À la recherche du vrai soi, 9e partie : Naviguer en dépassant la fierté

Une gravure de Gérard de Lairesse dans laquelle Hermès apparaît et demande à la déesse Calypso de laisser partir Ulysse. (Domaine public).

Nous avons laissé Ulysse au type Trois de l' Ennéagramme presque totalement détruit. Il ne restait plus rien de son navire et de son équipage, et lui-même était accroché à la vie par un fil sur un radeau de fortune, récupéré de l’épave de son bateau, s'éloignant du tourbillon, Charybde, et perdu en haute mer. Il s'est trompé lui-même sur ses propres capacités et en cours de route, il a trompé ses hommes, tel est le résultat d’un tel aveuglement.

Maintenant, Ulysse dérive depuis neuf jours jusqu'à ce qu’il s’échoue sur l'île d'Ogygie

Jusque-là, les périls ont signifié rencontrer les sept péchés capitaux de l'âme: la paresse (type Neuf), la luxure (type Huit), la gourmandise (type Sept), la peur (type Six), l'avarice (type Cinq), l'envie (type Quatre), et la tromperie (type Trois).

Nous en arrivons donc aux deux derniers types de personnalité et, dans " L’Odyssée", nous apprenons dans le livre I qu’Ulysse a été coincé sur l’île Ogygie de Calypso pendant sept ans ! En bref, de tous les dangers, c’est le retard le plus important au cours de son voyage à destination d' Ithaque, suggérant que l’épisode de Calypso représente le plus sérieux des péchés, mais comment cela ?

Le péché le plus mortel de tous

Rappelons nous, l’image de soi des types Deux c’est " J’aide ", et leur désir fondamental est de ressentir de l’amour et d’être une personne aimante ; mais leur péché mortel, là encore souvent caché même à eux-mêmes, est l’orgueil.

Ce couplage amour-fierté est surprenant, mais il survient du fait que, dans leur désir d’aider les autres, les Deux développent souvent un sentiment de supériorité sur ceux qu’ils aident : Mais si ce n’était mon aide, vous seriez dans un tel pétrin.

En outre, tout en souhaitant aider les autres, ils peuvent nier avoir eux-mêmes besoin d’aide. Ce déni peut de façon délétère, créer alors exactement l'effet inverse de l'amour que le type Deux recherche.

Mais pour en revenir à la question, "Mais comment cela se fait-il ? " - En quoi la fierté est-elle le péché le plus mortel ? Nous devons examiner un certain nombre de facteurs. Premièrement, cette fierté, peut-être l'équivalent de l'hybris pour les Grecs, cela a toujours été considéré comme le pire de tous les péchés. Lucifer est tombé du ciel à cause de son orgueil.

Deuxièmement, cette idée est renforcée par l'examen des étymologies d'Ogygie et de Calypso. "Ogygie" signifie quelque chose comme "primitif " ou " primal" ou " au tout début de l’aube". Ulysse, par conséquent, atterrit, en quelque sorte, sur la racine et le péché le plus primaire que les humains pratiquent (largement !).

Il n’est donc pas étonnant que cela lui prenne environ sept ans pour échapper à ce péril. Et notez le nombre magique de sept, le nombre de la perfection, de l’achèvement - Dieu s'est reposé le septième jour et a sanctifié son repos – ce n'est donc que dans la septième année qu'Ulysse peut se reposer des effets de ce péché mortel.

Troisièmement, le mot " Calypso " ou " Kalypto" signifie, selon Michael J. Goldberg, cacher. Et " apo-calypse" signifie une révélation. Donc, cela signifie quelque chose comme cacher une révélation. Une autre traduction parle de " celle qui dissimule". Dans les articles précédents, nous avons parlé de certains types produits par des problèmes du corps ou de l’esprit. Clairement, se cacher ou cacher est dans le cœur. Le type des Deux (comme le type des Trois et des Quatre) sont des types de cœur de l’Ennéagramme, et une des conséquences de cela est une préoccupation concernant l'image, et donc concernant la dissimulation (dans le cœur) de ce qui se passe réellement.

Cependant, le fait de dire tout cela conduit encore à un gros problème à comprendre : à savoir comment être aimé par Calypso est-il une si mauvaise chose ? L’amour n’est-il pas bon ? Que s'est-il passé ?

Calypso et sa proposition d'amour

Avec Ulysse arrivant sur Ogygie, Calypso, " la dangereuse nymphe aux tresses brillantes", une déesse immortelle, tombe amoureuse et souhaite l'épouser. Comme Ulysse le dit : " elle m'aimait ". Elle l'aime tellement que si Ulysse accepte son offre de mariage, elle fera de lui aussi un immortel.

" Calypso, la déesse aux cheveux blonds " de Jan Styka. (Domaine public)

De plus, même sans mariage, elle répond à tous les besoins d’Ulysse, y compris coucher avec lui, comme des amants. Ulysse lui avoue même que sa propre femme, Pénélope, " est bien en-deçà de toi. De ta beauté, de ta stature. "

Mais la réalité est qu’' Il n’avait pas le choix. " C’était un amant réticent, et elle n’était "que trop disposée ". Et voilà que pendant sept ans, Ulysse passe ses journées assis sur " des rochers et des plages, le cœur déchiré par les sanglots, les gémissements et l'angoisse, à regarder la mer stérile aux travers des larmes qui l’aveuglent."

Il ne peut pas la quitter ; elle ne le laissera pas faire. Et il n'a plus de ressources propres - pas d'équipage, pas de bateau, aucun moyen de retourner à Ithaque – donc il est coincé.

"Ulysse (Odysseus) sur l’île de Calypso", 1830, de Ditlev Blunck. (Domaine public)

Pour nos esprits et notre culture d'occidentaux, cela semble presque trop beau pour être vrai : une déesse magnifique et immortelle veut prendre soin de vous, et vous aimer pour toujours ! Comment un homme d'action comme Ulysse peut-il vraiment vouloir partir ? Mais tout comme ceci - pour l'Occident - semble être une bonne affaire, la raison que ce n'en est pas une touche à l'une des addictions les plus graves qui accable notre culture, à savoir, la dépendance.

Comme le dit James Hollis : "Les enfants sont censés partir ; s'ils ne le faisaient pas, cela signifierait que vous n'avez pas réussi à leur donner les moyens d'agir, à leur demander de développer les ressources nécessaires pour mener leur vie sans vous. Ils nous manquent peut-être, mais si nous nous y accrochons, nous ne les aimons pas ; nous révélons nos propres dépendances."

C’est le piège du type Deux : "J’aide" et "Je suis une personne aimante" en vient à signifier "Vous avez besoin de moi et ne pouvez pas vous passer de moi ; je suis devenu indispensable à votre vie. " Et l'orgueil s'infiltre parce que, dans une telle situation, il y a toujours le sentiment que parce que vous avez besoin de moi, alors " je " suis supérieur à vous.

L’aide des autres Dieux

Comme l’observe également Hollis : " Les dieux veulent que nous grandissions, que nous nous élevions vers cette haute vocation que chaque âme porte comme sa destinée". C’est ce que signifie vraiment vivre, par opposition à être dans un espace de jeu immortel où les actions semblent sans conséquence. Ainsi, au conseil des dieux, Zeus écoute la voix de sa fille, Athéna, déesse de la sagesse et protectrice d’Ulysse, et envoie Hermès demander à Calypso de libérer Ulysse.

Ce n'est pas un hasard que ce soit le dieu Hermès qui a été envoyé pour libérer Ulysse de la main- mise de Calypso. Nous l’avons déjà rencontré sur l’île de Circé (où Ulysse avait été détenu pendant un an par une autre déesse) et où son savoir-faire avait sauvé Ulysse des ruses de Circé ; maintenant, c’est encore lui qui va débloquer le destin d’Ulysse.

Car souvenons-nous qu'Hermès est le découvreur de secrets. Son nom nous indique que les choses peuvent être "hermétiquement scellées" ou que l’" herméneutique" signifie précisément l’art d’interpréter ce qui est subtil, obscur, mystérieux et difficile. Donc, ce qui est caché -dissimulé - dans le cœur de Calypso doit être à présent révélé.

Bien sûr, Calypso n'en est pas très heureuse. Ses plans pour Ulysse sont sur le point d'être annulés, et tous les désirs réels de son cœur révélés, à savoir que tout son amour pour Ulysse est en réalité plus un amour d'elle-même, gardant Ulysse pour elle-même, et de manière très précise, comme le texte le révèle, se voulant supérieure à Pénélope, la propre âme d'Ulysse. De cette façon, ce qu'elle tente de faire peut potentiellement contrecarrer la volonté des dieux eux-mêmes.

Au début, elle est très en colère. Elle blâme les dieux, les qualifie de "cruels, jaloux "et pointe leur profonde hypocrisie, car c’était Zeus lui-même qui a détruit son navire, détruit son équipage, et qui l’a lâché, abandonné en mer.

Calypso était très probablement un Deux, l'amoureuse. "Calypso appelant le ciel et la terre à être témoins de son affection sincère envers Ulysse", 18e siècle, par Angelica Kauffmann. (Domaine public)

Et elle a raison ; c’est ce que le type Deux est très doué pour discerner : les intentions du cœur des autres et aussi leurs contradictions internes. C’est elle, comme elle le rappelle à Hermès, qui " l’a accueilli chaleureusement, l’a chéri" et a juré de lui donner l'immortalité.

En ce moment, cependant, elle se rend compte qu'elle en a dit autant qu'il est sage d'en dire, car "il n'y a aucun moyen pour un autre dieu de contrecarrer la volonté de prendre Zeus d'assaut". Elle accepte donc de laisser partir Ulysse et, dans la traduction de Walter Shewring, fait remarquer qu'elle l'aidera "sans se cacher". Plus de jeu de rôle. Ses intentions seront vraies et sans masque, car elle va maintenant vraiment aider Ulysse.

C'est d'autant plus nécessaire qu'Ulysse se méfie à juste titre de ses motivations lorsqu'elle l'informe qu'elle va l'aider à partir. Il a eu sept ans de sa séduisante "éternelle tentative / d’envoûter son cœur par des mots suaves et séduisants / et d'effacer toute pensée d'Ithaque de son esprit" . Ce sont les pires aspects des Deux : la flatterie et la manipulation.

Mais maintenant, elle dit franchement : "Tout ce que j'ai à l’esprit et que j'imagine pour toi, ce sont les plans que je ferais pour moi-même, si j'étais dans ta situation... Je suis toute compassion." C'est le type Deux à son meilleur. À présent elle aide vraiment Ulysse : ne construisant pas le navire pour lui, favorisant ainsi la dépendance à son égard qu'il a expérimentée pendant ces sept longues années, mais lui permettant de le construire pour lui-même.

Étonnamment, l’un de ses présents à ce moment est une hache à double tranchant (Deux bords !) : elle me semble symboliser l’effet des Deux dans la vie de quiconque. Ils peuvent couper de deux manières : pour le bien, "je suis la compassion même"et pour le mal, la co-dépendance et l'énervement qui en résulte.

Calypso peut guérir mais elle peut aussi prendre au piège. Ainsi, lorsque vous avez affaire à un Deux, vous devez clarifier ce qui est vraiment essentiel dans votre vie, quelle est votre véritable mission : vous devez garder la tête claire - la sagesse d'Athéna toujours à l'esprit, et vous ne devez pas être distrait, même si l'offre est ciblée et personnalisée pour vos besoins personnels. De cette façon, vous pouvez naviguer loin et atteindre le haut destin de votre héros ou l'appel de votre héroïne - pour trouver Ithaque et votre propre âme.
.

Et pour un Deux-Calypso elle-même, elle est sauvée de son orgueil et de son hybris quand elle écoute le dieu messager qui l'aide à réinterpréter ce qui se passe réellement (s'agissant de l'ordre du cosmos, qui est la volonté de Zeus) afin qu'elle puisse reculer, être droite et contribuer sans manipulation. De cette façon, elle empêche elle-même la vengeance de Zeus qui, selon Hermès, "fera de votre vie un enfer". Cette acceptation de la parole d'Hermès est une forme d'humilité et un antidote à l'orgueil des Deux.

Dans cette série en plusieurs parties, " À la recherche du vrai soi ", nous discuterons de neuf types de personnalités, de leurs défauts, et montrerons comment Ulysse, à travers ses aventures, les a surmontées pour retrouver son chemin du retour.

James Sale est un homme d'affaires anglais dont la société, Motivational Maps Ltd., est présente dans 14 pays. Il est l'auteur de plus de 40 ouvrages sur la gestion et l'éducation publiés par de grands éditeurs internationaux, dont Macmillan, Pearson et Routledge. En tant que poète, il a remporté le premier prix du concours 2017 de la Society of Classical Poets, apparaissant récemment au Princeton Club de New York.