Médias, vols d'organes, et la Chine : Une interview d'Ethan Gutmann

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Ethan Gutmann, dans la vidéo de son interview avec le chirurgien taïwanais, Dr. Ko Wen-je. (Ethan Gutmann)

Un écrivain et journaliste primé examine la couverture du prélèvement forcé d'organes en Chine par la presse internationale. Ethan Gutmann est l'auteur du livre "The Slaughter" (Prometheus, 2014) et "Losing the New China" (Encounter, 2004). Ce journaliste d'investigation a écrit de nombreux articles à propos de la Chine pour des médias réputés comme the Wall Street Journal Asia, Investor's Business Daily, Weekly Standard, National Review ou encore World Affairs Journal. Mais a aussi fourni de nombreux rapports et témoignages pour le Congrès des États Unis, la CIA, le Parlement européen, la Société internationale pour les Droits de l'Homme à Genève, les Nations Unies, ainsi que les parlements d'Ottawa, Canberra, Dublin, Édimbourg et Londres. Ancien analyste politique de la Brookings Institution, Gutmann est apparu sur les chaînes de télévision PBS, CNN, BBC et CNBC.


Shelley B. Blank: Bonjour Ethan, félicitation pour votre nouveau livre, "The Slaughter." Où les gens peuvent-ils se le procurer ?

Ethan Gutmann: Merci Shelley. Allez sur les sites Amazon ou Barnes & Noble, ou dans n'importe quelle librairie pour l'édition reliée. À Londres, il semble que chaque grande librairie en ait une copie ou deux. Bien sûr, si vous êtes impatient de commencer la lecture, vous pouvez payer un peu plus - ne posez pas la question Shelley, cela me semble à moi aussi paradoxal - et télécharger la version électronique en quelques minutes. L'édition allemande va être publiée dans un mois ou deux. Je pense que l'on va voir apparaître aussi une version chinoise et tchécoslovaque, peut-être même une version audio en anglais vers la fin de l'année.


Mr. Blank: Cela fait-il une différence de lire la version électronique? Permettez moi de vous expliquer : sur un sujet aussi alarmant que le prélèvement forcé d'organes organisé par le gouvernement chinois, quelle différence avez-vous remarqué entre les lecteurs du numérique et de la presse Internet et ceux de la presse traditionnelle?

Mr. Gutmann: J'ai vu au moins une étude qui démontre - et cela correspond avec ma propre expérience - que ce qu'on retient d'un livre sous format numérique est significativement moindre. Cela ne veut pas dire que lire un livre sur une tablette est une perte de temps. Mais on est moins concentré. Moi certainement en tout cas. De plus, si vous lisez sur un ordinateur, le web entier - amis, loisirs, tentations, actualités - est à la portée d'un clic. Les articles Internet sur le prélèvement forcé d'organes en Chine ne font pas exception. Ce dernier point est pertinent pour ce qu'implique votre question. De plus en plus, la plupart des articles de nouvelles sont écrits pour le Web - spécifiquement conçus pour un espace où la satisfaction immédiate est juste là. Les articles à propos du prélèvement forcé d'organes en Chine sur le web ne font pas exception.

Même le militantisme (enquêtes, coups de téléphone, manifestations, etc...) a été remplacé par des échanges de tweet sur les réseaux sociaux. Hé, je veux être reconnu comme un héros des droits de l'homme comme lui - mais un tweet ne dit pas grand-chose. Ce n'est qu'une petite phrase qui affirme que des gens innocents sont tués pour leurs organes. Il n'y a pas de preuves. Cela n'a pas d'impact profond. Aujourd'hui, les gens n'ont plus le temps pour l'activisme. Dans un tel monde, "The Slaughter" ne devient rien de plus qu' un talisman, une relique, un appui qui démontre que c'est factuel et que des personnes comme vous et moi sont torturées et tuées. Bien sûr qu'il y en a. Et ces gens ne sont pas des noms sans visage. Ils avaient une vie, une famille et une personnalité. Est-ce que la majorité de ces Occidentaux - certes au grand cœur - qui diffusent ces messages sur le web ont la moindre idée de quels noms avaient ces gens? Je cherche dans mon livre à rendre ces victimes vivantes et proches - en fait c'est pour cette raison que j'ai écrit le livre - mais j'ai l'impression que les gens ne prennent pas le temps de lire. Les journalistes d'Internet exploitent subtilement cela.

C'est pour cette raison que le sujet du prélèvement forcé d'organes en Chine n'avance pas; la presse ne se fonde pas sur de précédentes découvertes. Au lieu de ça tout a l'air nouveau - les anglaises utilisent des crèmes de visage contenant du collagène extrait sur des prisonniers exécutés ! Le rapport "Bloody Harvest" dit que des pratiquants du Falun Gong sont tués ! Les Chinois ont tout à coup annoncé qu'ils vont cesser de voler les organes des prisonniers ! Ces déclarations ont déjà été rapportées en détails auparavant. De nombreuses fois. Cependant, il y a de vraies informations; il faut enquêter sur ce sujet - Kilgour et Matas, Epoch Times, WOIPFG [Organisation mondiale pour enquêter sur la persécution du Falun Gong], DAFOH [Médecins contre le prélèvement forcé d'organes] - ont fait de grandes percées dans la compréhension de l'affaire de prélèvement forcé d'organes en Chine au cours de ces années. Il y a toujours quelque chose de nouveau.


M. Blank: Vous avez dit "au cours des années". Combien exactement? Est-ce que je peux vous demander de dire quelques mots à propos de votre collègue récemment décédé : le journaliste, Danny Schechter.

M. Gutmann: L'enquête sur le prélèvement forcé d'organes a débuté en 2006. Revenons un peu en arrière. Danny Schechter était un ami et le complice de mes premiers projets en Chine. En fait, le premier reportage vidéo que j'ai jamais fait sur le Falun Gong -la première démonstration à D.C.- a été fait en partenariat avec Danny en août 1999. Nous formions peut être un tandem politique curieusement désassorti , mais Danny, qui était le premier auteur occidental d'un livre approfondi sur la répression du Falun Gong, a toujours pointé sa lance là où les autres avaient peur de marcher Et en 2000 il avait déjà prédit que la répression du Falun Gong pourrait bien devenir une tragédie comparable aux heures les plus sombres de notre histoire." Quelle intuition. Je n'oublierai jamais cet homme.


M. Blank: En ayant à l'esprit le désastre humain du pillage d'organes activement soutenu par le gouvernement chinois, quel impact pensez-vous que la littérature numérique et la communication multimédia a eu sur notre façon de traiter l'information?

M. Gutmann: C'est un paradoxe, mais l'apathie augmente en réalité.


M. Blank: Vous voulez dire que bien qu'il y ait davantage de couverture de l'information aujourd'hui le public s'y intéresse de moins en moins ? Que peu de gens, finalement cherchent à comprendre l'information ? Le trop plein d'information détruirait-il son but celui d'informer?

M. Gutmann: Oui, dans le sens où le simple volume d'atrocités mondiales - et leur nature explicite, comme dans le cas d'ISIS, les exécutions affreusement photographiées incluant des enfants, sans parler du reste - écrasent notre sensibilité. Par exemple, je viens d'apprendre qu'ISIS pratique aussi le vol d'organes. Bien évidemment, ce n'est pas comparable au nombre d'innocents qui ont subi ces prélèvements forcés d'organes dans les hôpitaux militaires en Chine, mais essayez de dire cela à une personne qui vient juste de regarder la vidéo d'un homme se faire brûler vif ! Dans notre monde connecté, le mal se répand aussi très vite - dans le cas du vol d'organes, c'est comme un virus. On le combat, mais on en paye le prix en émoussant la compassion. Le paradoxe c'est que quand on parle de la Chine, il n'y a pas beaucoup d'informations. Le nombre d'informations substantielles est très mince en réalité. C'est pour cela que chaque histoire individuelle, chaque information est si terriblement précieuse.


M. Blank: En Chine le gouvernement a à présent la capacité de couper les communications et les nouvelles comme un robinet d'eau. Des comités gouvernementaux sont apparus avant sur des sujets comme le "bouclier d'or" ou le système Cisco qui ont vanté leur "capacité à contrôler les services de chat en ligne et les mails, identifiant les IPs et toutes les communications antérieures de la personne pour ensuite être capables de la localiser ... Ensuite l'arrestation est faite."

M. Gutmann: C'est la réalité en Chine, oui. En Occident, l'Internet crée l'illusion que nous sommes tous reliés, omnipotents, comme un dieu. On a un ami chinois sur Facebook et on pense que l'on connaît la Chine. Nous ne la connaissons pas, et eux non plus; ils vivent dans un compartiment minutieusement construit à l'intérieur de leur pays. Voilà la vraie signification du Big-Brother Internet. Et ce modèle autoritaire a un futur et s'étend au-delà de la Chine, et au-delà des avertissements d'Assange ou de Snowden à l'occident. Les entreprises occidentales ont suivi le mouvement dans bien des cas, mais ce qu'ils ont aidé à construire est bien plus malin et dangereux que ce que la NSA a jamais réussi à créer.


M. Blank: Vous avez interviewé plus de 100 témoins incluant des survivants du Falun Gong , des médecins, des policiers et des directeurs de camp. Vous avez établi que 65 000 pratiquants de Falun Gong ont été tués pour leurs organes entre 2000 et 2008, et qu'à tout moment entre 450 000 et 1 million de pratiquants de Falun Gong sont détenus. Mais qu'il y avait aussi des victimes faisant partie d'autres groupe comme les Ouïghours, les Tibétains, et des chrétiens. En tant que journaliste, que ressentez vous à propos de la façon dont la presse internationale couvre ce désastre ? Et selon vous qu'est-ce que la presse devrait faire de plus ?

M. Gutmann: Je demanderai à la presse d'arrêter de réinventer la roue et qu'elle commence à enquêter par elle-même. Entre Kilgour, Matas et mon propre travail, vous pouvez trouver une feuille de route conduisant à de vastes zones inexplorées s'agissant de notre compréhension du pillage d'organes en Chine - par exemple, dans la composition des touristes d'organes occidentaux. Il y a un immense champ inexploré et qui se prête à l'exploration.


M. Blank: Pensez-vous que la profession médicale puisse faire quelque chose pour changer cette situation, autre que ce qu'ils font à présent ?

M. Gutmann: Shelley, ce sont eux qui jouent les rôles clés. Les Chinois ont annoncé le 1er janvier 2015 qu'ils avaient arrêté le vol d'organe sur les prisonniers. En fait, ils ont fait des promesses très similaires dès 2012. Cependant cette fois-ci, ils ont laissé un échappatoire interne : les prisonniers sont maintenant autorisés à être des donneurs d'organes volontaires conformément à leur nouveau plan . On ne sait pas comment les prisonniers seront comptés et de fait, le nombre officiel de transplantations et de donations d'organes est de plus en plus loin de toute réalité plausible. Et pourtant le corps médical occidental envisage sérieusement de récompenser la Chine pour cette supercherie - apparemment, ils sont trop polis pour ne serait-ce que soulever le concept de vérification !

On m'a récemment demandé d'écrire un article suppliant le corps médical américain de ne pas faire une telle chose. Cela peut sembler mesquin, mais j'ai expérimenté quelques résistances émotionnelles à écrire cet article, car je ne peux que répéter la phrase finale de mon livre; "Aucune organisation occidentale n'a l'autorité morale pour laisser le parti empêcher l'excavation d'un crime contre l'humanité en échange de promesses de réformes médicales. Nous devons conceptualiser, évaluer et enfin tirer une leçon de chaque plongée humaine dans la tuerie, c'est un mécanisme de survie de notre espèce. En fin de compte, peu importe que les historiens atteignent un consensus autour du fait que le prélèvement forcé d'organes en Chine fait écho à la corruption médicale de l'unité 731, ou à la brutalité organisée de l'Archipel du Goulag ou aux méthodes de conversion de l'inquisition espagnole. Le point crucial c'est qu'il y a une histoire. Et que seules les familles des victimes pourront acquitter le parti de sa dette.


M. Blank: Qu'est-ce qui, peut d'après vous amener à un dénouement positif et à une attention de la communauté internationale sur ce désastre?

M. Gutmann: Nous devons utiliser les outils dont nous disposons. Oui, l'Internet encourage un court laps de temps d'attention où les tweets et les mèmes sont rois et où Wikipedia est traité comme la source d'information faisant autorité. Mais après tout Internet a également développé une idée magnifique : nous pouvons tous participer. Et vous le pouvez aussi. Mais de même qu'il faut s'éloigner du feu de camp pour voir les étoiles dans la nuit, vous devriez peut-être vous éloigner un moment de votre écran. Lisez " The Slaughter " - lisez le avec discernement ! Lisez " Bloody Harvest " " State Organs " aussi. Ensuite développez votre propre recherche, vos propres projets créatifs et votre propre idée du militantisme. Les outils ont peut être changé mais la lutte contre le mal semble être éternelle.


Shelley B. Blank a travaillé en tant que journaliste mais aussi en tant que cadre pour de grands journaux nationaux et internationaux. Il a produit des programmes pour la Radio publique et donné des conférences sur les communications multimédias et la technologie modernes.


Traduit de l'anglais de :
Media, Organ Harvesting, and China: An Interview With Ethan Gutmann

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