Wall Street Journal - Du communisme au fascisme ?

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Wall Street Journal, le 22 février 2002

Alors que le Président Bus, actuellement à Pékin, s’approche des dirigeants de la Chine, il doit ressentir des sentiments conflictuels.

On nous dit que les chinois nous ont aidé à combattre la terreur, et ceci est cause de satisfaction. Cependant, la CIA a récemment révisé à la hausse son estimation du pouvoir militaire chinois dans un futur proche, ce qui est inquiétant. Alors qu’il médite sur ce qu’est la Chine ou ce qu’elle peut bien être, M. Bush doit se faire la réflexion que la nation chinoise est tout à fait unique, et donc très difficile à cerner.

La Chine n’est pas, contrairement à ce que l’on dit invariablement, en transition du communisme vers un état plus libre et plus démocratique. C’est plutôt quelque chose que nous n’avons jamais vu auparavant : un régime fasciste qui arrive à maturité. Ce nouveau phénomène est difficile à identifier, d’une part parce que les chinois continuent de se dire communistes, et d’autre part parce que les états fascistes de la première moitié du 20ème siècle étaient jeunes, gouvernés par des dirigeants charismatiques et révolutionnaires, et parce qu’ils furent éliminés lors de la seconde guerre mondiale. La Chine n’est plus jeune du tout, et elle est gouvernée par une troisième ou quatrième génération de dirigeants qui n’ont rien de charismatique.

Les générations actuelles et passées de dirigeants chinois, depuis Deng Xiaoping à Jiang Zemin, ont peut-être abandonné le système économique communiste, mais ils n’ont pas étreint le capitalisme. L’état ne possède plus les moyens de production. On parle maintenant de privé, et en juin dernier, des hommes d’affaires étaient formellement admis au Parti Communiste. Le profit n’est plus un tabou, il est d’ailleurs activement encouragé à tous les niveaux de la société chinoise, dans les secteurs privé et public. Et l’état est totalement impliqué dans les affaires, depuis les grosses sociétés possédées totalement ou en grande partie par les forces armées, jusqu’aux dirigeants et actionnaires majoritaires qui détiennent parallèlement des postes au gouvernement.

Ceci n’est ni du socialisme ni du capitalisme; c’est la “fameuse” troisième forme de l’état corporatif, d’abord institutionnalisé dans les années 20 par le fondateur du fascisme, Benito Mussolini, et ensuite copié par d’autres fascistes en Europe.

A l’instar des régimes fascistes antérieurs, la Chine maintient sans relâche une dictature de parti unique ; et bien qu’il y ait dans le discours public et les médias une plus grande diversité d’opinion que dans la génération précédente, il n’y a toujours que très peu de place pour les critiques du système, et toujours aucune tolérance envers le système occidental de liberté et de démocratie.

Tout comme les régimes fascistes précédents, la Chine se sert du nationalisme – et non de slogans communistes communs à l’internationalisme prolétaire – pour rallier les masses. Et, comme les fascismes d’antan, les dirigeants de la République de Chine insistent sur le fait que la vertu consiste à sublimer les intérêts individuels au bénéfice de la nation. D’ailleurs, comme nous l’avons récemment vu dans l’intimidation et l’incarcération de chinois à l’étranger, le régime fait valoir son droit de dominer tous les chinois, où qu’ils soient. Les dirigeants de Chine croient qu’ils commandent un peuple, et non une entité géographique.

Contrairement aux dirigeants communistes, qui ont extirpé la culture traditionnelle pour la remplacer par un marxisme-léninisme stérile, les chinois ont avec enthousiasme exploité un millénaire de pensées chinoises pour légitimer leurs propres actions. Ici, pas de réalisme socialiste ! D’ailleurs, cette franche étreinte de la culture chinoise ancienne fait partie de ce qui a le plus enchanté les observateurs occidentaux. Beaucoup pensent qu’un pays avec des racines aussi ancrées fera inévitablement preuve d’ une humanité profonde dans ses pratiques sociales et politiques. Cependant, les dirigeants fascistes des années 20 et 30 ont fait la même chose. Mussolini a reconstruit Rome afin de fournir un souvenir visuel dramatique de la gloire ancienne, et l’architecte préféré d’Hitler a construit des bâtiments néo-classiques pendant le troisième Reich.

Comme leurs prédécesseurs européens, les chinois revendiquent un rôle majeur dans le monde, non à cause de leur pouvoir actuel, de leurs accomplissements culturels ou scientifiques, mais à cause de leur histoire et de leur culture. Tout comme l’Allemagne et l’Italie pendant la période d’entre-deux guerres, la Chine se sent trahie et humiliée, et cherche à venger ses blessures historiques. La Chine joue même avec les notions les plus bizarres des fascismes précédents, tel que le programme pour atteindre l’autosuffisance dans la production du blé – cette même quête de l’autarcie qui a obsédé Hitler et Mussolini.
Il est donc faux de penser à la Chine contemporaine comme à un système intensément instable, déchiré par les pulsions démocratiques du capitalisme d’un côté, et par les instincts répressifs du communisme de l’autre. Le fascisme a peut-être été un système potentiellement stable, malgré les énergies frénétiques de l’Allemagne d’Hitler et de l’Italie de Mussolini. Après tout, le fascisme n’est pas tombé en raison de la crise interne ; il a été détruit par les forces armées supérieures. Le fascisme était étonnement populaire ; Hitler et Mussolini ont pris le pouvoir en rassemblant les foules et ni les italiens ni les allemands n’ont montré la moindre résistance jusqu’à ce qu’ils commencent à perdre la guerre.

Puisque le fascisme classique a eu une durée de vie aussi courte, il est difficile de savoir si oui ou non un état fasciste durable et stable est possible. D’un point de vue économique, l’état corporatif peut se montrer plus flexible et adaptable que la planification centrale et rigide qui a dominé le communisme dans l’empire soviétique et ailleurs (cependant les essais du Japon, qui a aussi tenté de combiner le capitalisme et les conseils du gouvernement, montrent le genre de problèmes auxquels la Chine sera confrontée). D’autre part, notre brève expérience du fascisme rend aussi difficile une évaluation des possibilités d’évolution politique.

Bien qu’Hitler aimait parler de lui comme d’un primus inter pares, le meilleur d’entre toutes les races, il n’aurait pas contemplé la démocratisation du Troisième Reich. Mussolini n’aurait pas non plus cédé de pouvoir au peuple italien. Et il semble peu probable que les dirigeants de la République du Peuple soient enclins à opérer un tel changement. S’ils l’étaient, ils ne se sentiraient pas si concernés par le fait que le peuple chinois cherche à imiter la transformation démocratique de Taiwan.

Le passé n’est pas un guide fiable pour le futur. La Chine a déjà étonné le monde avec sa capacité à se transformer dans un temps record. De nombreux spécialistes croient que l’entrée de la Chine dans l’Organisation Mondiale du Commerce amènera des changements dramatiques supplémentaires, puisque les chinois doivent faire face à une concurrence plus importante et à une présence étrangère largement accrue.

Pendant ce temps, M. Bush doit affronter les affaires d ‘état du moment, et doit évaluer les risques et les défis de la Chine contemporaine. Le fascisme classique était le produit de la guerre, et ses dirigeants faisaient l’éloge des vertus militaires et se sont embarqués vers l’expansion militaire. Les dirigeants chinois ont souvent proclamé un intention pacifique, alors qu’ils se préparent clairement pour la guerre, et ceci depuis de nombreuses années. Les optimistes insistent sur le fait que la Chine n’est pas expansionniste, mais les optimistes ont fait peu de cas des discours impérialistes d’Hitler, et longue est la rhétorique qui insiste sur le rôle historique de Beijing, comme s’il y avait un droit à surpasser le statut.
Alors, le fascisme classique devrait être le point de départ de tous nos efforts pour comprendre la République de Chine. Imaginez l’Italie 50 ans après la révolution fasciste, Mussolini mort et enterré, l’Etat intact, le parti toujours fermement au contrôle, la nation gouvernée par des politiciens professionnels et une élite corrompue plutôt que les vrais adeptes. Le système n’est plus basé sur le charisme, mais sur la répression politique, cynique non idéaliste, et les appels formulés au nom de la grandeur du grand peuple italien, sans fin sermonné afin de rivaliser avec la grandeur de leurs ancêtres.

C’est la Chine d’aujourd’hui. Et cela risque d’être le cas pour quelque temps.

Michael A. Ledeen universitaire de Freedom Chair à AEI.
Traduction non officielle de l'anglais

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