Suite de la Première partie
Le matin du 25 avril Yu changea de vêtements. La probabilité qu'il soit abattu était élevée. Si quelqu'un devait nettoyer son cadavre, au moins il porterait des vêtements propres. Tel était le fil de ses pensées ce matin-là à Pékin.
Historiquement, une fois que le régime chinois qualifiait un groupe ou une personne d'ennemi dans la sphère publique, c'était la fin pour ce groupe.
À première vue, que Yu fût prêt à risquer sa vie pour soutenir une pratique de méditation pourrait sembler étrange. Yu était un homme rationnel. Diplômé de la prestigieuse université Tsinghua, il avait fait carrière en tant que spécialiste informatique dans une entreprise internationale.
Yu n’était pas naïf. Il n’avait pas une foi aveugle.
Il lui arrivait même de remettre en question les déclarations de ses anciens professeurs de Tsinghua, fait suffisamment rare dans un pareil environnement pour être noté. Mais Yu était un penseur.
Toutefois, il y avait une question pour laquelle il n’avait pas de réponse.
"Depuis que j'étais petit, je me demandais quel était le but de la vie", a-t-il dit. "Tout ce que nous accomplissions à l'école ou au travail ne procurait qu'un bonheur passager."
Yu avait éprouvé une mélancolie perpétuelle pendant toute sa jeunesse. Il a dit se souvenir distinctement de la première fois où il avait ressenti le vide de sa vie. Il avait alors 3 ans et était sur le point de faire sa sieste quotidienne avec sa classe de pré-maternelle.
On a dit à la classe d'être "les bons enfants du président Mao" et de s'endormir. Mais Yu n'arrivait pas à s'endormir.
Au lieu de cela, il regardait les rayons du soleil briller à travers la fenêtre de la salle de classe et se demandait quel était le but de la vie et si elle consistait à être "Le bon enfant du Président Mao."C'était un sentiment inconsolable qui ne l’a jamais vraiment quitté jusqu'au jour fatidique de ses 21 ans.
À ce moment-là, Yu souffrait de douleurs à l'estomac. Il prenait des médicaments qui coûtaient 200 yuans le flacon. Sa mère l'a convaincu d'essayer le Falun Gong, dont les exercices étaient connus pour avoir des effets bénéfiques sur la santé. Après un peu d'hésitation Yu a franchi le pas.
En 1993, Yu a assisté à une conférence de Li Hongzhi, le fondateur du Falun Gong.
"Je trouvais la paix dans l'art et la littérature, mais même cela était temporaire. La seule chose qui m’a vraiment permis de comprendre le but de la vie, ce sont les enseignements du Falun Gong. "
Yu a dit qu'il se souvenait distinctement de la conférence mentionnant qu'il fallait regarder à l'intérieur pour trouver des solutions au lieu de blâmer les facteurs externes, et que l'on devrait toujours penser aux autres d’abord.
"J'avais 21 ans quand j'ai entendu ça. J'ai senti que j'avais vécu les 21 premières années de ma vie avec un bandeau noir sur les yeux. "
Après avoir adopté la discipline spirituelle, Yu a commencé à considérer sa vie et ses problèmes différemment. En s'améliorant en tant que personne, par exemple en éliminant la jalousie ou les pensées négatives envers les autres, Yu a dit que la vie avait soudainement pris tout son sens.
Le concept de mettre l'accent sur l'intérieur plutôt que sur l'extérieur a eu un écho en Yu pendant les deux décennies suivantes. C'est un tel principe qui lui a permis de traverser ses moments les plus sombres.
Quand la persécution du Falun Gong a commencé en 1999, Yu a senti le besoin de s'exprimer. Il a assisté à des manifestations publiques. Il est sorti pour lever des banderoles sur la place Tiananmen.
"Je ne faisais pas les exercices du Falun Gong régulièrement. Mais je ressentais le besoin de me lever pour cela ", a-t-il dit. "Il est rare de trouver quelque chose qui donne un sens à la vie, en particulier dans une société comme celle de la Chine."
"Mais quand je participais à des manifestations, j'étais conscient des dangers", a-t-il ajouté. "J'avais vécu le 4 juin."
L'incident du 4 juin, également connu sous le nom de massacre de la place Tiananmen, était une manifestation dirigée par des étudiants à Pékin en 1989. Le régime a répondu en tirant sur des civils non armés avec des fusils d'assaut et des chars.
Yu connaissait personnellement plusieurs personnes qui étaient mortes ce jour-là. L'une d'entre elles était Jiang Jielian, un garçon avec qui il était allé à l'école de la maternelle au lycée. La mère de Jiang était Ding Zilin, qui a plus tard fondé le célèbre groupe d'activistes Les mères de Tiananmen.
Première arrestation
Yu a été arrêté pour la première fois lorsqu'il est allé déposer une pétition contre la persécution du Falun Gong au bureau de la sécurité publique le 15 octobre 1999.
"D’après la loi chinoise, ma pétition était légale", a-t-il dit. "Mais j'ai été arrêté quoi qu’il en soit."
Deux semaines plus tard, sa femme a également été arrêtée pour sa manifestation pacifique au bureau de la sécurité publique. Leur fils a été récupéré par ses grands-parents.
Yu est resté emprisonné pendant 38 jours lors de sa première incarcération au centre de détention de Haidian à Pékin. Il a été condamné à une peine de camp de rééducation par le travail.
Après sa libération, tout son corps était couvert de gale, en raison des conditions de détention difficiles et insalubres.
Un par un, les membres de la famille de Yu ont été arrêtés pour leur pratique du Falun Gong. Sa sœur était un professeur d'économie et de gestion à l'université Tsinghua. Elle a été condamnée à trois ans et demi de détention.
Yu savait que lui et sa femme seraient de nouveau ciblés, alors ils ont pris la fuite.
Yu et sa femme ont quitté leur maison avec leur fils de 3 ans en pleine nuit le 10 août 2001. Ils sont partis sans argent ni effets personnels.
“Nous étions vraiment des réfugiés.”a-t-il dit
Ils ont laissé leur enfant avec une amie de la famille, avec laquelle il a vécu 10 mois durant.
Les grands-parents ont récupéré l'enfant dès qu'ils ont eu les ressources nécessaires, mais le petit avait déjà commencé à prendre l'amie de la famille pour sa mère.
Transcender la peur
"De 1999 à Juin 2000, j'avais été paralysé par la peur", a déclaré Yu.
Avec ses connaissances en technologie, Yu aurait pu faire beaucoup plus que manifester avec une banderole à Tiananmen.
Il pouvait établir des canaux de communication cryptés et informer les médias étrangers de ce qui se passait en Chine. Mais il avait peur.
"J'avais peur parce que je savais de quoi le gouvernement était capable. Je connaissais la sauvagerie qu'ils pouvaient déployer. Je le savais, parce que j'en avais fait l'expérience ", a-t-il dit.
Il y avait une pratiquante de Falun Dafa en particulier qu'il connaissait à Pékin et dont l'histoire le poussait à contempler cette pensée : Quel est le prix pour notre peur ?
Son nom était Zhao Xin. Elle avait été professeur d'économie à l'université de Pékin. Elle n'avait que 32 ans quand elle a été torturée à mort.
Selon Minghui, un site Internet qui documente les récits de la persécution toujours en cours contre le Falun Gong, les vertèbres du cou de Zhao ont été fracturées à la suite de passages à tabac brutaux. Par la suite, elle a été emmenée à l'hôpital, où elle a subi une opération partielle de l'œsophage.
Après son opération, elle a perdu l’usage de la parole.
Yu lui avait rendu visite et se rappelait comment elle continuait à essayer de parler quand même, mais tout ce qu'elle pouvait faire, c'était de pousser de violents et douloureux soupirs.
"C'était étrange", s'est rappelé Yu. "L'hôpital a déclaré que ses vertèbres blessées au cou affecteraient sa capacité à respirer ... mais cela n'avait pas de sens de lui ouvrir l'œsophage."
"Ils l'ont fait pour qu'elle ne puisse pas parler, c'est très probable", a-t-il dit. "Ils ont coincé un tube en plastique dans sa gorge à la place. "
Néanmoins, après sa sortie de l'hôpital, Zhao a continué à demander à être emmenée sur la place Tiananmen dans son fauteuil roulant pour continuer à protester. Mais sa condition physique ne lui a jamais permis d'y aller. Six mois plus tard, elle est décédée.
Après avoir été témoin des experiences de Zhao, Yu sentait la nécessité d’aller de l'avant.
“Je sentais l’urgence de faire connaître la situation de Zhao Xin. L'urgence de permettre au monde en dehors de Chine de savoir. L'urgence de parler [pour ceux qui étaient persécutés],” a-t-il dit.
[à suivre]
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