Un détail de "Âmes Slaves" ("Crime et Châtiment"), 1900, par Nicolae Vermont. Collection privée. (Domaine public) |
Si nous avons le choix, la plupart d'entre nous sommes plus enclins à lire la fiction contemporaine que les classiques. Si nous avons de la chance, nos professeurs de lycée et d’université nous obligent à aborder des œuvres telles que "Hamlet", "Jane Eyre", et "Les Grandes Attentes", mais lorsque nous quittons nos bureaux et nos examens, nous préférons John Grisham à Leo Tolstoï et Danielle Steel à Jane Austen.
C'est malheureux.
Il est vrai que les classiques, les "vieux livres" comme les appelait C.S. Lewis, exigent plus des lecteurs que la plupart des romans actuels. Le poids des sept volumes de "À la recherche du temps perdu" de Marcel Proust ou les subtilités du système de classe anglais dans "Middlemarch" de George Eliot peuvent nous intimider ou nous décourager.
Et pourtant, les gratifications que ces livres et leurs auteurs procurent- leur talent artistique, leurs caractères multidimensionnels, leur compréhension de la nature humaine - font que l'effort en vaut la peine. Ils nous permettent d'explorer les profondeurs d'une âme, comme dans ""Anna Karénine"" de Tolstoï, d’acquérir plus de sagesse concernant l'amour et l'amitié dans des romans comme "Jane Eyre" de Charlotte Bronte, et de rejoindre nos ancêtres dans l’allégresse que procurent Sancho Panza ou Huckleberry Finn.
Il arrive; plus rarement peut-être, qu’un classique puisse servir de miroir à la culture moderne - un miroir qui révèle les faiblesses et les dangers de notre époque – et cela nous ramène à "Crime et châtiment" de Fiodor Dostoïevski (dans la traduction de Jessie Coulson).
Portrait de Fiodor Dostoïevski, 1872, par Vasili Perov. Gallerie Tretyakov. (Domaine Public) |
À travers un verre sombre
Bien que "Crime et Châtiment" contienne une multitude de personnages, Dostoïevski concentre une grande partie de notre attention sur Rodion Raskolnikov, un intellectuel vivant dans la misère en Russie tsariste, qui tue un prêteur sur gages et sa sœur avec une hache. Ces meurtres surviennent tôt dans l'histoire, et Raskolnikov passe le reste du livre à s'interroger frénétiquement, à remettre en question ses motifs et à essayer de justifier ses actions. D'autres se laissent entraîner dans sa paranoïa et son sentiment croissant de culpabilité : parents, amis, enquêteurs de police, sa propriétaire, divers habitants de Saint-Pétersbourg et Sonya Marmeladov, une jeune femme de grande foi forcée de se prostituer pour soutenir sa famille pauvre.
Alors, où dans "Crime et Châtiment" trouvons-nous des reflets de notre époque actuelle ?
Commençons par Andrey Semenovich, "un employé d'un quelconque ministère", un homme respecté par sa propriétaire parce qu'"il n'était pas un gros buveur et payait son loyer à temps". Dostoïevski ajoute ensuite cette description :
Il était l’un de cette légion innombrable et diverse d’indéfinissables avortons putrescents et d’idiots obstinés et mal informés qui s'attachent instantanément et infailliblement à l'idée actuelle la plus à la mode, avec pour effet immédiat de la vulgariser et de transformer en ridicule caricature toute cause qu’ils servent, aussi sincères soient-ils.
Semenovich pourrait facilement s'intégrer dans cette foule de jeunes gens indignés qui protestent contre le changement climatique, exigent la révocation d'un professeur ou huent un conférencier d' université, certains de la justice de leur cause mais ignorant totalement ses fondations.
Dans ces pages, certaines personnes se moquent de la moralité traditionnelle tout comme les gens d'aujourd'hui. Andrey Semenovich, par exemple, à un moment place l'utilitarisme au-dessus de toutes les autres vertus : "Que signifie être honorable? Je ne comprends pas de telles expressions comme celles utilisées pour définir les activités humaines. 'Plus honorable', 'plus noble'—ce ne sont que déchets, absurdités, préjudices dépassés que je rejette. Tout ce qui est utile à l'humanité est honorable. Je ne comprends qu'un seul mot, utile!"
"Crime et Châtiment" offre aussi un aperçu de la "Génération moi moi moi" bien avant l'avènement des selfies. Peter Petrovich Luzhin, un homme vil qui est fiancé pendant un certain temps à la sœur de Raskolnikov, dit à ses auditeurs dès le début de l'histoire " aimez-vous d'abord vous-mêmes, car tout dans le monde est basé sur l'intérêt personnel. Si tu n'aimes que toi-même, tu géreras bien tes affaires ..."
Guerres sur la place public, autrefois et maintenant
Et puis, il y a aussi les élites et les "déplorables". Comme certains de nos politiciens, penseurs et milliardaires de la Silicon Valley, Raskolnikov, un admirateur de Napoléon et d'autres qui imposent leur volonté au monde, divise l'humanité en ceux qui " sont, généralement parlant, par nature, statiques et conservateurs, ils vivent dans l'obéissance à leur destin, et il n'y a rien de dégradant pour eux " et un second groupe qui " demande, dans des contextes largement différents, la destruction de ce qui existe au nom de meilleures choses ".
Si nous réfléchissons à ces derniers mots - " la destruction de ce qui existe au nom de meilleures choses " - nous avons une devise qui convient à de nombreux penseurs, célébrités, politiciens et journalistes d'aujourd'hui. Comme Raskolnikov, qui parle à un moment donné d'élever une "Nouvelle Jérusalem", nos propres "meilleurs anges" imaginent un escalier construit à partir de changements radicaux qui mèneront à un paradis terrestre. La vérité derrière les paroles de Pascal leur fait défaut : " L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête."
À l'instar de certains des meurtriers des fusillades de masse d'aujourd'hui ou des terroristes qui font exploser des bombes sur un marché, Raskolnikov se considère lui-même comme un rebelle, un étranger exempt de frontières morales. Comme eux, il se sent supérieur à ses victimes et les considère avec mépris. Il tue le prêteur sur gages non pas tant pour son argent que pour un principe - il est inutile, un parasite, un "pou", et il peut utiliser son argent pour de meilleures causes.
Enfin, dans "Crime et Châtiment", nous trouvons la lutte entre les forces de la religion et la laïcité, une guerre qui continue à ravager notre culture. D'un côté se tient Sonya, la sainte de l'histoire, la femme au puits à qui Jésus ordonnait de ne plus pécher, l'âme pieuse qui libère enfin Raskolnikov de sa sombre idéologie et met en marche la guérison qui le rendra plus pleinement humain. De l'autre côté, il y a Raskolnikov et certaines de ses connaissances, incrédules et moqueurs qui débattent toujours de projets visant à transformer la société en paradis et les hommes et les femmes en esprits libérés des contraintes de la loi naturelle.
Ça vous dit quelque chose, non ?
Ecouterons—nous ?
Dostoïevski était plus qu'un simple écrivain de fiction. C'était un prophète. Il craignait que la "Sainte Russie" ne succombe aux virus philosophiques introduits d'Occident, en particulier d'Angleterre, de France et d'Allemagne.
En 1917, ce bacille est arrivé en la personne de Vladimir Lénine, expédié secrètement en Russie par les Allemands. Pendant les 70 années qui ont suivi, le marxisme a attaqué le peuple russe, tuant et emprisonnant des millions de personnes, supprimant la religion et attaquant la morale traditionnelle, tout en exportant ses doctrines maléfiques dans le monde entier.
Comme une grande partie de son œuvre - "Les possédés", "Les Frères Karamazov", "Notes d’un souterrain " - "Crime et Châtiment" de Dostoïevski a lancé un avertissement à la Russie, un signal qui est resté sans réponse.
Il nous offre le même avertissement.
Sommes-nous suffisamment "éveillés" pour y prêter attention ? Là est la question !
Jeff Minick a quatre enfants et un nombre croissant de petits-enfants. Pendant 20 ans, il a enseigné l'histoire, la littérature et le latin à des étudiants d'Asheville, N.C., aujourd'hui, il vit et écrit à Front Royal, Va. Voir JeffMinick.com pour suivre son blog..
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