BBC: Le côté sombre de la Chine

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Samedi 16 March, 2002, 12:55 GMT
La police refuse souvent que ses actions soient rapportées

Si vous flânez au café Starbucks près de mon appartement à Beijing, vous le trouverez invariablement rempli de jeunes chinoises bien habillées qui sirotent leur moka ou leur cappuccino. Et juste de l’autre côté de la rue, s’élancent les arches dorées de Macdonald’s. Tout est très réconfortant.

LA CHINE EST UN MELANGE DE VIEUX ET DE NEUF

Aujourd’hui la Chine est une économie de marché en roue libre, ses cadres sont d’ailleurs éduqués à Harvard et Oxford.

Même ses dirigeants communistes côtoient Bush et Blair, et parlent de libre marché et de lutte contre la terreur.

En vivant ici il est facile de se faire accroire que la Chine a changé.

Mais c’est alors qu’il arrive quelque chose qui vous ramène brusquement sur terre. Il y a deux semaines, je me suis réveillé dans l’ambiance d’un tel événement. Alors que je me rendais à mon travail, une voiture noire fila dans une rue adjacente et commença à ralentir à quelques mètre derrière moi. Il y avait un autre véhicule identique garé devant la BBC. A travers la vitre fumée, j’ai pu reconnaître les formes de quatre hommes trapus qui m’observaient de près.


LA MANIFESTATION DE TIANANMEN

Que se passait-il donc ? Je pensais qu’avec le jour qui se levait tout allait s’éclaircir. Des manifestants occidentaux avaient été détenus à plusieurs occasions ces derniers mois. Les média déclarèrent que 14 membres du [groupe] religieux Falun Gong avaient été arrêtés dans un hôtel de Beijing. Il y eut ensuite un appel anonyme. « Il y aura une manifestation sur la place Tiananmen », a dit l’interlocuteur et il a raccroché.

Nous avons sauté dans la voiture ; comme nous sortions du bureau, pas une, ni deux, mais trois voitures noires sont sorties derrière nous. Sur la place Tiananmen, la sécurité n’avait jamais été aussi présente.

LES SUSPECTES MEMBRES DU FALUN GONG SONT SOUVENT ARRETES.

De nombreux policiers en uniforme étaient là, aux côtés de centaines de policiers en civil – de jeunes hommes costauds, tous les cheveux en brosse et équipés de téléphones portables. Alors que je me tenais là, je regardais des petits groupes de manifestants étrangers déployer des banderoles et commencer à chanter : ‘Falun Gong est bon ! Arrêtez la répression’.

Des quatre coins de la place, des centaines de policiers commencèrent à courir. En quelques minutes, c’était fini, les manifestants étaient plaqués au sol et chargés dans les véhicules de police qui attendaient. J’ai commencé à marcher vers la voiture de la BBC pour faire mon rapport.


LES INTERROGATOIRES DE LA POLICE

Mais alors que je passais devant l’immense musée d’histoire stalinienne sur le côté est de la place, une voiture de police s’arrêta près de moi en crissant. Deux hommes et une femmes en sortirent. « Qu’est ce que vous faîtes ? » m’ont-ils demandé.
« Rien » j’ai répondu.
« Vous devez venir avec nous », ont ils insisté.
Mon estomac s’est vrillé. L’espace d’un moment, j’ai vraiment pensé qu’il allait me frapper.
« Pourquoi ? » ai-je demandé en montant le ton. « Je n’ai rien fait ».
« Ca ne fait rien. Vous devez venir avec nous ».
Ils m’emmenèrent à un poste de police tout proche et me traînèrent de force dans une salle d’ interrogatoire.*

Plusieurs journalistes étrangers étaient déjà là. J’ai commencé à discuter avec l’un d’eux.
« Taisez-vous », a crié l’un des policiers.
« Qu’est ce que ça veut dire ? j’ai dit. « Vous ne pouvez pas m’empêcher de parler ».
« Je peux vous dire ce que je veux » a-t-il crié à nouveau. « C’est moi la police !».
Je lui ai dit qu’il était stupide – et c’était certainement la pire des choses à faire. Il se dirigea droit vers moi, m’attrapa à la gorge et me bouscula contre le mur avec un air renfrogné.
Mon estomac se serra. Et j’ai vraiment cru qu’il allait me frapper.
« Qui est stupide ? » il ricana, son visage à quelques centimètres du mien.
« Vous avez exercé une activité illégale.
« Vous êtes-vous inscrit pour aller sur la place Tiananmen ? Que faisiez-vous là-bas ? Qui vous a demandé d’y aller ? »
La série des questions dura pendant deux heures.

INTIMIDATION

Ils ont essayé de me forcer à signer une déclaration stipulant que j’avais enfreint les lois de la Chine en allant sur la place.

J’ai refusé et ils m’ont finalement laissé partir.

Les voitures noires étaient de retour, devant les bureaux de la BBC. La police est même présente au Starbuck. Pendant les quelques jours suivants, ils me suivirent partout où j’allais – au Starbucks pour un café, et même quand j’allais au parc avec mon fils. Les hommes robustes n’étaient jamais bien loin. Ils ne se cachaient pas – bien au contraire. L’idée était de m’intimider, de m’empêcher de faire mon travail de journaliste. C’était une irritation mineure, et après quelques jours, ils disparurent – au moins pour le moment. Cependant l’incident en dit beaucoup quant à la nature du système chinois.

LES DOSSIERS SECRETS

Les chinois qui osent critiquer ou s’opposer au gouvernement y sont confrontés au quotidien. Une dissidente en vue que je connais a été surveillée pendant dix ans par toute une équipe. Où qu’elle aille, quoi qu’elle fasse, ils sont toujours là dans l’ombre. Mais ce n’est pas que pour les dissidents. Le système de contrôle est bien plus fin. Le gouvernement chinois détient un dossier personnel sur chacun de ses citoyens – c’est ce que l’on appelle Dang An. Vous ne le verrez jamais – vous ne savez pas ce qu’il contient – mais il peut contrôler votre destin.

Une mauvaise remarque contre vous – un mauvais rapport à l’école, un désaccord avec votre patron, une consultation chez un psychiatre – tout vous suit pour le reste de vos jours.

Je connais quelqu’un qui a pu entr’apercevoir son Dang An. Il contenait une feuille de papier rose dont cette personne s’est rappelée ; cette feuille venait de son école primaire. Des choses qu’elle avait faites à l’âge de huit ans la suivent toujours plus de vingt ans après. D’ici que cela change, les cafés à la mode et les gratte-ciel de Pékin resteront un vernis pour une police étatique qui maintient le contrôle par la peur et la contrainte.

http://news.bbc.co.uk/hi/english/world/from_our_own_correspondent/newsid_1874000/1874755.stm

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