Cette enquête de Yemeli Ortega Luyando, jeune journaliste mexicaine en deuxième année de Science Po a remporté le 3ème prix du Prix Daniel Pearl, créé par le Wall Street Journal et l'École de journalisme de Sciences Po, en mémoire du journaliste assassiné par des extrémistes au cours d'un reportage au Pakistan en janvier 2002.
Paris, le 15 mars 2010,
Sous les arbres du Jardin du Luxembourg, lieu de rencontre archétypal pour les Parisiens, un groupe de français et de chinois pratiquent, concentrés, une série d'exercices physiques chaque matin. Leurs mouvements ressemblent à ceux d’un art martial doux et sacré, mais au delà de la paix et de la beauté qui en émanent, il y a une histoire de torture et de persécution.
Ces exercices font partie du Falun Gong, un mouvement spirituel inspiré du Confucianisme, du Bouddhisme et du Taôisme. Après avoir été le mouvement spirituel le plus populaire en Chine, le Falun Gong est aujourd'hui officiellement interdit par le gouvernement chinois
"Mes deux parents ont été arrêtés et torturés à mort parce qu'ils pratiquaient le Falun Gong. Puis la police est venue pour moi. Après avoir mis à sac mon appartement, ils m'ont battue jusqu'à ce que je perde connaissance. Puis ils m'ont emmenée en prison, à Shizilou" a dit Yajun Feng, la seule réfugiée politique en France qui ait pu sortir de prison après avoir été persécutée pour sa pratique du Falun Gong.
"Puis j'ai été emmenée au centre de détention de Nanyang pour un lavage de cerveau. Ils m'ont affamée et privée de sommeil pendant 22 jours… Ils voulaient me faire perdre la raison afin que je renonce au Falun Gong" a ajouté ce petit bout de femme loin de faire ses 41 ans, et dont le sourire incessant n'inspire aucune joie mais plutôt un formidable effort pour dissimuler une douleur profonde.
Authenticité, Compassion, Tolérance, ce sont les principes du Falun Gong, un mouvement qui est aujourd'hui populaire à travers le monde et qui a été fondé par M. Li Hongzhi en 1992. Au début, le gouvernement chinois tolérait son existence, mais les choses ont changé en 1999 quand l'ancien président, Jiang Zemin, a réalisé qu'il y avait plus de 70 millions de pratiquants dans une nation de 1,2 milliards d'habitants. Autrement dit, comme il y avait plus de pratiquants de Falun Gong que de membres du Parti communiste, le gouvernement a cru sa sécurité nationale menacée.
Un corps extra constitutionnel a alors été créée sous le nom de "Bureau 610" afin d'éradiquer le Falun Gong. "Le gouvernement promet un salaire élevé aux policiers qui nous torturent" a déclaré Yajun Feng, tout en agitant nerveusement ses mains. "Diffamez leur réputation, ruinez-les financièrement, détruisez-les physiquement" sont les ordres donnés par Li Lanqing, le chef du bureau 610."
Personne de la délégation chinoise à l’UNESCO n'a accepté de parler de ce sujet. Ni à l'ambassade de Chine en France, mais leur site Internet déclare que le Falun Gong est "une secte démente" et que "la Chine est prête à créer un front unifié pour le combattre." Néanmoins, la Mission inter ministérielle française contre les dérives sectaires (Miviludes) ne considère pas que le Falun Gong soit une secte, vu qu'il n'y a pas de membres ni d'engagements financiers obligatoires.
"Tout est bon dans le Falun Gong" déclare Giovanni Gianquito, 39 ans, un des quelques 200 pratiquants de Falun Gong français. Il pratique les exercices et médite chaque jour par n’importe quel temps. "Ma santé s'est immensément améliorée, je suis devenu une meilleure personne et j'ai eu la réponse à pratiquement toutes mes questions existentielles" a-t-il dit regardant son reflet dans l'eau à la fontaine principale. "C'est vraiment ridicule de voir comment le gouvernement chinois réagit envers ce mouvement pacifique" s'est-il exclamé en levant le ton.
"Il n'y a pas de mots pour expliquer ce qu'ils m'ont fait" a déclaré Yajun Feng, essayant de son mieux de retenir les larmes qui lui montent aux yeux. "Et pourtant j'ai eu de la chance, je n'ai souffert qu'un peu comparé aux horreurs que d'autres ont vécu." Sa voix se fait sombre en décrivant les piques de 20 centimètres qu'on enfonce sous les ongles des gens, les mamelons des femmes qu'on brûle avec des cigarettes et les 18 dames qu'elle connaît qui ont été emmenées dans la cellule de prisonniers mâles pour y être violées. "La police utilise les criminels pour nous torturer. Leur peine est réduite s’ils coopèrent."
Après 22 jours de torture, Yajun Feng a signé un document disant qu'elle renonçait au Falun Gong. Elle a été alors emmenée à Sujiatun, un camp de travaux forcés. "La première chose qu'ils m'ont fait est une analyse de sang. J'ai trouvé ça bizarre… Aujourd'hui je comprends que c'était juste la procédure officielle afin de prélever mes organes et les vendre."
Effectivement dans leur livre Bloody Harvest, le canadien David Matas, célèbre avocat international des droits de l'homme et David Kilgour, ancien député et Secrétaire d'Etat du gouvernement canadien ont confirmé par des milliers de témoignages que l'écrasante majorité des prisonniers en Chine sont des pratiquants du Falun Gong et qu’ils ont eu une analyse de sang comme pré-requis pour les transplantations d'organes.
Ils expliquent que jusqu'au 17 mai 2006, le site Internet du Centre d'assistance du réseau de transplantation international chinois (CITNAC), qui a aujourd'hui disparu, indiquait dans sa version anglaise que des donneurs de viscères (organes intérieurs mous) peuvent être trouvés immédiatement."
"Comme je viens d'une famille riche, j'ai pu payer ma garde à vue avant que la police ne prenne mes organes" a confié Yajun Feng. Souffrant toujours de syndromes post-traumatiques elle est reconnaissante d'être en vie, mais ne peut s'empêcher de penser à tous ceux qu'elle a laissés derrière. "Qui sait combien de personnes sont toujours en danger!".
"Il n'y a pas de chiffres officiels" regrette Francine Serveau, une experte dans les affaires chinoises pour Amnesty International France. "Mais c'est un fait que des milliers de personnes qui appartiennent au Falun Gong sont exécutées. (…) Leurs organes sont prélevés afin d'être vendus. Il y a un énorme trafic d'organes qui est très profitable au gouvernement chinois."
“Rein US$62 000, foie US$98 000-130 000, poumon US$150 000-170 000, cœur US$130 000-160 000, cornée US$30 000”. Ce sont les prix qui étaient annoncés sur le site Internet de la CITNAC, selon le rapport de M. Matas et M. Kilgour.
Dr Francis Navarro, directeur du département chirurgie et transplantation de l'hôpital de Montpellier en France, a confirmé l'information. En outre il a été invité à l'hôpital de l'université de Shendu en Chine en 2006 pour enseigner sa technique de transplantation. "J’étais censé pratiquer une transplantation classique de foie, ce qui signifie que l'organe entier est prélevé sur un corps tout juste mort. Comment des gens en Chine peuvent-il être sûrs que quelqu'un va mourir naturellement le jour où je suis supposé arriver, afin que j'ai un foie prêt à être transplanté?"
Aspirant à mettre fin à la mafia des organes, le Dr Navarro a alerté ses collègues et le secrétaire d'État français, Bernard Kouchner. Amnesty International l'a fait également. L'Association française de Falun Gong et Wu Baozhang, ancien rédacteur en chef du département chinois à Radio France Internationale, ont organisé une conférence de presse à l'Assemblée nationale l'été dernier, pour dénoncer le scandale.
"Mais personne ne s'en soucie", regrette M. Baozhang. "Les intérêts économiques et politiques viennent au sommet des priorités du gouvernement français. Paris ne veut tout simplement pas gêner Pékin ". En effet, quand on a interrogé la Commission nationale française des droits de l'homme à propos de la persécution, la torture et le prélèvement d'organes que le gouvernement chinois mène contre les pratiquants du Falun Gong, la réponse a été catégorique: "Nous n'avons rien à dire. Nous n'avons même pas un dossier à ce sujet".
Nerveux, le Dr Navarro s'est proposé lui-même comme candidat aux élections régionales françaises. "Avant tout je suis médecin et défenseur des droits de l'homme, mais je dois devenir un politicien afin d'être entendu par les dirigeants français, je ferai ce qu'il faut."
Selon le professeur Yves Chapuis, un pionnier de la transplantation en France et président de la Commission Ethiques et Droits à l'Académie de médecine française, le gouvernement français est très prudent parce que depuis l'année dernière les choses semblent changer en Chine. "Je sais, de sources sûres et proches, que le Ministre de la santé chinois, Chen Zhu, essaye vraiment d'abolir le prélèvement d'organes. Un de mes collègues qui se trouve actuellement en Chine observant les pratiques de transplantation, a confirmé cette information" a déclaré le professeur qui espère une chute très sensible des transplantations pratiquées en Chine cette année.
"Il y a eu environ 5000 transplantations pratiquées en Chine en 2008. S'il n'y a plus de prélèvement d'organes, il n'y aura plus de transplantations, n'est ce pas?" a déclaré le Professeur Chapuis avant de conclure : "mais, même si les chiffres confirment que le prélèvement d'organes est aboli, cela ne veut pas dire que la persécution des pratiquants du Falun Gong a cessé."
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