La genèse de la guerre contre le Falun Gong

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(article initialement publié en 2009)


Le 25 avril 1999, des milliers de pratiquants de Falun Gong se rendent au Bureau national des plaintes à Pékin pour demander le respect de leur liberté de croyance inscrite dans la Constitution. (Clearwisdom)


M. Gutmann est l'auteur du livre Losing the New China: A Story of American Commerce, Desire and Betrayal et il rédige actuellement un ouvrage sur l'État chinois et le Falun Gong. Ce qui suit est une allocution donnée par l'auteur au Parlement européen à Bruxelles le 15 avril 2009 lors de la Conférence internationale sur la liberté religieuse en Chine, organisée par Edward McMillan-Scott, vice-président du Parlement européen.


Il y a dix ans, le 25 avril, j'assistais à un mariage à Pékin lorsque j'ai entendu une rumeur disant qu'une large foule s'était rassemblée près de Zhongnanhai, le quartier général des dirigeants chinois. J'ai téléphoné à mon ami Jasper Becker, chef de bureau du quotidien South China Morning Post.


"Qui sont-ils?", lui ai-je demandé.


Nous croyons qu'ils s'appellent "Falun Gong", a-t-il répondu. "Apparemment, il s'agit d'un immense mouvement religieux chinois, mais nous avons très peu d'informations sur eux. Ethan, a-t-il dit, on a tout simplement été pris au dépourvu."


Tandis que nous commémorons l'anniversaire de la répression catastrophique du Falun Gong, nous devons reconnaître que – malgré quelques rares exceptions – la réponse du monde occidental a essentiellement donné le feu vert au Parti communiste chinois.


On a juste commencé à constater l'ampleur des dommages : plus de 3000 décès confirmés, causés par la torture, l'abus et la négligence. Selon mes recherches actuelles, au minimum 10 000 pratiquants de Falun Gong se sont fait prélever leurs organes illégalement. Le décompte total risque de dépasser largement 100 000.


Selon mon collègue Leeshai Lemish, une analyse quantitative démontre que la couverture médiatique du Falun Gong a chuté proportionnellement avec l'augmentation des décès. Je suggère donc que nous sommes toujours pris au dépourvu. Et je suggère que cet échec débute avec l'interprétation par les médias occidentaux du 25 avril lui-même.


On ne peut même pas se référer à cet évènement sans déraper dans une interprétation figée, un portrait préfabriqué. À l'improviste, 10 000 pratiquants de Falun Gong majestueusement disciplinés ont "encerclé»" ( selon Associated Press et Reuters) ou "assiégé" (selon l'Agence France-Presse) Zhongnanhai. Il s'agit de traductions, mot pour mot, de la ligne du Parti communiste.


Même les pratiquants de Falun Gong qui écrivent dans La Grande Époque – sentant peut-être que c'est trop difficile à expliquer – se réfèrent souvent au 25 avril comme un grand «rassemblement» à Zhongnanhai. La seule différence est qu'ils considèrent le mot «manifestation» comme s’il s’agissait d’un terme négatif. Eh bien, c'en est un pour le Parti communiste chinois. Mais pas en Occident, n'est-ce pas?


Henry Kissinger [ex-secrétaire d'État américain sous Nixon ayant orchestré la politique de détente avec la Chine] a justifié le massacre de la place Tiananmen avec la déclaration : "Aucun gouvernement dans le monde n'aurait toléré que la place principale de la capitale soit occupée pendant huit semaines par des dizaines de milliers de manifestants..."Cette opinion a récemment trouvé écho chez Charles Freeman, sélectionné par l'administration Obama pour présider le Conseil national du Renseignement. [M. Freeman n'a finalement pas pris le poste en raison des critiques concernant ses liens avec le gouvernement chinois et l'Arabie saoudite].


Si l'élite diplomatique parle de cette façon des manifestants étudiants de 1989, imaginez comment elle perçoit un mouvement de renaissance bouddhiste peu connu en 1999. Que pensez-vous de "Eh bien, c'est ça la Chine – ces Falun Gong l'ont cherché ".


Les spécialistes pourraient l'expliquer un peu différemment : la répression du Falun Gong a débuté comme un phénomène d'action-réaction. C'est une tragédie. Une incompréhension. Une erreur.


Oui, en effet, les pratiquants de Falun Gong ont commis de nombreuses erreurs. Mais je ne peux accepter l'idée selon laquelle ils auraient cherché à devenir des martyrs. Et je ne crois pas que vous devriez accepter cette idée. Mais si vous l'acceptez, vous devriez interroger des gens qui ont participé au 25 avril, de même qu'à son précurseur, Tianjin.


Coup monté à Tianjin

Début 1999, un physicien a publié un article dans un journal de l'Université de Tianjin attaquant le Falun Gong, le dépeignant essentiellement comme une secte dangereuse. Étant donné que l'auteur et le journal étaient relativement méconnus, le Falun Gong a été accusé d'être ultra sensible à la critique.


Mais la Chine n'est pas l'Occident et ce genre de chose n'arrive pas au hasard. Le physicien, He Zuoxiu, est supposément le beau-frère de Luo Gan, à l'époque chef de la Sécurité publique. Et le journal de l'Université de Tianjin rend des comptes à l'État.


Le livre Zhuan Falun de Li Hongzhi [fondateur du Falun Gong] avait déjà été interdit de publication au milieu des années 1990, en partie parce que le Parti s'inquiétait des ventes galopantes. En 1999, le Falun Gong avait attiré au moins 70 millions de pratiquants, soit cinq millions de plus que les membres du Parti communiste.


Dans ce contexte, l'article n'était pas du tout fortuit; il s'agissait d'une fusée lumineuse dans le ciel nocturne, un signal que le Parti tentait quelque chose. Quelque chose entraînant des conséquences.


En Chine, lorsque vous voyez un signal de ce genre, vous avez deux choix. Vous pouvez vous terrer. Et possiblement vous faire écraser. Ou vous pouvez résister. Vous allez encore être écrasé, mais répandre la vérité, réfuter les mensonges – c'est une partie essentielle du code moral du Falun Gong.


Alors le Falun Gong s'est opposé tranquillement : environ 5000 pratiquants ont participé à une manifestation silencieuse le 22 avril 1999 devant l'Université de Tianjin, demandant une rétractation de l'article ou l'ouverture d'un dialogue. La police est intervenue. L'agent Hao Fengjun était l'un des policiers. "La totalité de mes effectifs policiers a été mobilisée à l'université", explique-t-il. "Ils se sont fait dire d'imposer la loi martiale et de fermer la zone." En arrivant sur les lieux, "nous nous sommes tous rendu compte que ce n'était pas du tout ce dont on nous avait parlé – que le Falun Gong cherchait la bisbille, qu'il dérangeait l'ordre public et ainsi de suite. Mais nous n'avions pas le choix".


La surveillance vidéo montre une foule de gens assis. Alors qu'est-ce qui a incité les policiers à charger la foule, frappant et arrêtant 40 pratiquants? Plusieurs pratiquants – Jennifer Zeng est l'une d'entre eux – ont tenté de raisonner avec les responsables de Tianjin et la police. La réponse? La police était impuissante. "C'est une action entreprise par le ministère de la Sécurité publique, sous le gouvernement central, alors vous devez aller à Pékin pour faire entendre votre point de vue."


Dans les deux jours suivant les arrestations à Tianjin, le mot"appel" (ou "pétition") a commencé à circuler largement chez les pratiquants – non pas venant d'une organisation centrale, mais de bouche à oreille. Mais la signification était explicite : le Bureau national des plaintes, le seul endroit en Chine où un citoyen peut se plaindre du gouvernement local ou central par voie légale.

Tante D (appelons-la ainsi) explique : "Tout le monde en Chine à cette époque savait que [les arrestations des pratiquants à Tianjin] était une chose effroyable. Mais nous savions aussi que nous devrions avoir le droit de nous adresser au Bureau des plaintes. Nous avions le droit légal de le faire. Alors nous n'avons pas trop pensé aux conséquences."


Repérer le Bureau des plaintes

Faisant écho à la réticence du Parti quant au processus d'appel, l'emplacement du Bureau des plaintes n'est pas bien connu. Pas un seul pratiquant que j'ai interviewé ne peut le repérer précisément sur une carte, bien que l’on croie en général qu'il se situe dans les hutong, les ruelles sinueuses adjacentes à la rue Fuyou. Et la rue Fuyou touche l'entrée ouest de l'enceinte de Zhongnanhai.


Alors, à l'aube du 25 avril, un joli matin de printemps, chaque pratiquant (que j'ai interviewé) croyait sincèrement qu'il suivait le protocole légal, et non qu'il allait à Zhongnanhai pour manifester.


Ils n'étaient pas naïfs concernant les risques. Certains pratiquants avaient complété leur testament le soir précédent. Si cela vous paraît mélodramatique, considérez ceci.


Le 25 avril 2001, un pratiquant de Falun Gong ayant déployé une bannière sur la place Tiananmen se fait arrêter et brutaliser. (Clearwisdom)


Tôt le matin, un couple de pratiquants – en chemin vers le Bureau des plaintes – longeant la douve du côté est de la Cité interdite, a observé quelque chose de très étrange : une grande unité de soldats de l'Armée rouge, baïonnettes au canon, attendait dans des camions militaires faisant face à l'ouest, en direction de Zhongnanhai.

Quand eux et d'autres pratiquants sont arrivés à la rue Fuyou vers 7 h du matin, ils ont essayé de se rendre dans les hutong – où l'on croyait que se trouvait le Bureau des plaintes – une immense présence policière s'est soudainement matérialisée. Mais la rue Fuyou était grande ouverte. Jennifer Zeng, ayant travaillé pour le bureau du conseil d'État à Zhongnanhai, a trouvé que c'était aussi étrange. Normalement, "la sécurité à cet endroit est très sévère, il y a beaucoup de gardes et c'est difficile de s'approcher de la rue. Mais, à ce moment, personne n'essayait d'empêcher les gens d’y accéder. Normalement quiconque s'aventure est questionné sur-le-champ... Ils semblaient vraiment bien préparés, ils nous attendaient".


Se faisant dire vaguement que le Bureau des plaintes ouvrirait plus tard dans la journée, les pratiquants ont été dirigés sur la rue Fuyou, directement en face de l'entrée de Zhongnanhai. Tante D se rappelle des autobus et des voitures de police des autorités alignés le long de la rue Fuyou : "Des caméras avaient également été installées et pointaient directement sur nous. J'avais peur et je n'osais pas me tenir dans la première rangée. Je pensais que s'ils me filmaient, ils viendraient me chercher plus tard." (Tante D s'est retrouvée dans un camp de travail forcé pendant plusieurs années.)


Ces pratiquants qui croyaient que le Bureau des plaintes était sur la rue Fuyou Sud, ou qui croyaient qu'ils pouvaient tourner autour du bloc pour entrer dans les hutong par l'ouest, ont vu leur chemin bloqué sur l'avenue Chang'an et ont été encouragés à se déplacer à nouveau vers le nord devant l'entrée ouest de Zhongnanhai. On permettait à ceux qui arrivaient par le nord d'entrer dans le coup de filet et on les dirigeait ensuite rapidement devant l'entrée nord de Zhongnanhai et le long de la rue Fuyou. Tante C (une amie de Tante D) a décrit la situation en ces termes : "À ce moment, ils nous ont juste dit “allez par ici, allez par-là”, et nous avons suivi leurs instructions."


Les dés étaient lancés pour ce qui allait suivre. Le premier ministre Zhi Rongji a fait une apparition publique rassurante, alors que le dirigeant Jiang Zemin tournait lentement autour de Zhongnanhai dans sa limousine aux vitres teintées. Durant tout l'évènement, ayant duré seize heures, il n’y avait aucun compte rendu, aucun vidéo et aucun témoignage qui pouvait suggérer que les pratiquants de Falun Gong ont porté un geste pouvant être perçu comme provocateur. Aucun déchet n’était laissé par terre. Aucune cigarette n’avait été fumée. Pas de slogans. Pas d'entretien avec les médias (ou quiconque).


Un pratiquant a suggéré qu'ils se relaient pour aller manger ou boire quelque chose, mais d'autres ont répondu :"Non, certainement pas. Parce que si nous buvons, nous allons devoir aller aux toilettes et cela va déranger ceux qui habitent ou travaillent dans les environs." Même selon les critères plutôt créatifs du Parti, il n'y avait tout simplement aucun prétexte pouvant justifier les troupes attendant près de l'entrée de la Cité interdite.


L'annonce en soirée que les prisonniers de Tianjin seraient libérés a été accueillie avec soulagement et les pratiquants étaient optimistes. Le jour suivant, selon Tante C, les médias officiels disaient : “Le Falun Gong s'est rassemblé à Zhongnanhai”. Ils ne disaient pas “encerclé”. Ils ont aussi dit qu'on pouvait pratiquer ou pas, selon le souhait de chacun.»


Planification d'avance

Dans les jours suivants, il y avait des messages constants du Parti rassurant que tout était correct et que les trois "ne pas" (ne pas promouvoir, ne pas critiquer, ne pas débattre sur le qigong) étaient encore en vigueur. Mais en même temps, les téléphones des pratiquants étaient mis sur écoute, des espions apparaissaient sur les lieux de pratique, des avertissements étaient envoyés dans les milieux de travail et le parti a créé le Bureau 6-10, une des agences de police secrète les plus terrifiantes et opérant en dehors du cadre légal. Le 20 juillet, la machine de répression bien huilée a eu le feu vert de frapper à volonté à travers la Chine. Et tout cela était justifié par l'image d'un jour d'infamie – le 25 avril – une image utilisée pour orchestrer une persécution sans précédent, une persécution qui se poursuit à ce jour.


Un dernier point. L'agent Hao Fengjun s’est joint au Bureau 6-10 en 2000. Voici la première chose qu'il a remarquée : "Notre salle de surveillance avait déjà des dossiers étoffés et des données sur les pratiquants de Falun Gong. Ce ne sont pas des choses qui peuvent être montées et recueillies en juste une ou deux années." La suspicion de M. Hao est juste. Selon un ex-responsable de district, je vais l'appeler "Ministre X", la décision du Parti d'éliminer le Falun Gong – et les préparations pour atteindre ce but – avait été effectuée bien avant la déclaration publique d'interdiction. On en parlait explicitement dans les réunions internes du Parti : Jiang Zemin pouvait seulement résoudre la boucherie de Tiananmen en créant une nouvelle cible. Cette cible c'était le Falun Gong. Ministre X, de son côté, s'est fait dire d'arrêter d'accorder des licences d'entreprises aux pratiquants. Le 25 avril était simplement le déploiement d'une stratégie élaborée avec le Falun Gong comme cible.


Ça fait dix ans. Est-ce que le Parti a vraiment voulu tuer autant de gens? Bien sûr que non. Le Parti est enclin à croire sa propre rhétorique. Les généraux imaginent toujours de courtes guerres. Il semble que c'est la même chose pour les journalistes occidentaux.


Mais aujourd'hui, détruisons au moins un mythe, une notion relativiste hideuse qui se nourrit de l'idée déplacée selon laquelle en Occident, cela ne nous concerne pas de commenter une chicane de ménage obscure.

Le Falun Gong n'a pas commencé cette guerre. Le Parti communiste chinois l'a commencée. Je suggère que le Parti devrait être tenu entièrement responsable des résultats.

Source : The Epoch Times

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