Monsieur le président,
En tant que simple citoyenne chinoise et en tant que mère d’un jeune garçon de 17 ans tombé au champ d’honneur lors du grand massacre de Tian’anmen, la nouvelle de votre visite en Chine a retenu toute mon attention. Ces dernières années, j’ai suivi avec intérêt vos prises de position sur plusieurs dossiers chinois. De nombreux citoyens chinois ayant une fine connaissance de la situation ont cependant exprimé des vues différentes des vôtres. Aujourd’hui, à l’occasion de votre visite en Chine, j’espère qu’au-delà des circuits officiels vous aurez la possibilité d’entrer en contact avec de simples Chinois pour mieux comprendre leurs cris du cœur.
Je ne puis comprendre pourquoi vous avez à dessein abordé la question de la levée de l’embargo sur les ventes d’armes à la Chine lors du sommet Asie-Europe à Hanoi, comme en a fait état la chaîne de télévision par satellite Phoenix. Vous avez déclaré que « l’embargo, qui date d’il y a quinze ans, n’[avait] plus aucun sens dans la Chine d’aujourd’hui » et qu'« il est une espèce de méfiance inutile et désobligeante à l’égard de ce très grand pays qu’est la Chine. C’est la raison qui conduit la France à souhaiter la levée de l’embargo », et vous avez ajouté : « La grande majorité des pays européens sont sur cette même ligne et s’orientent vers cette solution, qui pourra être adoptée, enfin je l’espère, en début d’année prochaine. »
Ce n’était pas la première fois que vous exprimiez ce genre de position, que de nombreuses familles de victimes du 4 juin 1989 et moi-même désavouons profondément. Comme vous l’avez rappelé dans votre discours, l’embargo sur les ventes d’armes infligé par les pays occidentaux à la Chine remonte à plus de quinze ans ; il date de l’effroyable massacre perpétré sur la place Tian’anmen il y a près de quinze ans. Dans la capitale chinoise, l’armée communiste avait fait couler un véritable bain de sang en utilisant les tanks et les mitrailleuses contre des étudiants et des citadins aux mains nues. Or ces gens-là n’avaient nullement l’intention de renverser le pouvoir du Parti communiste chinois (PCC). Ils réclamaient seulement des réformes limitées du système politique et l’arrêt de tous les phénomènes de corruption. A l’époque, mon fils, Jiang Jielian, n’était qu’un simple lycéen plein d’enthousiasme ; il est mort, innocent, lors de ce grand massacre.
Cette année, pendant la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire (ANP) et de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC), le Dr Jiang Yanyong, très estimé dans le monde entier pour avoir révélé le vrai visage de l’épidémie de pneumopathie atypique en Chine, a adressé une lettre à l’ANP, à la CCPPC, au Comité central du PCC et au gouvernement, dans laquelle il demande la rectification de l’appellation "incidents du 4 juin". A l’époque, le Dr Jiang Yanyong travaillait [comme chirurgien] à l’hôpital général de l’Armée populaire de libération. Il a participé en personne au sauvetage des blessés et il a vu de ses propres yeux les corps de nombreux étudiants et citadins tués. Dans sa lettre, il écrit : « J’ai vu des personnes au foie éclaté, criblé d’éclats de balles. Nous avons pris des photos et filmé ces corps. D’autre part, en procédant à des interventions, des chirurgiens ont découvert la présence de nombreux éclats dans les intestins des blessés. Cela montre que les balles utilisées n’étaient de toute évidence pas des balles ordinaires. Ces personnes avaient été blessées avec des balles à fragmentation, pourtant interdites par le droit international. » A cause de cette lettre, Jiang Yanyong a été placé en détention durant soixante jours.
Monsieur le Président, savez-vous que ce pouvoir pour lequel vous plaidez la levée de l’embargo sur les ventes d’armes est un pouvoir qui a fait tirer sur son propre peuple des balles à fragmentation ? Alors que ces balles sont interdites par les conventions internationales même dans le cadre de conflits internationaux, le gouvernement communiste a poussé la cruauté jusqu’à les utiliser contre son propre peuple ! Pour reprendre une formule ancienne, vous agissez comme si vous étiez « l’homme de main du tyran Zhou ». Vous vous opposez à la « théorie de la menace chinoise ». Certes, le régime communiste chinois ne nourrit plus, comme au temps de Mao Tsé-toung, le désir fou d’exporter sa révolution ; il ne constitue pas une menace pour la vie paisible des Occidentaux. Cependant, savez-vous quelle vie mène aujourd’hui la population chinoise sous la domination communiste ?
Quinze ans se sont écoulés depuis le massacre de Tian’anmen, mais le système de la dictature d’un parti unique, le PCC, n’a pas changé d’un iota. La situation des droits de l’homme en Chine ne cesse de se dégrader. Ainsi, à ce jour, les familles des victimes du 4 juin forment toujours un "groupe clandestin" qui n’a pas le droit d’honorer ouvertement la mémoire de ses chers disparus. A ce jour, pour s’être opposé à ce que l’on ouvre le feu sur les étudiants et les citadins, l’ancien secrétaire général du PCC et ancienne figure de proue du clan réformateur, Zhao Ziyang, est toujours privé de ses libertés individuelles fondamentales. A ce jour, le pouvoir communiste n’a de cesse de répondre par la répression aux plaintes et demandes de respect de leurs droits des agriculteurs, des ouvriers et des autres groupes sociaux peu influents ; il continue à traiter de façon cruelle les adeptes du Falungong et à réprimer les chrétiens et catholiques pratiquant dans le cercle familial [en dehors de l’Eglise officielle] ; il condamne toujours à de lourdes peines les intellectuels et cyberécrivains qui expriment des opinions politiques dissidentes. Bien que le principal coupable de la tragédie du 4 juin, Deng Xiaoping, soit décédé (j’ai d’ailleurs noté le « respect » que vous avez exprimé à l’égard de ce bourreau, « respect » qui a motivé votre visite pour la première fois à Chengdu, dans le Sichuan, dont il est originaire), bien que le bénéficiaire direct du massacre du 4 juin, l’ex-secrétaire général du PCC Jiang Zemin, se soit retiré de la scène politique et bien que le Parti communiste ait placé à sa tête une nouvelle génération de dirigeants, le gouvernement de Chine populaire persiste dans sa logique de bourreau en affirmant que ce massacre était « justifié » et refuse de reconnaître ses crimes dans cette affaire.
Parmi toutes les activités proposées au cours de l’année culturelle de la Chine en France, aucune n’avait trait aux droits de l’homme. La France fut la première République moderne d’Europe. La Déclaration des droits de l’homme issue de la Révolution française est un texte fondateur de l’Etat français. Selon le célèbre historien Jules Michelet, la Déclaration française des droits de l’homme témoigne des progrès accomplis par l’humanité au XVIIIe siècle dans sa quête d’égalité, de justice et de respect des droits de l’homme. Cette déclaration est le premier texte à valeur constitutionnelle réellement écrit dans un esprit d’humanisme et d’amour du prochain. Il est regrettable que vous vous écartiez fondamentalement de l’esprit de cette déclaration, de la tradition démocratique et du respect des droits de l’homme. A cette occasion, je souhaite vous mettre en garde : seule la classe de privilégiés qui espère maintenir son pouvoir a réellement besoin des armes sophistiquées de la France. La grande majorité du peuple chinois n’en a que faire ! Ce dont les Chinois ont un besoin urgent, c’est de pouvoir bénéficier de la même démocratie, des mêmes libertés et du même système de prestations et de protection sociales que les Français. J’ignore si vous avez lu Le Journal de Ma Yan [éd. J’ai Lu, 2004], qui a été un grand succès de librairie en France. Les Français ont été bouleversés par l’extrême pauvreté dans laquelle vivait la jeune fille. En réalité, en Chine, les enfants comme Ma Yan qui n’ont pas assez d’argent pour aller à l’école se comptent par centaines de milliers. La loi sur l’enseignement obligatoire en Chine n’est qu’un mensonge ! Pourquoi le gouvernement chinois, qui a assez d’argent pour acheter des armes coûteuses, n’en a-t-il pas assez pour prendre en charge la scolarité de ces enfants et leur permettre de suivre l’enseignement obligatoire ? Vous qui êtes sage et perspicace, ne pourriez-vous pas poser cette question aux dirigeants chinois ? A supposer qu’ils parviennent à vous donner une réponse cohérente, je vous prie de bien vouloir en tenir compte avant de leur livrer des armes.
Monsieur le Président, faire le commerce d’armements de pointe avec le régime communiste ne constitue pas une « marque d’amitié » à l’égard du peuple chinois ; vous et votre gouvernement ne devez pas espérer en retour une quelconque reconnaissance de sa part. Bien au contraire, une telle façon d’agir ternirait considérablement la renommée et l’image de marque de la République française dans l’esprit des Chinois. Ces derniers risquent fort de se demander si cette France, oublieuse de son devoir dans le seul but d’assouvir ses intérêts, est bien celle d’Hugo, de Zola et de Camus. Bien que la vente d’armes à la Chine permette aux pays occidentaux, dont la France se fait le porte-parole, d’engranger des profits colossaux, ce type de commerce, entaché de sang, constituerait un crime aux yeux des 1,3 milliard de Chinois qui se débattent dans la misère. Un crime que le peuple chinois n’oublierait jamais ! Dans ces conditions, comment pourriez-vous regarder en face la Chine et le peuple chinois quand ils auront accédé, un jour prochain, à la démocratie ? Pour éviter que votre conscience ne soit tourmentée, je vous demande de bien vouloir, après mûre réflexion, faire machine arrière.
Monsieur le Président, vous-même êtes père, votre épouse est mère. Tous deux, vous avez des petits-enfants. Votre femme et vous-même aimez tendrement vos enfants et petits-enfants. J’aimais aussi mon fils. C’est une caractéristique commune à la nature humaine. Par-delà la politique et l’économie, manifester un cœur aimant et sensible est un élément déterminant dans le maintien d’une haute moralité au sein du genre humain. Un dirigeant qui, pour assouvir des intérêts politiques et économiques, fait taire ses bons sentiments ne peut être qu’un vil politicien rejeté par son peuple et méprisé par l’Histoire. En revanche, celui qui est toujours animé par l’amour, qui a du cœur, qui place l’éthique au-dessus des intérêts matériels, celui-là restera comme un grand homme dans l’Histoire. Aujourd’hui, vous voilà confronté à ce choix ! Je ne suis qu’une mère qui a perdu son fils, une mère qui a été privée du droit de pleurer son fils disparu… Aujourd’hui, cette mère vous écrit pour épancher ses sentiments. Je n’espère pas une réponse de votre part, mais je suis convaincue que toutes les personnes qui ont du cœur (chinoises ou françaises) auront leur propre réponse.
Ding Zilin
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