Prélèvements d'organes: un témoin pourrait être déporté vers la Chine

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Une femme ouïghoure mendie alors que des paramilitaires chinois patrouillent les rues d'Urumqi, au Xinjiang. Un membre de la force paramilitaire du Xinjiang, possédant des informations sur le système de prélèvements d'organes forcés sur les prisonniers – géré par l'État chinois – demande l'asile en Suisse. (Peter Parks/AFP/Getty Images)

Un ex-membre de la police chinoise, qui possède des informations hautement confidentielles sur les prélèvements d'organes que l'État pratique sur des prisonniers, est actuellement embourbé dans des procédures d'immigration en Suisse et pourrait être déporté vers la Chine, où il pourrait faire face à l'exécution.

Tandis que les autorités suisses souhaitent appliquer les règlements rigides et abscons de l'Union européenne (UE) en matière de demande d'asile, des défenseurs des droits de l'homme avancent que le témoin ne devrait pas être déporté et qu'on devrait lui laisser transmettre les informations qu'il possède aux Nations Unies.

De 1993 à 1998, le Ouïghour Nijiati Abudureyimu était en poste à la prison de Liuwandao, dans la province du Xinjiang, située au nord-ouest de la Chine. Son emploi consistait à accompagner les prisonniers de leurs cellules jusqu'à leur mise à mort.

À plusieurs reprises, il ne fut pas question d'exécutions standard. Le prisonnier recevait une balle dans la tête d'une manière qui ne l'achevait pas, afin que les organes prélevés soient dans le meilleur état.

Le récit du temps passé par Abudureyimu dans un camp de travail forcé chinois n'a pas été complètement dévoilé. Ces derniers jours, cependant, il a accordé des entrevues à des médias européens afin de pouvoir demeurer en Suisse et ainsi témoigner devant l'ONU de ce qu'il a observé en Chine.

«Au bout d'un certain temps, j'ai dit à mon supérieur que je voulais retourner dans la police, mais il a refusé, car j'avais vu trop de choses. J'y suis resté cinq ans, jusqu'en 1998», a-t-il confié au quotidien Le Matin. «J'ai assisté à de nombreuses scènes de torture, dans la section des hommes et dans celle des femmes. Un appareil électrique sur les parties génitales des femmes, enfoncé dans le vagin, les décharges, les cris...»

Le cas de Abudureyimu est compliqué par l'application à la lettre par les autorités suisses du règlement de Dublin de l'UE qui indique que le pays d'entrée est responsable des procédures légales pour évaluer la demande d'asile du requérant. Pour Abudureyimu, il s'agit de l'Italie. Mais à cause de la présence de centaines de milliers d'immigrants chinois et la présence soupçonnée d'agents chinois qui l'attendraient de pied ferme, il a refusé d'y aller.

L'obligation du gouvernement suisse de l'autoriser à demeurer au pays est venue à échéance le 27 juillet. Étant donné son refus de quitter, c'est l'impasse.

Les sympathisants d'Abudureyimu insistent sur le fait que l'application rigide du règlement de Dublin est étrange dans son cas, car un nombre élevé de demandes d'asile de réfugiés chinois est régulièrement traité par le gouvernement suisse.

Fuir la Chine

Le périple d'Abudureyimu a débuté en Chine. Après avoir quitté son poste en tant qu'assistant bourreau au Xinjiang, il a sombré dans un monde d'alcool et de cauchemars. «Fin 2006, un jour où j'avais un peu trop bu de vodka, j'ai rectifié en public les propos d'un médecin sur le prix d'un rein, environ 300 000 yuans [45 000 $], bref, j'ai trop parlé. Peu après, un ami de la police m'a dit que j'étais fini, qu'il me fallait quitter le pays tout de suite», a-t-il affirmé au Matin.

Il a passé plusieurs mois avec son frère à Dubaï en 2007. Les questions répétitives d'un agent de police chinois lui ont fait comprendre que sa fausse identité ne collait plus et il a donc décidé de se rendre en Norvège. Faisant escale à Rome pour une nuit en septembre 2008, alors que sa destination finale était Oslo, on lui a émis un visa de visiteur.

Sa demande de statut de réfugié a été rejetée en Norvège et il a été menacé par un Chinois dans un camp norvégien pour demandeurs d'asile. À peu près au même moment, il a appris que son père, au Xinjiang, était décédé dans des circonstances mystérieuses.

Déporté de Norvège vers l'Italie, il a déposé une autre demande d'asile. Pendant que la demande était en traitement, il a passé quelques mois dans des camps italiens pour demandeurs d'asile. En Sicile, un Chinois l'a photographié avec son cellulaire. Il s'est donc à nouveau senti en danger et a tenté sa chance vers la Suisse cette fois-ci.

L'Office fédéral des migrations (ODM) en Suisse connaît la situation d'Abudureyimu, mais ne semble pas préoccupé outre mesure pour sa sécurité.

Alard du Bois-Reymond, le directeur de l'ODM, a défendu la position de son agence devant les médias suisses. «L'expérience a démontré que l'Italie ne répond pas si la Suisse demande de reprendre un réfugié. S'il n'obtient pas l'asile en Suisse, il pourrait être renvoyé en Chine.»

Ceci rend perplexes chercheurs et défenseurs des droits de l'homme qui sont surpris par le manque de flexibilité des autorités suisses.

Précieux témoin

Ethan Gutmann, auteur et chercheur qui étudie l'affaire des prélèvements d'organes en Chine depuis plusieurs années, considère que Nijiati Abudureyimu est un témoin important.

Gutmann et son chercheur associé Jaya Gibson, employé de La Grande Époque aux États-Unis, ont été les premiers à recueillir les propos d'Abudureyimu. Leurs efforts à son sujet ont conduit au reportage publié dans le quotidien Le Temps, qui a généré une tempête médiatique en Suisse.

«Il est essentiel que lorsque quelqu'un qui a travaillé au sein d'unités spéciales de la police chinoise sort de l'ombre pour témoigner de ce qu'il a vécu, il soit récompensé», a affirmé M. Gutmann à La Grande Époque. «Il y a beaucoup, beaucoup plus de témoins qui veulent parler, mais ils voient ce qui arrive à quelqu'un comme Nijiati et ils demeurent silencieux. Le gouvernement suisse devrait faire témoigner Nijiati devant une organisation gouvernementale.»

Les entrevues précédentes de M. Gutman avec Nijiati Abuduremiyu, qui sont «crues et détaillées sur le plan émotionnel», seront diffusées lorsqu'un partenaire média approprié aura été trouvé.

«C'est la partie visible d'un immense iceberg. Selon moi, les Ouïghours ont été utilisés comme cobayes pour les prélèvements d'organes de la même manière qu'ils ont été utilisés comme cobayes pour tester les armes nucléaires [chinoises] dans les années 1960. Le prélèvement d'organes à grande échelle sur des prisonniers de conscience n'a débuté, selon moi, qu'au moment de la persécution du Falun Gong, depuis les années 2001 à aujourd'hui», a expliqué M. Gutmann.

Des témoignages obtenus de Ouïghours, notamment de M. Abuduremiyu, confirme des allégations précédentes de réfugiés pratiquant le Falun Gong selon lesquelles il existe une immense prison au Xinjiang qui détient des criminels notoires et des prisonniers de conscience ouïghours et des pratiquants de Falun Gong. «Cela pourrait être le site d'une opération massive de prélèvements d'organes», estime-t-il.

À Washington, le Uyghur Human Rights Project porte également attention au dossier. «Nous prions les autorités suisses d'accorder l'asile à Nijiati, car il fera face à la persécution, y compris l'exécution, s'il est déporté en Chine pour quelque raison que ce soit», a indiqué Alim Seytoff, directeur du groupe, dans un courriel à La Grande Époque.

«Nous croyons que ses propos selon lesquels les autorités chinoises ont prélevé des organes sur des prisonniers ouïghours sont crédibles […] Nous espérons que la communauté internationale, et particulièrement les Nations Unies, vont enquêter formellement sur les prélèvements d'organes en Chine […] Nous espérons que Genève jouera un rôle proactif», a-t-il écrit.

Yves Brutsch, porte-parole pour les questions d’asile du Centre social protestant (CSP) de Genève, est du même avis. «Il a des choses importantes à dire à la communauté internationale : c'est un cas spécial.»

Dans une entrevue avec le média de langue allemande 20 Minuten, M. Brutsch a souligné que le règlement de Dublin permet à la Suisse de traiter la demande elle-même. «C'est une question de volonté politique.»

Stephen Gregory a contribué à cet article.

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