Philippe Dessertine et le dévisement1 de la Chine

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Politiquement plutôt fermée sur elle-même, la Chine ne dévoile pas à la légère son vrai visage, ses rêves, ses désirs, ses intérêts, ni même aux plus courageux de ses «explorateurs» occidentaux. (Photos.com)

Depuis le XIIIe siècle, époque des premières missions papales envoyées en Extrême Orient et de l’explorateur marchand vénitien Marco Polo, avec sa fabuleuse carrière à la cour de l’empereur mongol et son voyage jusqu’au pays lointain du Cathay, l’Occident n’arrête pas d’essayer de découvrir le mystérieux Empire du Milieu. Malgré tous ses efforts, ce dernier reste encore, dans l’ère de la révolution informationnelle et communicationnelle, très peu accessible. Politiquement plutôt fermée sur elle-même, la Chine ne dévoile pas à la légère son vrai visage, ses rêves, ses désirs, ses intérêts, ni même aux plus courageux de ses «explorateurs» occidentaux. Sa classe politique actuelle se cache derrière des apparences attrayantes qui peuvent vite contenter certains occidentaux. Mais ce n’est pas toujours le cas.


Un spécialiste de la finance converti à la littérature

Expert de l'économie et de la finance, professeur à l’université Paris X Nanterre, directeur de l’Institut de la Haute Finance, président du Cercle de l’Entreprise, Philippe Dessertine déclare dans ses interviews qu’il s’intéresse depuis plusieurs années à la Chine, à son développement économique et financier ultra-rapide et aussi à sa vie politique peu transparente pour l’observateur occidental. Auteur de plusieurs ouvrages et articles sur l'information financière, en novembre 2012 il vient bouleverser l’actualité littéraire, en publiant cette fois-ci un roman.


Le gué du tigre nous raconte, tout en romançant et alternant des passages de fiction pure avec des parties documentaires, une histoire vraie, récente et tout à fait extraordinaire. Selon Philippe Dessertine, il s’agit, en réalité, de «l’un des événements majeurs de l’histoire contemporaine». Le caractère fictionnel de son livre lui offre une plus grande liberté d’expression et a aussi l’avantage d’illustrer un point de vue particulier sans en altérer les faits réels sur lesquels le livre est fondé.

Réalité et fiction

Dans l’Avertissement qui ouvre le roman, Philippe Dessertine nous annonce simplement que «dans ce livre, tout est faux et pourtant tout est vrai». Il n’exagère pas, car la réalité dépasse souvent la fiction.


Le 6 février 2012, Wang Lijun, le policier le plus célèbre de Chine, connu comme combattant incorruptible contre la mafia chinoise, débarque sans prévenir dans le consulat américain de Chengdu, en cherchant à préserver sa vie pensant être en danger de mort, dans son pays. Traqué par son ancien patron, Bo Xilai (l’un des plus influents «princes rouges» – appellation donné aux fils des anciens camarades de Mao – qui devait sûrement intégrer en 2012, lors du XVIIIe Congrès, le Comité Central du PCC et, peut-être, devait-il même parvenir au pouvoir suprême de l’État), l’ex-directeur de la sécurité de la ville de Chongqing demande officiellement aux États-Unis l’asile politique. Sa demande sera acceptée dans un premier temps et ensuite refusée brusquement par les autorités américaines, qui veulent éviter à tout prix un conflit diplomatique avec le gouvernement chinois. Mais pendant les trente heures passées dans le consulat américain, qui sera pratiquement assiégé par l’armée et la police chinoise, Wang Lijun fera, devant la vice-consul Ann Robertson et sa secrétaire Wei Xu et devant le monde entier, des révélations sensationnelles, qui changeront le cours de l’histoire.


Les services secrets américains se retrouvent face à une mine d’or, car Wang Lijun leur parle d’affaires qu’ils ignoraient totalement. Il s’agit de la lutte pour le pouvoir à la tête du PCC, entre les deux factions, les «Princeling» (soutenus par la clique de Jiang Zemin) et les «Tuanpai» (le groupe du président sortant, Hu Jintao), de l’«Audace de l’Argent» (le nom est inventé), une Triade patronnée par Bo Xilai avec d’énormes ramifications internationales , qui a comme but d’accaparer le pouvoir financier et politique en Chine et puis dans le monde entier, d’un assassinat commis de sang-froid par Gu Kalaï, la femme de Bo Xilai, contre un homme d’affaire britannique, mais aussi d’un vaste plan d’assassinat contre le futur président, Xi Jinping, orchestré aussi par Bo Xilai et ses gens.


En même temps, ce policier «courageux», s’avère être un bourreau comparable aux criminels nazis. Il a emmené avec lui et montré cyniquement à tout le monde des preuves incontestables des crimes contre l’humanité commis par des hauts dirigeants du parti communiste, y compris Bo Xilai et lui-même, sur l’ordre de l’ex-président Jiang Zemin. Il y a, parmi d’autres horreurs, des vidéos qui montrent une scène de tortures et des prélèvements d’organes pratiqués sur des personnes encore vivantes. À travers ses personnages, le romancier parle explicitement de ces victimes et de la persécution menée en Chine contre les disciples de Falun Gong, depuis 1999 jusqu’à présent.


Affolées par cette fuite d’informations, les autorités chinoises veulent récupérer à tout prix Wang Lijun et suite à des négociations très délicates entre les deux gouvernements, l’ex-policier retournera, volens-nolens, auprès des siens, avec la garantie qu’il ne sera ni accusé de trahison, ni condamné à mort, mais seulement à quinze années d’assignation à résidence. Officiellement le rideau tombe sur l’affaire: «La scène est surréaliste, j’en ai conscience. Mes quatre malheureux GIS rendent les honneurs à un magistrat chinois coupable de crimes contre l’humanité». Mais le comble de l’ironie n’est pas là.

Sun Tzu et le théâtre d’ombres chinoises

Philippe Dessertine n’a pas choisi par hasard comme épigraphe de son roman un très célèbre fragment d’une œuvre fascinante, écrit au VIe siècle av. J.-C. par un général chinois, hypothétiquement nommé Sun Tzu: «Connais ton ennemi et connais-toi toi-même; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux…». Comme ce n’est pas par hasard non plus qu’il va clore Le gué du tigre avec une autre citation appartenant au plus ancien traité de stratégie militaire du monde. Tout ce qu’on a lu, même si c’est bien réel, s’avère à la fin un vrai théâtre d’ombres chinoises2. "Je ne sais pas comment définir l’étrange sentiment qui me traverse alors. Tout se passe comme s’ils étaient dans leur rôle, qu’ils débitaient de façon mécanique des répliques apprises par coeur. Comme s’ils étaient les acteurs et moi le public", va dire la vice-consul qui assistait ahurie aux négociations entre Kong Tao, personnage réel, et le fugitif "repenti".


En fait, Wang Lijun n’a jamais trahi son vrai patron, Jiang Zemin. Il a seulement exécuté «la marche à l’ennemi3» pour faire, en passant, chuter Bo Xilai avec l’aide des Américains et des médias internationaux. Ce «manipulateur d’âmes», comme l’appelle Wei Xu, la pratiquante de Falun Gong, offre la clé de toute cette histoire dans le dernier chapitre du roman, dans une scène mémorable, mais cette fois-ci, très probablement inventée. Les deux personnages féminins ont fait face au Tigre. C’est la confrontation entre deux principes éternels, le yin et le yang, qui s’opposent et gardent l’univers en équilibre depuis toujours.


«Nous sommes ennemis désormais. La Chine veut la tête de l’Occident en général, des États-Unis en particulier. La lutte pour la suprématie mondiale est engagée, et il nous semble évident que l’Empire du Milieu occupera tôt ou tard la place qui lui a toujours échu: la première. […]


- Et ce que nous avons vécu au consulat avait un sens dans la perspective de notre affrontement futur?

- Oui. Il avait pour but de vous tester.»


Quand l’Occident s’éveillera

C’est évident, Le gué du tigre n’est pas un roman à une seule dimension. Il peut être lu à des niveaux différents. Thriller palpitant, mélange extrêmement réussi de fiction et de réalité historique immédiate, oui, mais, sans aucun doute, un excellent guide introductif dans la vie politique chinoise contemporaine. Au-delà de tout cela, il est très possible que Philippe Dessertine, observateur extrêmement intelligent et raffiné de notre monde, ait écrit un tel ouvrage pour tirer un fort signal d’alarme. Il veut réveiller l’Occident. Il dit d’ailleurs, en toute transparence, qu’il essaie de «rompre avec la myopie de l’Occident obnubilé par son propre nombril et ses stratégies à court terme». Espérons qu’il réussira.

1 «Description, discours portant sur un sujet précis» - Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500)
2 Un théâtre d’ombres chinoises consiste à projeter sur un écran des ombres produites par des silhouettes que l'on interpose dans le faisceau lumineux qui éclaire l'écran
3 «La marche à l’ennemi» est un concept fondamental que Sun Tzu évoquait déjà il y a 2.500 ans. C’est une manière d’agir, très délicate à utiliser, en prenant l’exemple de l’eau. C’est le fait de ne pas avoir encore, au moment du contact, décidé de la manœuvre à suivre, celle-ci s’élaborant en effet en conduite, en réaction à l’action de l’adversaire.

Source anglaise :
http://www.epochtimes.fr/front/13/1/18/n3507816.htm

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