Time Asia : Démasquer une crise

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Alors qu’en Chine le SARS fait rage, certains cadres cherchent à sauver la face plutôt que de sauver des vies.
Enquêtes du Time sur la dissimulation d’une affaire qui a pu causé la mort.



Photo prise à Changhaï le 16 avril.
AP Photo/Eugene Hoshiko.
Du fait que le gouvernement étouffe délibérément l’affaire, la santé du peuple chinois est de plus en plus
en péril sans même qu’il en soit conscient
Ici c’est la section d’isolement de l’hôpital que le Ministère de la Santé Chinoise ne veut pas que vous voyiez. Il y a plus de 100 cas de patients atteints de SARS entassés dans des salles minuscules dans la section des maladies infectieuses de l’hôpital You’an de Beijing. «Nous tous qui sommes présents dans ce bâtiment sommes des malades du SARS » dit l’infirmière Zhang qui travaillait à l’Hôpital Militaire de la Libération du Peuple (P.L.A) N°301 jusqu’à il y a 11 jours et qui y fut admise en tant que malade depuis.

« Il y a au moins 100 malades atteints de SARS si ce n’est plusieurs centaines. Les conditions y sont vraiment très mauvaises. Nous n’avons pas le droit de sortir de la chambre. Nous mangeons et faisons nos besoins dans la chambre. Pour autant que je sache la moitié des malades de l’hôpital sont des médecins et des infirmières exerçant dans d’autres hôpitaux ». Alors qu’un journaliste du Time continuait sa visite, une infirmière qui ne voulait pas donner son nom l’arrêta et lui dit « Ecoutez, je ne vous renvoie pas. Je le fais pour votre propre bien. Il est très dangereux de rester ici. C’est vraiment une maladie terrible, même nous qui travaillons ici ne savons pas à quel moment nous pouvons l’attraper. On est en sécurité nulle part dans cet hôpital. Toutes ces salles sont remplies de malades atteints de SARS et il y a au moins plus de cent cas. Ne croyez pas ce que dit le gouvernement. Ils ne vous diront jamais la vérité. Ils disent que c’est une maladie mortelle avec 4% de décès. Quelle blague ! Le taux de mortalité est au moins de 25%. Rien que dans cet hôpital il y a déjà eu plus de 10 décès.

Selon le gouvernement chinois, la plupart de ces malades – et peut-être les centaines ou même les milliers d'autres à travers la nation -- n'existent tout simplement pas. Avant qu’on fasse sortir précipitamment le journaliste hors de la salle d'isolement de You'an, l'infirmière Zhang l’avertit, " Ne croyez jamais ce que dit le Ministère de la Santé. "

La Chine exaltée d’avoir été choisie pour accueillir les JO de 2008 à Beijing ainsi que l’Exposition Mondiale de Beijing de 2010, essaie de présenter un visage attrayant et réformiste au reste du monde. Mais la façon dont elle fait face à l’épidémie mortelle la SARS, qui est censée être partie du sud de la province de Guangdong en novembre dernier, montre que derrière ses portes fermées Beijing peut rester aussi impénétrable et secrète que jamais. Ces dernières semaines plusieurs rapports de médecins locaux montrent que le système de santé de la nation demeure l’otage d’ un gouvernement qui privilégie le pouvoir et l’ordre public au détriment de la vie humaine. « Vous les étrangers vous donnez plus de valeur à la vie d’une personne parce que vos pays ne sont pas surpeuplés » dit un médecin spécialiste des voies respiratoires de Shanghai qui siège à un comité–conseil sur les maladies épidémiques. Notre souci majeur est la stabilité sociale et ça vaut la peine de garder le secret sur le décès de quelques personnes pour la conserver. »

La Question qui se pose est : Combien de morts peut-on cacher avant que l’épidémie elle–même ne devienne une menace pour la stabilité sociale. Pendant des décennies le Ministère de la Santé Chinoise a délibérément caché tous les cas mortels enregistrés, espérant que les maladies s’éteindraient naturellement sans intervention ou examen minutieux de la communauté médicale internationale. La Chine est un grand pays, il est donc normal que des cas de pestes ou de rages surgissent de temps en temps ; pourquoi inquiéter la population pour si peu. Mais le plan d’urgence de Beijing risque d’être caduc face au SARS, qui s’est propagé hors des frontières chinoises pour tuer 116 personnes et en infecter 2890 dans le monde entier en date du week-end passé. Alors que la pneumonie mortelle prolifère autour du monde- l’Afrique étant le dernier continent touché- la Chine continue à occulter ses propres cas de SARS. Dans les métropoles comme Beijing et Shanghai, les médecins et infirmières parlent officieusement de centaines de cas entassés dans des sections d’isolement. Et les citoyens qui pendant des décennies avaient une confiance totale dans le système de santé chinois commencent à se demander si leur confiance de longue date n’a pas été dangereusement trahie.

A Beijing un jeune garçon couvre ses yeux avec un
masque
Samedi dernier encore, les autorités de la santé chinoise maintenaient le chiffre de 60 morts du SARS et de 1300 cas- bien que le Premier Ministre Wen Jiabo ait visité l’hôpital You’an, où le personnel médical signale que la totalité des cas ne figuraient pas dans ce nombre. Dans un effort pour calmer une population de plus en plus inquiète, le maire nouvellement élu Meng Xueng a dit jeudi dernier que les Officiels de la Santé chinoise avaient le plein contrôle de la pneumonie atypique. Entre temps les autorités chinoises soutiennent que tous les cas en dehors de Guangdong ont été « importés », prouvant ainsi que les villes telle que Beijing et Shanghai n’étaient pas elles-mêmes des endroits de reproduction pour la maladie.

Alors même que le gouvernement continue à nier, les chiffres annoncés commencent à être contestés. Mardi un chirurgien retraité d’un hôpital militaire a dit que dans un hôpital de Beijing il y avait 7 morts et plus de 60 malades du SARS .Un cadre local de Shenzhen a dit à Time, que lors d’une réunion interne un officiel de la ville a parlé d’au moins 6 morts, tout en les niant publiquement. A Shanghai un médecin local parle de 14 cas dans un hôpital, tandis que le Dr Li Awu de l’hôpital Pulmonaire de Shanghai annonçait que 7 étrangers étaient admis pour ce mal- contredisant l’annonce précédente de la ville qui stipulait qu’aucun étranger n’était atteint de la SARS ; «

Je suppose que cela veut dire que je n’existe pas ! » dit avec humour un Anglais d’age moyen confiné dans une chambre d’isolement au 14ème étage depuis une semaine
Le natif de Manchester qui communique avec son téléphone portable dit « Les soins sont bons, mais je dois dire que je me sens un petit peu coupé du monde réel »

L’obscurcissement continu de la Chine a amené les Etats-Unis à publier un avertissement conseillant d’éviter tout voyages vers la Chine. A la même période la Malaisie a fermé sa porte aux touristes venant de Chine et de Hong Kong. A Hong Kong, le gouvernement réagit à l’augmentation continu des cas locaux de Sars ainsi qu’aux critiques qui lui ont été faites d’avoir été lent à réagir à la crise, en imposant une quarantaine aux parents des personnes contaminées. D’autre part on prendrait la température de tous les voyageurs quittant Hong Kong via l’aéroport Chek Lap Kok avant l’embarquement. Dans le continent le remplissage des hôtels de luxe de Shanghai en général surbooké de 120% est passé à 30%. Les visites de personnalités tel que le Président George Bush ou le Premier Ministre de Singapour Goh Chok ainsi qu’un Forum Economique Mondial ont été annulées ou reportées. « La diminution du tourisme est encore plus mauvaise que celle de 1989 » grommele un fonctionnaire travaillant aux Affaires Etrangères de Shanghai, se référant à l’exode des étrangers lors des événements de la Place Tienanmen.
Dans un pays où les révoltes de masse ont régulièrement paralysé des empires et des régimes, le Parti Communiste appréhende de paniquer la population. Et maintenant que l’économie chinoise est plus dépendante que jamais de l’investissement étranger—54% du rendement industriel de Shanghai, par exemple vient de compagnies appartenant totalement ou partiellement à des étrangers—le Parti se soucie encore plus de maintenir un semblant de stabilité. « Regardez ce qui est arrivé à Hong Kong ou tout le monde est paniqué et porte une masque » explique un Conseiller l’adjoint au maire de la ville de Shanghai, blâmant les medias étrangers d’avoir augmenté la peur du virus tueur. Nous ne voulons pas que la panique règne et détruise notre économie sans raison. En outre l’approche rapide de l’importante semaine des vacances du 1er mai inquiète les fonctionnaires du tourisme qui pensent que la peur du SARS peut décourager les Chinois de voyager et dépenser leur yuan.

Dans sa longue histoire, la Chine a toujours refusé de faire face à ses problèmes médicaux. Avant le SARS, le pays avait notoirement refusé d’admettre l’expansion de l’épidémie de SIDA. Quand il y a trois ans la nouvelle que dix mille fermiers du centre de la Chine avaient été contaminés par le HIV en vendant leur sang à des trafiquants utilisant du matériel contaminé, le gouvernement mit un an pour ’admettre la vérité. Même alors Beijing insista sur le fait que le virus n’avait contaminé qu’un petit village de la province de Henan. Finalement en 2002, le gouvernement chinois révisa son estimation et passa de 30 000 cas à 1 million- en seulement un jour. Une semblable tactique de cache cache a valu à la Chine une intoxication alimentaire dans la province de Liaoning le mois dernier, quand trois écoliers sont morts et 3 000 ont été intoxiqués par du lait de soja avarié. Même avec des centaines d’étudiants allant en masse dans les hôpitaux les autorités continuèrent à soutenir que tout allait bien.

La plupart des médecins craignent trop de perdre leur place en dévoilant la vérité. Un médecin qui a dit à un journaliste du Time qu’Il y avait 10 cas de SARS dans la section d’isolement de l’hôpital de l’Armé de Libération du Peuple N°309 tout en se défilant disait « «Je suis embarrassé de ne pas pouvoir vous parler plus ; J’aurais vraiment voulu mais je suis jeune et je ne peux me permettre de perdre ma place ». Mais d’autres braves âmes ont eu le courage de parler ! La semaine dernière, dans un cas d’abord rapporté par le Time, le chirurgien retraité Jiang Yanyong affirma que dans le même hôpital il y avait 60 cas de SARS et 7 morts et que l’Hôpital N°301 du P.L.A. (ou travaille l’infirmière Zhang) au moins 10 médecins et infirmières ont été contaminés par leurs patients. Jiang qui avait donné l’information en premier à la chaîne de TV CCTV4 sans suite de leur part, dit qu’il était tellement consterné du rapport du Ministre de la Santé qui ne mentionne que 12 cas et trois morts dans la capital début avril que cela le poussait à donner un chiffre encore plus précis. Selon Jiang un autre hôpital militaire N°302 admit deux cas de SARS diagnostiqués en premier à au N°301 début mars au moment où Beijing préparait le délicat Congres National du Peuple. Ce n’est qu’après la mort des deux patients, dit Jiang, que le service d’hygiène convoqua une réunion, mais au lieu de demander aux médecins d’éduquer la population afin de contenir le mal, Jiang dit que les fonctionnaires médicaux dirent aux médecins qu’il leur était interdit de faire connaître ces morts « afin d’assurer la stabilité ».

Les médecins de Shanghai ont eu à faire aussi à de telles interférences politiques. Au début de la semaine dernière, des médecins d’un hôpital de la ville de Huangpu étaient convoqués pour une réunion avec leur supérieur pour établir une nouvelle politique à l’initiative du bureau municipal de la santé. Les derniers mois les médecins qui avaient cherché clandestinement des informations sur Internet concernant le SARS espéraient recevoir de l’information encore plus concrète de leur directeur. Au contraire il leur demanda de ne plus porter de masques et de les garder pour les salles d’isolation et quelques salles de diagnostiques. Les médecins réunis étaient troublés. Un administrateur supérieur dit doucement « Je pensais que le port du masque était censé protéger le personnel médical de la contamination par le SARS.» Leur supérieur répondit d’un ton sec « Porter un masque effraiera les malades. Nous ne voulons pas de panique ici d’autant plus que le SARS est maintenant maîtrisé ».
Les services d’hygiène locaux peuvent s’en sortir avec de telles politiques insouciantes car il y a peu de contrôle par la hiérarchie. Le Ministre de la Santé Zhang Wenkang se trouve en réalité derrière les secrétaires du Parti Communiste dans la hiérarchie gouvernementale de Shanghai et Guangdong. Cela donne encore plus de pouvoir aux responsables du Parti au niveau régional, au détriment du Ministre de la Santé, pour imposer leur politique médical dans leur fief. En outre chaque Centre de contrôle de maladie (CDC), responsable du suivi de cas de Sars, fait son rapport aux responsables locaux du Parti avant de l’envoyer au Ministère de la Santé. Le principal responsable de chaque service d’hygiène est nommé par les responsables du Parti local et non par le Ministère de la Santé. Cette structure fait que le personnel sanitaire local montre peu d’enthousiasme à révéler l’importance réelle de la crise.

Même les médecins en contact direct ont été laissés dans l’ignorance souvent à leur détriment. Par exemple à l’hôpital You’an l’infirmière Zhang dit que la moitié des malades de la section d’isolement font parti du personnel médical d’autres hôpitaux de la région. Pour compliquer encore plus la chose les seuls qui ont officiellement le droit de diagnostiquer le SARS en Chine sont les chercheurs de CDC et non les médecins qui traitent les malades. « J’ai eu un malade qui pressentait clairement le symptôme du SARS » dit un médecin qui travaille dans un secteur verdoyant de Shanghai. « Mais une fois que j’ai contacté la CDC le malade fut transféré ailleurs sans que je sois averti, et je n’ai jamais su s’il avait eu la maladie ou pas. Le médecin pense que le malade était effectivement atteint du SARS, sinon pourquoi aurait il été transféré de façon aussi mystérieuse ? « Nous les médecins avons beaucoup de questions sans réponse ! » dit il C’est une honte de ne pas nous tenir au courant de ce qui se passe ». Ce manque d’information est la cause de décès inutiles puisque nous traitons les malades à tâtons au lieu d’utiliser des thérapies adéquates qui ont montré leur efficacité dans d’autres hôpitaux. On a demandé à des médecins de certains hôpitaux de Guangdong, de traiter les malades du SARS pour des maladies d’infections bactériennes telles que la pneumonie mycoplasme ou chlamydia – quoiqu’ ils aient déjà constaté que le traitement par combinaison de médicaments antiviraux et de stéroïdes ait donné de bons résultats .)

Une partie de la confusion peut venir de la méthode de recensement de la Chine. Les tests de diagnostic courants ne sont pas fiables et les médecins du monde entier sont obligés de diagnostiquer les malades en évaluant les symptômes ainsi que leurs contacts avec à d’autres malades du SARS. Mais dans des endroits comme Beijing qui refusent de donner le nombre véritable de ses malades infectés, il devient difficile de savoir si une personne a été ou non en contact avec un malade de SARS parce qu’en premier lieu ces victimes sont censées ne pas exister. Cela ajouté à un ensemble de conditions rigoureuses appliquées avant la confirmation d’un cas de SARS, montre que beaucoup de malades qui ailleurs dans le monde auraient été reconnus en tant que malade du SARS deviennent des cas juste « suspects » en Chine. Le patient anglais de l’Hôpital Pulmonaire de Shanghai a été mis en quarantaine pendant une semaine, pourtant les médecins lui ont dit qu’il n’y avait aucun moyen de dire s’il était atteint ou pas de SARS. «J’ai entendu dire que dans d’autres pays ils peuvent diagnostiquer la maladie en peu de jours » dit-il entre deux toux sèches « C’est étrange qu’ils ne puissent pas diagnostiquer nos cas ici ! » (Le médecin traitant ce malade anglais dit qu’il le traite comme un malade de SARS bien que la CDC n’a pas encore confirmé le diagnostic)
Jeudi dernier le Ministère de la Santé semblait en désaccord avec ses propres statistiques. A une conférence de presse à Beijing, Qi Xiaoqiu, directeur du département de Contrôle des Maladies rattaché au Ministère de la Santé disait que les statistiques officielles chinoises de la SARS incluaient « des cas confirmés et suspects ». Quelques minutes plus tard le Vice Ministre de la Santé Ma Xiaowei disait aux journalistes que le nombre qu’il avait annoncé se référait seulement au cas confirmés. De toute manière les spécialistes sont d’accord pour dire que le nombre de cas reconnus par le Ministère est de loin trop bas. Les médecins du continent craignent que le silence continu autour de la maladie ne contribue à la propagation du virus encore plus loin. La fausse information abonde : un fonctionnaire de la santé basé à Senzhen nommé Zhang Shunxiang a averti que les gens ne devraient pas porter de masque, car ça gênerait leur propre respiration et que ça fairait paniquer la population—à l’inverse du conseil donné partout ailleurs dans le monde. Sur le Continent des journaux gérés par l’état ont suggéré qu’un breuvage riche en protéine contenant des coquilles de cigale et des vers de soie pourrait être la panacée au SARS. La possibilité que la maladie progresse vers la communauté de travailleurs itinérants estimés à 100 millions qui a peu d’accès aux soins médicaux est encore plus inquiétante. D’autant plus que les médecins pensent que le premier malade de Beijing était un travailleur itinérant de Guangdong. Si le virus commence à toucher la vaste population itinérante, les spécialistes craignent que ça atteigne rapidement l’intérieur peu développé du pays. Et avec une grande partie de la Chine encore ignorante du tueur le pire peut être encore à venir.

----Avec des rapports de Bu Hua/Shanghai et de Huang Yong
http://www.time.com/time/asia/magazine/article/0,13673,501030421-443226-1,00.html

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