Après enquête sur un cas de génocide, un juge argentin a émis un mandat d’arrêt à l’intention de hauts responsables chinois pour leur rôle dans la persécution de la discipline spirituelle du Falun Gong.
La décision du 17 décembre du juge Octavio Aráoz de Lamadrid établit un précédent légal dans les annales judiciaires de l’Argentine, dont le système judiciaire lui permet de traduire en justice des accusés étrangers pour crimes contre l’humanité.
Le juge a lancé des mandats d'arrêt nationaux et internationaux contre Jiang Zemin, ancien dirigeant du Parti communiste chinois, et contre Luo Gan, ancien chef du Bureau 610, une agence extrajudiciaire mise sur pied pour mener et gérer la campagne contre le Falun Gong. Le mandat doit être appliqué par le Département d'Interpol de la Police fédérale d’Argentine.
Cette affaire fait suite à une décision similaire en Espagne en novembre 2009, dans laquelle cinq dirigeants communistes ont été inculpés par la Cour nationale d'Espagne pour leur rôle dans la persécution du Falun Gong.
Dans ce dossier, le juge espagnol Ismael Moreno a accepté les accusations de génocide et de torture après deux années d’enquête. Jiang Zemin, qui est largement considéré comme l’initiateur et l'architecte derrière la campagne lancée en 1999 pour «éradiquer» le Falun Gong, fait aussi partie des accusés.
Selon les statistiques du régime chinois à l'époque, entre 70 à 100 millions de personnes pratiquaient la discipline qui combine des exercices lents à des enseignements spirituels.
Luo Gan fait également face à des accusations de génocide et de torture dans le cas espagnol pour avoir dirigé le Bureau 610.
Les trois autres accusés sont Bo Xilai, actuel secrétaire du Parti à Chongqing et ex-ministre du Commerce; Jia Qinglin, le quatrième plus haut membre dans la hiérarchie du Parti; et Wu Guanzheng, chef du Comité disciplinaire interne du Parti.
Un article qui a valu à Ian Johnson du Wall Street Journal le prix Pulitzer en 2000 documente comment les sanctions financières et la pression politique imposées par Wu Guanzheng sur ses subordonnés ont conduit les autorités de la ville de Weifang à torturer – et parfois tuer – les résidants pratiquant le Falun Gong.
Dans le cas en Espagne, les accusés pourraient aussi faire face à un mandat d’arrêt international. Il leur reste moins de deux semaines pour répondre à une lettre du juge Moreno qui inclut une vingtaine de questions liées à leur implication dans la persécution du Falun Gong en Chine.
En Argentine, le juge Lamadrid a décrit le Bureau 610 comme «une gestapo chinoise avec l’objectif d’exterminer des milliers de personnes innocentes (y compris femmes, aînés et enfants) sous le contrôle, la direction, la supervision et la coordination de Luo Gan, l’accusé…».
«Les actions de Jiang Zemin et de Luo Gan les ont placés il y a longtemps dans la même catégorie que les Augusto Pinochet, Slobodan Milosevic et Charles Taylor du monde», a déclaré le porte-parole du Falun Gong, Zhang Erping, dans un communiqué de presse. «Ils sont aussi rattrapés par la justice internationale.»
«La décision d'aller de l'avant avec des procédures justes et impartiales est tout à l'honneur de l'Argentine [qui se positionne] comme un meneur en matière de droits de l'homme internationaux», affirme Carlos Iglesias, l'avocat ayant déposé les accusations similaires devant la Cour nationale espagnole.
Le Falun Gong (aussi appelé Falun Dafa) est une discipline spirituelle mettant l'accent sur l'amélioration de soi en suivant les principes «authenticité, compassion et tolérance». La pratique comprend aussi des exercices énergétiques de type qigong.
Il y a plus de 3000 décès par torture confirmés selon les informations du Falun Gong, et la persécution du groupe est considérée comme une des pires violations des droits de l'homme en Chine. La persécution du Falun Gong a débuté en 1999, après sept années de croissance rapide de sa popularité en Chine.
Si Jiang Zemin ou Luo Gan visitent un pays ayant un traité d'extradition avec l'Argentine, ils pourraient être détenus, transférés en Argentine et amenés devant les tribunaux, a expliqué le juge Lamadrid. Selon une avocate de la Human Rights Law Foundation, Terri Marsh, si les accusés subissent un procès, une culpabilité est assurée de même qu'une lourde peine de prison.
La décision du juge a été basée sur des preuves incluant les témoignages de 17 victimes de torture et autres formes de persécution. Les témoins ont donné une «vision sévère et très concrète de l'attitude sinistre qu'a le Parti communiste chinois envers les droits de l'homme», affirme Alejandro Cowes, un des avocats ayant initialement déposé la plainte au nom des victimes.
Le juge a également pris en compte les témoignages de médecins, de rapports des Nations Unis et des recherches effectuées par des groupes comme Amnesty International et Human Rights Watch.
«La stratégie de génocide […] comprenait un large éventail d’actions organisées dans un mépris total de la vie et de la dignité humaine», indique la décision de Lamadrid, qui est arrivée quatre années après le début de l'enquête.
«Le but affiché – l’élimination du Falun Gong – a été utilisé pour justifier tous les moyens utilisés. Ainsi, le supplice, la torture, les disparitions, le meurtre, les lavages de cerveau, la torture psychologique étaient le lot quotidien dans la persécution de ses pratiquants.»
«Je comprends que dans ce cas, le principe de la juridiction universelle doit être appliqué au vu de la [gravité des] crimes, du nombre de victimes affectées et de la nature idéologique des actions prises contre les membres du groupe religieux Falun Gong.»
La décision est unique car elle regroupe l'application de la justice universelle, le caractère récent des crimes et le premier mandat d'arrêt visant des hauts responsables chinois, fait remarquer M. Cowes
«Pour la Chine, ou plutôt pour le peuple de Chine, ça veut dire que cela pourrait être le début de la fin d'une dictature qui est au pouvoir depuis 60 ans, et qui a réprimé dans le sang en faisant plus de 85 millions de victimes», a-t-il affirmé.
«Pour la communauté internationale, c'est une sonnette d’alarme.»
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