Yu Chao à Bryant Park, New York, le 24 mai 2013. (Samira Bouaou/ Epoch Times Staff) |
Ils se rencontraient dans un endroit ordinaire, comme un Mc Donald ou un café. L’équipe observait depuis les grandes fenêtres du second étage, scrutant la foule pour voir si le correspondant étranger était suivi lorsque il ou elle entrait dans l’immeuble ...
Ils étaient six pratiquants de Falun Gong de Pékin à croire que les médias étrangers pouvaient aider au sujet de la situation en Chine.
De juillet 2000 à août 2002, ils ont établi des canaux de communication cryptés, et crée des plans complexes pour que les journalistes étrangers puissent interviewer des victimes persécutées par le régime chinois.
Leurs méthodes sont révélées pour la première fois.
Falun Gong est une pratique spirituelle de méditation aux racines très anciennes et basée sur les principes d’authenticité, compassion et tolérance. Jiang Zemin, chef du Parti communiste à l’époque, a lancé en juillet 1999 une campagne de persécution à l’échelle nationale, mû par son irrépressible jalousie de la popularité de la pratique, qui avait attiré 100 millions de pratiquants.
Bien que la pratique de méditation n’avait pas de motivations politiques, le Parti communiste chinois (PCC) voyait l’existence même d’un tel groupe comme une menace pour les principes sur lesquels il était fondé : détruire les traditions, et semer l’animosité et la méfiance au sein de la population chinoise.
En l’espace d’une nuit, la pratique a été vilipendée dans les média chinois, mais l’autre côté de l’histoire a rarement été entendue.
“Sans libre accès à la population chinoise, les journalistes occidentaux avaient bien du mal à savoir ce qui se passait en réalité," a déclaré Dana Cheng, un sino-américaine vivant aux Etats-Unis. Elle était en contact avec des journalistes occidentaux intéressés à rendre compte de la persécution. Elle les a mis en relation avec Yu Chao, un des recruteurs de l’équipe qui a trouvé des pratiquants persécutés prêts à parler à la presse.
Yu a établi des canaux de communication cryptés. Il avait été un spécialiste de la Technologie Internet pour une société internationale, avant de perdre son emploi en raison de sa pratique du Falun Gong.
Il était immensément difficile pour les journalistes d’organiser des interviews avec ceux qui étaient persécutés par le PCC, et tout autant d’entrer en contact avec des pratiquants de Falun Gong.
“Lorsque la persécution a commencé, les média chinois sont devenus des outils clés dans la persécution. La Télévision publique et les journaux publiaient quantité de reportages fabriqués pour diffamer le Falun Gong et inciter le public à la haine envers ses pratiquants" a expliqué Cheng. " Ils servaient le but de justifier la persécution et d'induire le public en erreur. Même lorsque les pratiquants n’étaient pas en prison, l’environnement créé par les médias faisait de la société une prison invisible. "
La presse étrangère avait besoin de la permission du gouvernement chinois pour voyager ou interviewer certains groupes en Chine. Il était impossible d’obtenir la permission de contacter des groupes persécutés. En conséquence, de nombreux médias étrangers ont repris les reportages du média chinois contrôlé par l’état pour rendre compte du Falun Gong lorsque la persécution a commencé.
Aujourd’hui les restrictions des médias en Chine se sont légèrement assouplies. La presse continue à être confrontée au refus des visas chinois, mais un changement s'est produit dans l’environnement lorsque des œuvres telles qu'un documentaire sur la dissidence d’ Ai Weiwei ont pu être filmées en Chine.
Mais au tournant du siècle, l’environnement avait été très différent. Dans la plupart des cas, les journalistes n’étaient pas autorisés à interviewer le citoyen chinois moyen pour couvrir des sujets que le PCC ne souhaitait pas voir couvrir.
“Travailler avec les journalistes occidentaux était très dangereux à l’époque en Chine,” s'est rappelé Wang Weiyu, un membre de l’équipe désigné pour choisir des lieux de rencontres sécurisés.
“En réalité j’avais vraiment peur,” a-t-il avoué. “C’était très difficile parce que le PCC suivait de près les journalistes étrangers vivant en Chine, en particulier de 2000 à 2002 ."
Une partie cruciale de leur travail était d’assurer une communication sécurisée entre les citoyens chinois et la presse occidentale à une époque où les journalistes des pays occidentaux étaient sous étroite surveillance en Chine.
“Les journalistes occidentaux ont été étroitement suivis par des agents chinois au point d'interférer avec leurs vies personnelles,” a fait observer Cheng.
Ils sont entrés en contact avec des journalistes des principaux média tels que le Time Magazine, la BBC, le Washington Post, les Presses Associées et le Wall Street Journal. Certains avaient fait spécifiquement le voyage en Chine pour couvrir la persécution, tandis que la plupart travaillaient depuis leurs bureaux à Pékin.
Il existe un bureau spécial de la sécurité publique, le 13ème Bureau, qui veille à la sécurité des hôtels et d’autres lieux où les journalistes occidentaux sont susceptibles d’aller. Les journalistes étaient souvent suivis. Leurs téléphones étaient sur écoute. Lorsqu’un journaliste occidental s’enregistre dans un hôtel, une des premières choses que fait le réceptionniste est d’appeler le bureau de la sécurité pour leur faire savoir que le journaliste est arrivé.
Yu aidait les journalistes étrangers à télécharger les fichiers de chiffrage. Ian Johnson du Wall Street Journal a vu son fichier divisé en 30 parties distinctes.
Leur principale communication avec les journalistes se faisait par email crypté. Ils parlaient parfois au téléphone mais ils changeaient fréquemment de cartes SIM. Ils passaient toujours à une nouvelle carte Sim une demi-heure avant qu’un appel ait lieu.
Ils sécurisaient toujours deux lieux de rencontre. Wang visitait chaque endroit plusieurs fois avant une rencontre .
Le premier endroit permettait généralement à ceux à l’intérieur de regarder dehors et de voir qui approchait—les restaurants McDonald, par exemple, fonctionnaient bien. Ces endroits étaient des postes de contrôle pour déterminer si le journaliste était suivi et par combien de personnes.
Ils disaient au journaliste de ne pas acheter de nourriture et de monter directement au deuxième étage. Si quelqu’un le suivait directement à l’étage, c’était un drapeau rouge. Le journaliste ne parlerait à ni ne rencontrerait personne de l’équipe.
Ils observaient les gens qui venaient et regardaient à l’intérieur du restaurant sans entrer – un autre drapeau rouge. Ils observaient ceux qui entraient à la suite du journaliste. L’équipe prenait alors une décision sur le champ soit d’interrompre la rencontre soit d’aller de l’avant.
Un taxi emmenait le journaliste à un endroit où il pourrait se débarrasser de tout poursuivant. Par exemple, une route avec une médiane rendant un demi-tour impossible. En dessous de la route il y avait un souterrain pour piétons.
Le journaliste sortait du taxi, descendait rapidement et traversait le souterrain. Il était impossible à une voiture qui suivait d’aller de l’autre côté de la route pour observer le journaliste. Le souterrain conduisait à une étroite allée impraticable en voiture. Au bout de l’allée un taxi attendait. Le journaliste y sautait et aurait disparu avant que quiconque puisse le suivre.
Les possibilités qu’ils se fassent attraper et arrêter étaient élevées. Il y avait des fois où un journaliste était suivi par pas moins de six groupes d’agents.
Néanmoins pendant deux ans, Yu a aidé à organiser des interviews entre des pratiquants de Falun Gong et une douzaine de journalistes. Une vingtaine de pratiquants persécutés ont été interviewés. Les journalistes et les personnes interviewées ont toujours été en sécurité.
Mais les histoires avaient un coût.
" Nous n’étions que quelques-uns, mais nous travaillions contre une système national " a précisé Yu. “Nous savions que ce n’était qu’une affaire de temps avant que nous soyons tous arrêtés.”
Plus ils divulguaient d'informations, plus tôt ils pouvaient être arrêtés.
“C’était un délicat équilibre entre notre sécurité personnelle … et la protection des droits humains élémentaires,” a dit Yu.
Yu n'apparaissait jamais pour rencontrer les journalistes. Il ne faisait que communiquer avec eux par email.
“Philip Pan ne se souviendra pas de moi, mais il se souviendra du Modern Plaza dans le crépuscule sur son trajet en taxi jusqu’au café où il a rencontré une victime ,” a souri Yu. Pan faisait à l’époque des reportages pour le Washington Post.
Charles Hutzler des Presses Associées ne se souviendrait pas non plus de Yu, mais il n’aura pas oublié l’Hotel tibétain à Pékin où il a interviewé un pratiquant persécuté.
Certains des pratiquants interviewés ont été ultérieurement arrêtés. Certains ont disparu en conséquence de manifestations continues.
En août 2002, Yu, Wang et leurs épouses ont été arrêtés. Outre diriger l’équipe de presse libre, Yu faisait aussi fonctionner un centre d’impression, où 700 000 dépliants anti-persécution avaient été imprimés.
“J’avais deux collègues. Les deux autres ont été arrêtés et peut-être ont-ils mentionné mon nom, " a dit Yu. Il a été condamné à près de dix ans d’emprisonnement, prélude à une décennie d’horribles tortures.
Wang a écopé de huit ans et six mois de prison. Il a réussi à s’enfuir et a trouvé refuge aux Etats-Unis en juillet 2013. Yu vit à présent à Chicago.
C’est là l’histoire de ce que coûte la parution d'un article véridique à propos de la Chine, et la raison pour laquelle ces dissidents ont décidé de saisir cette opportunité .
(à suivre …)
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