Un double discours préside à la politique chinoise de transplantation d’organes

Facebook Logo LinkedIn Logo Twitter Logo Email Logo Pinterest Logo

Huang Jiefu donne une interview à Phoenix Television diffusée le 11 janvier. Huang Jiefu tente d’obtenir l’approbation internationale pour le système chinois de transplantation, largement considéré comme inacceptable, sans aucune modification (ifeng.net)

"Ce que chacun veut savoir au sujet de votre annonce est la portée de la limitation de l’utilisation des organes des prisonniers", a demandé, sur un ton de fausse sincérité, la présentatrice de CCTV, la chaîne de télévision officielle de la propagande en Chine, à Huang Jiefu, le plus haut responsable de la transplantation d’organes du pays.


En décembre dernier, Huang Jiefu avait fait une annonce remarquable : les organes des condamnés à mort ne seraient plus utilisés dans le système chinois de transplantation à partir du 1er janvier 2015.


La réponse de Huang Jiefu à cette question a été claire : "Quand nous avons fait cette annonce, il était nécessaire que les 169 hôpitaux disposant de centres de transplantation en Chine suivent la règle de la loi. C’est-à-dire qu’à partir du 1er janvier 2015, ces 169 hôpitaux ne sont plus autorisés à utiliser des organes de prisonniers."


Cependant, selon le même Huang Jiefu, ces hôpitaux sont en réalité autorisés à utiliser les organes de prisonniers. C’est juste qu’ils ne sont plus appelés organes provenant de prisonniers.


C’est ce que Huang Jiefu a dit précisément dans une autre interview accordée à Phoenix Télévision de Hong Kong. Les deux interviews ont été diffusées le 11 janvier.


"Nous ne voulons certainement plus utiliser ce terme de ‘don de prisonniers condamnés à mort’", a-t-il répondu à une question lui demandant de clarifier s’il y avait des circonstances permettant aux condamnés à mort de donner leurs organes.


"Nous devons compter sur les dons volontaires de citoyens comme source d’organes, c’est la seule façon qui nous permettra de dire que nous faisons partie d’un monde transparent et éthique", a-t-il ajouté.

Exclusion

Le milieu chinois de la transplantation a récemment été l'objet d'une ostracisation marquée venant de la communauté internationale de transplantation. En février 2014, la Société internationale de transplantation a fait entendre ses reproches dans une lettre ouverte, et une conférence qui devait être organisée dans un esprit de célébration au milieu de l’an dernier, avait été repoussée de quatre mois puis boycottée en grande partie. Beaucoup de chirurgiens chinois de transplantation ont également été exclus du Congrès mondial de transplantation qui s’est tenu à San Francisco en juillet dernier.


Toutefois, le système chinois de transplantation continuera de rencontrer des difficultés pour s’adapter au "monde transparent et éthique" mentionné par Huang Jiefu, en raison des paroles qu’il a ensuite prononcées dans l’interview avec Phoenix Television.


Les prisonniers ne seront pas exclus

"Je ne dis pas que nous sommes contre les dons des prisonniers condamnés à mort», a déclaré Huang Jiefu. «Si un condamné à mort suit véritablement sa conscience, alors ce ne sera pas nécessairement exclu, mais il faut un système de don citoyen, à travers la Croix-Rouge et un système informatique en ligne assurant une affectation juste et équitable affectation – cela, ce sera transparent et aucune transaction économique n’y prendra part."


En d’autres termes, la Chine arrêtera d’utiliser les organes provenant de condamnés à mort et tous les organes seront considérés comme don de citoyens (les condamnés à mort sont aussi des citoyens, a précisé Huang Jiefu). Donc, si les condamnés à mort veulent faire don de leurs organes, ils seront toujours autorisés à le faire.


Cependant, selon David Matas, un avocat qui a beaucoup écrit sur les exactions du système de transplantation d’organes en Chine, cette remarquable démonstration de double discours prend tout son sens en regard de la situation dans laquelle se trouve Huang Jiefu.

Divers publics

"Il joue pour des publics différents", a déclaré M. Matas. "Il y a d’abord la communauté médicale internationale; ensuite, il y a les défis bureaucratiques à l’intérieur du système chinois de la transplantation au-dessus duquel une agence officielle contrôle le commerce d’organes; et enfin, il y a le fait qu’il ne peut pas dire ce qui se passe au sujet de l’exécution des prisonniers de conscience".


David Matas est co-auteur de Prélèvements meurtriers, un rapport qui arrive à la conclusion que plus de 40.000 pratiquants de Falun Gong, une pratique spirituelle traditionnelle persécutée en Chine depuis 1999, ont été exécutés pour leurs organes entre 2000 et 2006.


"Une base morale"

Huang Jiefu a déjà démontré précédemment que ses propos ne tiennent pas debout. Dans sa récente interview avec Phoenix Television, il a dit, en se référant aux questions difficiles posées par des étudiants de l’Université de Hong Kong en début d’année, qu’il n’avait effectué qu’une seule fois un prélèvement d’organes sur un prisonnier d’opinion. "Je n’ai pas recommencé après la première fois. Je suis un médecin. La base morale pour un médecin est de respecter la vie", a-t-il dit.


Cependant, en mars 2013, dans une interview donnée au Guangzhou Daily, Huang Jiefu avait dit: «L’an dernier, j’ai effectué plus de 500 opérations de greffe du foie.» Ses propres paroles indiquent que la grande majorité de ces greffes ont été effectuées avec des prisonniers exécutés.


China Daily, le journal officiel des autorités chinoises en langue anglaise, a été encore plus clair à propos de ce qui changerait et ne changerait pas avec le nouveau système.


Des prisonniers toujours aptes

"Huang Jiefu a dit que ces règlements sont en train d’être amendés et... font des dons volontaires la seule source d’organes", a écrit le China Daily. "Les prisonniers comptent toujours parmi les candidats aptes pour les dons d’organes, mais leurs organes seront enregistrés dans le système informatisé au lieu d’être utilisés dans le commerce privé, cela constituera la principale différence à l’avenir", précisait le journal en citant Huang Jiefu .


Avec près de 10.000 transplantations effectuées chaque année en Chine et chaque transplantation ayant une valeur de dizaines de milliers d’euros au minimum, on peut estimer que le secteur engrange chaque année des centaines de millions, voire peut-être plus d’un milliard d’euros.


Les récentes publications dans la presse cherchent à donner une impression globale différente, sans écarter les informations en petits caractères.


Il est difficile de savoir si la Société internationale de transplantation et les autres groupes médicaux seront inspirés par les récents changements, tels qu’ils sont présentés, à changer leur position envers la Chine. Un courrier électronique envoyé à Philip J. O’Connell, le nouveau directeur de l’organisation, n’a pas encore reçu de réponse.


"Permis de tuer"


Ethan Gutmann, l’auteur du livre The Slaugter dénonçant les prélèvements illégaux d’organes sur des pratiquants de Falun Gong emprisonnés, a comparé la situation actuelle à un gag de la bande dessinée Peanuts.


"Lucy prépare le ballon de football...", écrit-il dans son courriel , se référant au gag récurrent dans lequel Lucy installe un ballon de football que doit botter Charlie Brown et l’enlève au dernier moment pour le voir tomber chaque fois sur le dos.


«Huang Jiefu = Lucy. La Société de transplantation = Charlie», a écrit M. Gutmann.


"Les mots sont apaisants, le nombre de donneurs d’organes volontaires en Chine augmente comme par magie, mais qui en fin de compte décide quand et comment un prisonnier ’écoute sa conscience’ ?", interroge Ethan Gutmann. "Si c’est Huang Jiefu, je pense que le monde a besoin d’un deuxième avis. En fin de compte, après toutes ces belles promesses, Pékin garde son permis de tuer."


Version originale: Double Speak Governs China’s Transplant Policy

* * *

Facebook Logo LinkedIn Logo Twitter Logo Email Logo Pinterest Logo

Vous pouvez imprimer et faire circuler tous les articles publiés sur Clearharmony et leur contenu, mais veuillez ne pas omettre d'en citer la source.