du modernisme, ce mouvement de littérature, d'art, de musique, de psychologie, de philosophie et de sensibilité troublée au cours des deux derniers siècles, a été de constater l'érosion de l'autorité de ces institutions [de l'église, du gouvernement et de la famille] et de démanteler leurs prétentions à gouverner l'âme moderne."


Les Lumières du XVIIIe siècle ont intronisé la raison (et par conséquent la science, sa fille chérie) comme l'autorité suprême et l'arbitre de nos vies, et ce malgré le fait qu'après 200 ans à nous prosterner devant elle, nous constatons qu'elle ne fournit aucune base sur laquelle vivre la "bonne" vie. En effet, son échec à fournir une base morale ou éthique convaincante pour vivre réellement une vie épanouie est palpable. Comme l'a fait remarquer l'écrivain anglais Peter Stanford, "Nous imaginons que nous sommes tellement plus intelligents que les âges passés, que leur sagesse peut être surpassée par la nôtre, passée par le filtre de la science, de la logique et de la raison. Les résultats sont trompeurs et décourageants".


Le mystère sans nom

La véritable relation entre la raison et l'esprit est ce que Thomas d'Aquin connaissait depuis longtemps au XIIIe siècle : "La raison nous conduit là où commence un mystère sans nom." Quelle merveilleuse expression : " le mystère sans nom". Ce qui pointe là où nous prenons conscience de l'invisible, des dieux et des êtres saints qui nous entourent, des miracles, du cosmos qui travaille de manière presque inexprimable pour le bien.


Saint Thomas d'Aquin, vers 1410-1412, par Gentile da Fabriano. Du polyptyque de Valle Romita. Pinacothèque de Brera à Milan. (Domaine public)


Et c'est une des raisons pour lesquelles nous devons croire au monde spirituel, parce que, pour revenir à Jung, "quand les gens sentent qu'ils vivent la vie symbolique, qu'ils sont acteurs du drame divin, qui donne le seul sens à la vie humaine ; tout le reste est banal et vous pouvez l'écarter. Une carrière, la production d'enfants, tout cela est maya [illusion] comparé à cette seule chose, que votre vie a un sens".


Sans ce sens, nos vies sont vides et nous sommes la proie de toutes les formes de narcissisme, d'addiction, de pathologies émotionnelles et physiques - des pathologies qui ont une origine spirituelle.


Enfin, de nouveau James Hollis : "Le symbole et la métaphore sont nos plus grands dons, car ils rendent possibles la culture et la spiritualité. L'animal vit le mystère ; l'homme le vit comme un mystère". Nier le mystère, nier les saints, c'est nous dégrader ; nous devenons comme les animaux qui vivent et meurent simplement. Notre véritable destin est tout le contraire : devenir un jour un avec les êtres saints qui entourent la divinité et participer enfin à la bonté du cosmos tout entier.


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James Sale est un homme d'affaires anglais dont la société, Motivational Maps Ltd, est présente dans 14 pays. Il est l'auteur de plus de 40 livres sur la gestion et l'éducation, publiés par de grands éditeurs internationaux, dont Macmillan, Pearson et Routledge. En tant que poète, il a remporté le premier prix du concours 2017 de la Society of Classical Poets et a pris la parole en juin 2019 lors du premier symposium du groupe qui s'est tenu au Princeton Club de New York.


Version originale

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