"Les compagnons d'Ulysse volent le bétail d'Hélios", 1554/56 Pellegrino Tibaldi. Fresque, Musée Palazzo Poggi. (Domaine public) |
Ulysse a fait une expérience des plus terrifiantes, presque accablante, en invoquant les esprits morts de l'Hadès afin de continuer son voyage de retour et trouver son âme véritable, Pénélope.
Nous avons vu dans cette série que l'intégration de l'âme n'admet aucun raccourci. Ulysse doit souffrir des neuf insuffisances se trouvant dans la personnalité humaine. De la paresse et de la luxure, aux points Neuf et Huit du cycle de l’Ennéagramme des neuf types de personnalité, il est passé par la gloutonnerie (où un raccourci audacieux a été tenté et a échoué), la peur et l'avarice aux points Sept, Six, et Cinq.
Au point 4, au fin fond de l'enfer, qu'il vient de quitter, il s'est confronté à un profond ressentiment et à l'envie des vivants alors que les morts répètent les "qui aurait pu être " de leurs propres passés imparfaits. Cette dernière étape a été très émouvante pour Ulysse ; il a même dû rencontrer sa mère pleurant en enfer.
Mais au moins il a reçu le conseil du prophète Tirésias sur la façon de rentrer chez lui. Ainsi, il repart et doit maintenant faire face aux embûches qui piègent le type Trois sur l'Ennéagramme : Il s'agit d'une double rencontre, d'abord avec les monstres Scylla et Charybde, puis avec l'aventure sur l'île de Thrinacia où paissent les bêtes du dieu soleil.
Pour résumer à quoi ressemble le type Trois : L'image de soi du Nombre Trois est "J'ai du succès", et son désir fondamental est d'être une personne précieuse ou efficace. Mais leur péché mortel est la tromperie, et souvent ils se trompent eux-mêmes sur leurs véritables motifs. C'est parce que l'image est d'une importance vitale pour les Trois, de sorte que lorsqu'ils sculptent leur propre image de réussite, ils peuvent facilement finir par croire à leur propre médiatisation !
Il convient de noter que certains auteurs écrivant sur l'Ennéagramme pensent que des pays entiers peuvent avoir un type de nombre dominant. Trois, et la quête du succès, est souvent considéré comme typiquement américain. Dans le meilleur des cas, ce sont des personnes motivantes, capables, orientées vers un but ; au pire, ce sont des bourreaux de travail devenus, comme Michael Goldberg les appelle (dans son merveilleux livre "The 9 Ways of Working") des "arnaqueurs sans âme".
L’orgueil du type trois
Il convient de citer d'emblée l'observation de James Hollis (tirée de son livre "Finding Meaning in the Second Half of Life") selon laquelle "notre croyance hubristique que nous sommes maîtres de nous-mêmes et de la nature ne fait que nous rendre plus inconscients de ce qui se passe en nous". Cette idée est particulièrement vraie si l'on considère Ulysse au type Trois sur le modèle de l'Ennéagramme.
Ici à Trois, Ulysse pense très explicitement qu'il est en contrôle et peut dicter ce qui arrive. De plus, il est si préoccupé par sa propre image et son apparence. Pour citer à nouveau James Hollis : " Ceux qui se préoccupent le plus de l'apparence sont généralement ceux qui résistent le plus à la tâche d'autorité intérieure, car ils continuent à chercher la validation du monde extérieur ". L'autorité intérieure signifie ici, non pas l'esprit égocentrique, mais un niveau plus profond de connaissance qui vient de l'âme et de l'esprit d'un être humain : C'est ce que représentent Tirésias (l'âme cherche jusqu’en enfer) et Circé (la déesse est l’inspiration de l'esprit d'en haut).
"L'ombre de Tirésias apparaissant à Ulysse pendant le sacrifice", vers 1780-85, par Johann Heinrich Füssli. (Domaine public) |
Ulysse est, au type Trois, extrêmement résistant à trouver son autorité intérieure. D'abord, et pour expliquer ceci, nous devons comprendre qu'après les épreuves de type Neuf et Sept, et les horreurs de Huit, Six et Quatre, Ulysse a reçu un double bonus. Après qu'il ait contourné le danger de Circé, au type Cinq, elle a rafraîchi Ulysse et son équipage, et leur séjour avec elle dans un luxe relatif a duré une année entière ; en plus, ils reviennent vers elle et se rafraîchissent de nouveau en enterrant leur camarade mort Elpenor. Mais plus important encore, comme il sied au type Cinq, elle les rafraîchit avec de la sagesse ; en effet, une sagesse profonde.
Circe raconte à Ulysse comment vaincre Scylla et Charybde, et appuie également le message qu'il avait reçu de Tirésias : à savoir, éviter la tentation sur l'île du dieu Soleil, Thrinacia. Maintenant, c’est du solide. Le grand prophète Tirésias, dont l'esprit n'est pas obscurci, lui dit une vérité, et celle-ci est renforcée par une déesse immortelle qui l'aime.
Mais peut-être que trop se prélasser et faire l'amour à une déesse a affaibli la fibre morale et spirituelle d'Ulysse, car son orgueil commence presque immédiatement.
Toujours en train de jouer le héros
Circé montre clairement qu'en surmontant - ou plutôt en survivant - aux périls de Scylla (le monstre mangeur d'hommes à six têtes) et de Charybde (le tourbillon mortel), Ulysse doit perdre six hommes ; en d'autres termes, pour atteindre un grand but, il y aura des pertes nécessaires et il est impossible d’éviter cela.
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La sorcière Circé représente la rencontre d'Ulysse avec une personnalité de type Cinq. "Circé", 1875, par Jean Jules Badin. Propriété privée. (Domaine public) |
En fait, s'il n'est pas prêt à perdre six hommes au profit de Scylla, il les perdra tous, parce que l'alternative est de rencontrer Charybde, un monstre qui va tout détruire, y compris leur bateau.
Mais Ulysse ne semble pas disposé à accepter ce conseil : "Tellement têtu", dit Circe. Comme elle l'observe, il est " farouchement attaché... aux combats et aux faits d'armes ", et " ne s'incline pas devant les dieux immortels eux-mêmes ". Car Scylla n'est pas une mortelle, c'est une dévastation immortelle. Il n'y a pas de combat, 'pas de défense'. Mais c'est comme si Ulysse s'irritait un peu, énergisé par son succès en allant si loin, et qu'il voulait maintenant une gloire de plus.
De même, Circé l'avertit de ne pas toucher ni blesser le bétail doré du dieu du soleil, Hélios, sur l'île de Thrinacia. Et ces avertissements dont Ulysse prévient explicitement son équipage, et pas une seule fois. Trois fois, il leur dit, et leur fait même prêter serment de ne pas toucher le bétail. Mais tout est vain.
Approchant Scylla et Charybde, Ulysse se trompe lui-même, puis communique rhétoriquement la tromperie à ses hommes, en pensant que ce danger n'est pas pire que le Cyclope, ce qui est palpable, et que - ajoute-t-il vainement - "Mon courage, ma présence d'esprit et mes tactiques nous ont tous sauvés".
Ainsi, il ignore le prophète, ignore la déesse, s'attribue tout le mérite lui-même, et pour empirer les choses, il "s'est débarrassé des ordres de Circé, m’entravant dans mon style, m'incitant à ne pas m'armer du tout. J'ai revêtu mon armure héroïque, saisi de longues lances" et me prépare ainsi à combattre ce qui ne peut l'être. Comme Karen Horney l'a une fois fait remarquer, croire en son propre "personnage", ou masque, rend arrogant, et c'est ce que les dieux détestent.
Voici les types Trois : Ne me gêne pas dans mon style, héros ou héroïne à la rescousse, chevalier pour vaincre n'importe quel dragon, et-hey, n'ai-je pas l'air bien dans cette "armure héroïque" ?
Et si, oui, ils sont doués pour l'action pratique, c'est exactement ce qu'il faut ici parce qu'ils doivent ramer comme des fous dans les étroits détroits de Scylla et de Charybde sans tarder, sans se mettre en armure et sans longs discours auto-glorifiants. Mais c'est ce qu'Ulysse a oublié.
Le navire d'Ulysse passant entre le monstre à six têtes Scylla et le tourbillon Charybde, par Allessandro Allori, vers 1575, extrait d'une fresque. (Domaine public) |
En fait, la vue des profondeurs "noires" de Charybde s'ouvrant sur leur port les amène à regarder dans "tout l'abîme mis à nu", oubliant Scylla, qui arrache maintenant six hommes avec ses six têtes, les hommes "les plus durs, les plus forts" qu'Ulysse avait. Si inutiles, toutes les postures, toutes les lances ; mais au moins ils rament comme des fous et finissent par dépasser les dangers. Tarder serait donner à Scylla deux aides de l'équipage.
Le deuxième danger
Mais maintenant leur vrai problème commence. Ulysse veut passer devant Thrinacia mais se soumet à la volonté de ses hommes qui veulent une pause. Encore une fois, nous avons déjà été confrontés à cette situation : L'équipage - c'est-à-dire le corps d'Ulysse - veut faire quelque chose qui ne correspond pas à l'esprit d'Ulysse. L'esprit sait ce qu'il doit faire, mais le corps le dirige ailleurs.
Le dieu soleil a sept troupeaux de bétail d'or et sept troupeaux de moutons immortels ; ils sont immortels et ne meurent jamais, du moins pas naturellement. Sept est significatif, tout comme le fait d'être "en or" : Sept est le nombre de la perfection, et l'or - comme le soleil doré lui-même - appartient aux dieux. Voici donc une occasion de restaurer le paradis s'ils le peuvent au lieu de succomber à la tentation et subir ainsi la colère du dieu soleil. Comme Circe le leur a dit : Ils peuvent tous rentrer chez eux sans autre perte.
Cependant, Ulysse quitte ses hommes afin de pouvoir "prier les dieux" - une sorte de fausse piété que les dieux décèlent, puisqu'ils endorment Ulysse. Voyez-vous, le Trois se trompe lui-même au sujet de sa propre intention ; il se trompe en se faisant croire qu'il est un disciple spirituel et pieux des dieux, alors qu'il a toujours l'intention de faire quelque chose de tout à fait différent.
Pendant ce temps, ses hommes décident d'abattre du bétail à manger et décident aussi ce qui satisfera le dieu soleil en guise de réparation. Ils se régalent pendant six jours, même si la viande montre des signes fatidiques de corruption. Ils partent de l'île, et Zeus, prenant la part d'Hélios, détruit tout l'équipage et le navire avec ses coups de foudre.
Seul Ulysse survit à cet assaut massif de déplaisir divin, se faisant un radeau de fortune à partir de l'épave. Et ce radeau est ramené jusqu'à Scylla et Charybde, tout comme Eole, au type Sept, où Ulysse termine là où il a commencé.
A présent, cependant, il se trouve dans une situation bien pire : Le radeau est aspiré dans le tourbillon et Ulysse ne s'échappe qu'en s'accrochant à un figuier en surplomb. Là, il reste suspendu jusqu'à ce que le tourbillon vomisse son contenu - son embarcation fragile - et Ulysse peut attraper sa vague extérieure et évoluer au-delà du danger.
De justesse, et par la volonté de Zeus, qui empêche Scylla de le voir, il s'échappe. Il dérivera encore neuf jours avant d'atteindre l'île de Calypso, où il doit rencontrer le type Deux.
Les types Trois sont donc dynamiques, pleins de ressources, motivants, mais potentiellement victimes de leur propre succès, car ils commencent à croire à leur propre bluff, à leur propre fausse image de soi. Ce faisant, ils perdent le contact avec leur propre passé, leur propre histoire et ce qu'elle leur enseigne.
S'empressant d'aller de l'avant pour obtenir encore plus de gloire - se poussant eux-mêmes à être les "meilleurs" - ils fléchiront les règles pour atteindre leurs fins : Ulysse sait ce que les dieux veulent, mais il fait fi de leurs interdits les plus graves. De cette façon, le type Trois devient exposé ; et parce qu'ils ont cherché la gloire, leurs chutes deviennent d'autant spectaculaires et publiques.
Donc peut-être que les deux leçons les plus importantes pour les types Trois, s'ils doivent surmonter leur propre duplicité, sont d'abord d'arrêter de bouger, d'arrêter la quête interminable de nouveaux succès et d’être tranquille ; ensuite, d'écouter attentivement les conseils, les retours qui viennent de ceux qui vous aiment vraiment où se soucient de vous.
Si nous pensons à notre culture occidentale depuis une vingtaine d'années, et à la montée de ceux qui prônent la méditation et la pleine conscience, cela a du sens dans un monde dominé par les pressions de type Trois à réaliser.
Dans cette série en plusieurs parties, " À la recherche du vrai soi ", nous discuterons de neuf types de personnalités, de leurs défauts, et montrerons comment Ulysse, à travers ses aventures, les a surmontées pour retrouver son chemin du retour.
James Sale est un homme d'affaires anglais et le créateur de Motivational Maps, qui opère dans 14 pays. Il est l'auteur de plus de 40 livres de grands éditeurs internationaux, dont Macmillan, Pearson et Routledge, sur la gestion, l'éducation et la poésie. En tant que poète, il a remporté le premier prix du concours 2017 de la Société des poètes classiques. James se produira à New York le 17 juin 2019 à Bryant Park et au Princeton Club pour des conférences et des lectures de poésie pour The Society of Classical Poets. Pour rencontrer James et pour plus d'informations, rendez-vous à http://bit.ly/Poetry_and_Culture
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