La dernière dynastie impériale, les Qing (1614-1912), fondée par les envahisseurs de l’ethnie Mandchoue, a également été parmi les plus grandes. Connus pour leurs dirigeants éclairés et capables, les Qing ont favorisé un âge d’or culturel et économique et étendu de trois fois le territoire de la Chine jusqu’aux confins éloignés de l’Asie centrale et des Himalayas.
Les Mandchous, un des dizaines de groupes ethniques de la Chine moderne, descendent des tribus nomades des vastes plaines et collines forestières au-delà de la Grande Muraille. Situé dans ce qui constitue aujourd’hui les provinces industrielles du nord-est de la Chine, leur terre natale—la Mandchourie— est un creuset d'échanges culturels, d'expansion impériale et d’identités en évolution.
Il y a, comme en filigrane de l’histoire de la Mandchourie et des Mandchous, une tendance plus profonde courant à travers les 5000 ans de la civilisation chinoise. L’Expérience mandchoue reflète la nature de l’identité chinoise, constamment modelée par l’interaction des dualités yin et yang : le conflit et l’harmonie, la fragmentation et l’unité, le caractère régional et les métriques universelles.
Identités régionales
Pendant des siècles, les Chinois se sont désignés eux-mêmes comme le "peuple Han, ainsi appelé d’après la glorieuse Dynastie Han (206 AD. 220). Mais comme le révèle l’histoire des Mandchous, les lignes entre Han et étrangers étaient souvent vagues et même indéfinissables.
Il y a, comme en filigrane de l’histoire de la Mandchourie et des Mandchous, une tendance plus profonde courant à travers les 5000 ans de la civilisation chinoise.
Descendants du peuple Jurchen, des nomades dont la société était organisée en clans tribaux, les Mandchous vivaient à la périphérie de la civilisation chinoise. L'évolution de leur peuple allait dépendre, dans leur campagne pour conquérir la Chine au 17ème siècle, de leur façon d'aborder la société qu’ils cherchaient à gouverner. En a résulté un mélange entre Mandchous et Chinois, dans lequel chacun a influencé l’autre.
Une peinture coréenne du 16ème siècle dépeignant deux guerriers Jurchen et leurs chevaux. (CC BY, Kim Yun-gyeom 1711 ~ 1775) |
L'entière population Mandchoue était organisée en unités militaires appelées les " Huit Bannières. " À mesure que se déroulait la conquête de la Chine, cette institution a simultanément perpétué l'identité Mandchoue tout en facilitant son intégration dans le concept plus large de " Chine".
Dans ce "paradoxe", comme le présente Pamela Kyle Crossley dans son oeuvre "Les Mandchous", l’unification des Bannières est devenue la fondation d’une culture unifiée, partagée non seulement par les Mandchous, mais par le plus grand nombre de Chinois Han et de Mongols qui les soutinrent dans leur conquête. À la fin de la Dynastie Qing, écrit Crossley, les bannières Han étaient devenues pleinement Mandchoues, de même que l'identité " Mandchou "elle-même avait changé.
Les plus prospères des empereurs Qing, Kangxi et Qianlong, tentèrent de démontrer à travers la politique qu’il était entièrement possible pour les Mandchous d’être Chinois, dans le sens général, sans renier leur héritage ni perdre leur statut de classe dirigeante.
Kangxi, qui régna entre 1661 et 1722, encouragea ses fonctionnaires et la noblesse Mandchoue à étudier la langue, l’histoire et les coutumes chinoises. Certaines des contributions de Kangxi à l’héritage des Qing comprennent la commande d’un dictionnaire complet de caractères chinois et la construction d’un temple dédié à Yue Fei, le général Song du 12ème siècle et héros national, qui se battit bec et ongles contre les ancêtres Jurchen des Mandchous.
Selon Robert B. Oxnam, historien de la Chine et auteur de “Ruling From Horseback,”("Gouverner à dos de cheval"), les Mandchous avaient souhaité "gouverner à dos de cheval " mais Kangxi avait "trouvé plus facile de descendre du cheval de la conquête et de s’asseoir sur le trône chinois. "
Échanges universels
La gestion d' un empire constitué de Mongols, de Turcs et de Tibétains, s'ajoutant aux centaines de millions de Chinois Han, telle était l'universalité de la tâche laissée en héritage par Kangxi à son petit-fils l’empereur Qianlong. Régnant de 1735 à 1799 durant une ère de prospérité et de stabilité, ce dernier s'érigea lui-même en monarque suprême dont le gouvernement éclairé et les entreprises culturelles unifièrent les nombreuses ethnies dispersées à travers l'étendue des Terres Qing.
Mais Qianlong s’inquiétait aussi que les Mandchous n'oublient leurs origines. Contrairement à Kangxi, il n’encouragea pas son peuple à se plonger dans la littérature et les traditions bureaucratiques chinoises. Il insista plutôt pour qu'ils étudient leur langue ancestrale et poursuivent la recherche de l’excellence dans l’archerie et l’équitation à l'instar de leurs ancêtres Jurchen.
Jaohûi ( 兆惠 ), un soldat des bannières de l’Armée Qing durant l’ère de Qianlong. Créée à la fin des années 1700s. (CC BY 3.0) |
Défendant sa politique dans ses écrits, Qianlong soulignait que les rois légendaires traditionnellement vénérés par les Han avaient leurs propres coutumes qui seraient considérées arriérées où même barbares par la société ultérieure. D’après Crossley, tandis que Qianlong lui-même continuait la lignée de Kangxi en tant que dirigeant universel et éclairé, il attendait des autres Mandchous qu’ils conservent leurs coutumes ancestrales.
Qianlong rendit obligatoire pour la noblesse l'enseignement de la langue et de la culture Mandchoue, et, à l’inverse de Kangxi, il n'encouragea pas les soldats des bannières à continuer à étudier les coutumes chinoises. Cependant, plus d’un siècle les séparant de la génération qui avait conquis la Chine, beaucoup considérèrent ces mesures archaïques et les ressentirent comme des intrusions maladroites dans leurs styles de vie.
Qui sont les Chinois ?
Au moment de la mort de Qianlong en 1799, les tentatives de préserver la culture Mandchoue telle qu’elle existait avant la Dynastie Qing avaient échoué. À l’encontre de toutes les mesures officielles, les Mandchous continuaient à s’intégrer avec les Han au point où la langue Mandchoue n’était plus utilisée que pour des questions de prestige— la langue de la vie quotidienne et des affaires étant le mandarin chinois.
Mais même alors qu’ils s’adaptaient eux-mêmes à la plus grande culture chinoise, les Mandchous ont néanmoins maintenu leur propre identité tout en universalisant leur approche, ne se différenciant plus en essence des nombreuses élites qui avaient établi les précédentes dynasties "chinoises".
Bien que la Mandchourie était historiquement interdite aux immigrants Han, la Cour Qing, voyant son pouvoir décliner face aux incursions étrangères, renversa cette politique à la fin des années 1800 ; Au cours des dix décennies suivantes, des dizaines de millions de Chinois Han se déplacèrent au-delà de la Grande Muraille pour occuper ce qu’ils appelaient à présent " dongshansheng " ou les "Trois provinces du Nord-est"constituant l’ancienne patrie Mandchoue.
Le succès de la Dynastie Qing en créant et en cimentant un empire durable à travers les frontières ethniques et régionales eut un prix pour ses fondateurs : les soldats des bannières mandchoues, occupés à combattre dans des guerres frontalières et gouvernant les Han, étaient soit concentrés dans la capitale impériale de Beijing, ou dispersés aux quatre coins de l’empire—bien loin de leur Mandchourie natale, comme le note l’historienne Shao Dan dans son livre " Remote homeland, Recovered Borderland."
Femmes mandchoues achetant leurs ornements de coiffure à Beijing, province de Pechilie, Chine Photographie 1871-1872. (John Thomson/CC BY 4.0) |
Toutefois, d’après Dan, dont l’œuvre explore les défis rencontrés par les Mandchous et l'ethnie Mandchoue dans la Chine moderne, Ils auraient préservé leur culture et leur histoire héritées de l’empire Qing, sous la forme de communautés ethniques qui continuent à exister à travers la Chine et à Taiwan.
Ces dernières décennies, après des générations de tourmente politique, de nombreux chinois ont choisi de se réclamer de leurs identités mandchoues, le groupe s'évaluant à présent à plus de dix millions.
Le Mandarin, la langue officielle de la Chine qui revendique plus de 800 millions de locuteurs natifs, doit beaucoup de sa prononciation et de son vocabulaire à l’influence de telles langues "barbares".
Même alors que les Mandchous ont été englobés dans le plus grand état de la civilisation chinoise, ils ont apporté leurs propres contributions. Un style de robes chinoises contemporaines bien connu, le qipao ou cheongsam, est une évolution directe des robes mandchoues. L'empreinte des Mandchous et ethnies antérieures du nord a été plus profonde sur la langue — le Mandarin, langue officielle de la Chine, qui revendique plus de 800 millions de locuteurs natifs, doit beaucoup de sa prononciation et de son vocabulaire à l’influence de telles langues dites "barbares".
Aujourd’hui, la Mandchourie compte plus de 100 millions d’habitants. Plus de 90 pour cent d'entre eux ont leurs racines ancestrales dans le berceau de la civilisation chinoise, la vallée du Fleuve jaune. Mais comme l’exemple mandchou le démontre justement, la " Chine" n’appartient pas à une région ou à une race, mais est plutôt une civilisation dynamique incorporant une riche mosaïque d’histoires, de cultures et de langages parallèles.
Version anglaise :
Manchuria, the Manchus, and What It Means to Be Chinese
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