Dans un monde de plus en plus désenchanté, Noël rappelle que l’espérance, le sens et l’émerveillement restent à portée de main.

« L’Adoration des bergers », 1689, Charles Le Brun. À Noël, le monde s’anime de sens.
Photo: Domaine public
L’émerveillement de Noël semble inépuisable. Mes précédents articles consacrés à cette fête portaient sur le sens de l’Avent: le premier évoquait la venue de Dieu parmi nous et l’humilité qu’elle inspire; le second considérait Noël comme un renouveau de l’espérance – la naissance du divin dans l’humain et celle de la possibilité au cœur de l’épreuve. Je souhaite à présent envisager Noël comme un réenchantement du monde.
Le monde – notre monde – s’est durci, refroidi, gagné par le cynisme et le matérialisme. En dépit des intérêts commerciaux qui transforment chaque période de Noël en occasion de gagner quelques euros supplémentaires, la fête conserve quelque chose de magique et de merveilleux, un temps de bienveillance partagée. Elle continue d’offrir une promesse de paix et de bonne volonté adressée à tous, partout.
Le besoin vital d’émerveillement
Dans son livre The Re-Enchantment of Everyday Life, Thomas Moore observait: «L’âme a un besoin absolu, impérieux, d’excursions régulières dans l’enchantement. Elle en a besoin comme le corps a besoin de nourriture et l’esprit de pensée.» Or, de toute évidence, l’âme n’y trouve pas son compte, ou plutôt elle semble en recevoir de moins en moins à mesure que la société avance.Le matérialisme scientifique entend tout expliquer, y compris ce qui dépasse en réalité son champ de compétence. Il est certes légitime d’expliquer que l’univers a commencé avec le Big Bang, mais il ne relève pas de la science de prétendre expliquer pourquoi il a commencé.

L’Adoration des bergers, 1550, par Bronzino. Le lien entre le ciel et la terre est commémoré à Noël. (Domaine public.)
La question du «pourquoi» marque précisément l’entrée en scène du mythe et de la religion, et non celle de la science. C’est aussi là que surgissent l’émerveillement et le miraculeux.
Le désenchantement
L’un des traits les moins commentés mais parmi les plus corrosifs de la vie moderne réside dans le désenchantement. Comme l’avait relevé le sociologue Max Weber, nous vivons à l’intérieur d’une «cage d’acier»: un monde de plus en plus expliqué, mesuré, optimisé et administré, mais étrangement vidé de sa capacité d’émerveillement. Le cosmos s’apparente à une machine; la nature devient une simple ressource; les êtres humains se réduisent à des accidents biologiques ou à des unités économiques. Même le sens se voit traité comme quelque chose de subjectif, de provisoire ou de strictement privé.
Dans un tel climat, le cynisme passe pour de la sophistication et la révérence se voit discrètement assimilée à de la naïveté. La bureaucratie – passion dominante de notre époque – apporte ordre et progrès, mais elle engendre aussi une enveloppe rigide, d’une dureté métallique, qui enferme l’esprit humain. Elle privilégie la logique technique au détriment des valeurs humaines, conduisant, selon les mots de M. Weber, à une «nuit polaire d’une obscurité glaciale» pour l’âme.
Ce diagnostic conserve toute sa pertinence aujourd’hui, autant qu’au moment où M. Weber l’énonçait il y a cent ans. Les technologies contemporaines, les systèmes numériques, l’intelligence artificielle et les plateformes digitales renforcent encore la standardisation des expériences et le contrôle bureaucratique, étendant la cage jusque dans la sphère intime. La manière de s’en extraire dépasse largement le cadre d’un seul article, si ce n’est pour souligner que Noël fait figure d’antidote opportun, au moment opportun de l’année.
Noël, une résistance au cynisme
Alors que les jours atteignent leur point le plus sombre et le plus froid, Noël apparaît, année après année. Il résiste obstinément à toute réduction. Quels que soient les efforts pour affirmer que la saison ne parle que de consumérisme, de nostalgie familiale ou de fêtes hivernales héritées du paganisme, Noël refuse de se laisser éradiquer. Il persiste comme un moment où l’on ose encore évoquer, même avec hésitation, la lumière dans les ténèbres, la paix sur la terre, la bienveillance, une espérance que l’actualité ne parvient pas à justifier.
Même ceux qui rejettent la théologie admettent souvent être touchés par le récit. Quelque chose se joue qui excède toute explication.
Le mythe comme porteur de sens
Cela tient au fait que Noël n’est pas seulement une doctrine ou une date. Il s’agit d’un événement mythique au sens le plus profond du terme. Le «mythe» n’est pas un mensonge, mais une vérité trop vaste pour se laisser contenir par le seul littéralisme.
Dans un monde désenchanté, le mythe se voit souvent réduit à une pure invention. Pourtant, durant l’essentiel de l’histoire humaine, il constituait précisément le moyen par lequel le sens entrait dans le monde. Les mythes nommaient des réalités irréductibles aux données chiffrées: l’amour, le sacrifice, le destin, le mal, la rédemption. Ils ne disaient pas seulement ce qu’était le monde, mais ce qu’il signifiait. Comme l’affirme l’évangile de Jean: «Au commencement était le Verbe.» Le mot «verbe» se rattache étroitement à celui de «sens». Et c’est bien cela que nous recherchons: du sens.
La modernité, à l’inverse, s’est montrée méfiante à l’égard de ce langage. Nous nous sommes entraînés à poser les questions du «comment» et du «quoi», mais non celle du «pourquoi». Il en résulte une efficacité sans finalité, un savoir dépourvu de sagesse et un progrès privé de direction. Un progrès vers quoi, au juste, pourrait-on légitimement demander ?G.K. Chesterton mettait en garde: «Lorsque les hommes choisissent de ne plus croire en Dieu, ils ne se mettent pas à croire en rien; ils deviennent capables de croire en n’importe quoi.» La superstition revient précisément là où la révérence a été chassée.

L’Adoration des bergers, 1622, par Gerard van Honthorst. Bien que souvent représentée de nuit, la Nativité suggère que les ténèbres peuvent être dissipées. (Domaine public)
La lumière qui surgit dans les ténèbres
Noël opère une inversion discrète mais radicale de ce mouvement. Il ne plaide pas sa cause; il raconte une histoire. Un enfant naît dans l’obscurité. La puissance cède la place à la vulnérabilité. La gloire apparaît non dans la conquête, mais dans l’humilité. La structure même du récit relève du mythe, et elle surprend: le divin ne demeure pas à distance, il entre dans l’histoire, le temps et la chair. Il ne s’agit pas d’un enchantement comme moyen d’évasion, mais d’un enchantement comme reconnaissance — la prise de conscience soudaine que la réalité est plus profonde, plus étrange et plus significative que nous ne l’imaginions.
Le récit chrétien comme renversement
C.S. Lewis a saisi cette essence dans une formule devenue célèbre. Dans le christianisme, «le mythe est devenu fait». Le désir suscité par les récits anciens – de dieux mourants, de naissances miraculeuses, du retour de la lumière après la nuit – ne se trouvait pas nié, mais accompli.
J.R.R. Tolkien est allé plus loin encore, qualifiant l’histoire de Noël d’ultime «eucatastrophe» (eu-, «bon»; katastrophè, «renversement soudain»). Il forgeait ce terme pour désigner l’instant où, alors que tout semble perdu, la joie surgit de manière inattendue. Non pas en niant la souffrance, mais en la traversant et en la transformant de l’intérieur. (Tolkien a appliqué un tel principe dans son œuvre majeure, Le Seigneur des Anneaux. Au moment où, au cœur du Mont du Destin, Gollum glisse l’anneau à son doigt et où tout semble perdu… mais le salut est proche.)
Retrouver le sens sans renoncer à la raison
Parler de réenchantement ne revient donc pas à prôner un retour à la superstition ni à renoncer à la raison. Il s’agit plutôt de retrouver l’intuition que la raison elle-même repose sur quelque chose de plus profond: le sens, l’ordre, le don. Comme le notait G.K. Chesterton: «La raison elle-même relève d’un acte de foi.» Noël affirme que le monde ne constitue pas seulement un objet à manipuler, mais une réalité à recevoir; non un problème à résoudre, mais un mystère dans lequel entrer.
L’émerveillement comme nécessité contemporaine
À une époque lassée des explications mais affamée de signification, tel réside peut-être le don le plus pressant de Noël: le réveil de l’émerveillement. Avec lui renaît la possibilité d’un monde non clos, mais ouvert et chargé de sens, habité par la promesse et encore capable de joie.Noël offre sans doute une occasion majeure de réenchantement. Pour ma part, alors que j’attends la visite de ma petite-fille de presque trois ans le jour de Noël, je me prépare à recevoir une intense décharge d’émerveillement, de magie et, oui, de réenchantement. À chacun de trouver sa part: Noël s’adresse à tous.

L’Adoration des bergers, 1689, Charles Le Brun. À Noël, le monde s’anime de sens. (Domaine public)
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