David Matas, nominé pour le Prix Nobel de la Paix, à une conférence pour le lancement de son livre Organes d’Etat: Abus de Greffes en Chine en Australie. (Sonya Bryskine/Epoch Times) |
Remarques en préparation de la Conférence de l’Association Internationale des Spécialistes du Génocide, Sienne, Italie, le 20 Juin 2013
Les auteurs d’un génocide nient qu’il ait eu lieu et tentent de dissimuler les traces de son existence. On peut voir au travers de la négation de l’Holocauste et des fugitifs nazis, que le déni de génocide et sa dissimulation se produisent même lorsque les auteurs ont perdu le pouvoir. Cette propension au déni et à la dissimulation des faits est d’autant plus étendue quand les auteurs demeurent au pouvoir.
Le déni de génocide et sa dissimulation par des agents existants de l’Etat participe au jeu des politiques internationales. Les amis des négationnistes répugnent, pour des raisons géopolitiques, à insister sur le sujet. De même, il devient d’autant plus difficile d’établir qu’il y a eu génocide lorsque les coupables au pouvoir font tout en leur possible pour réprimer toute connaissance du génocide.
Comment s’y prend-on pour gérer le manque de transparence et la négation d’agents de l’Etat, dans un contexte où on a des preuves écrasantes de génocide? L’exposé qui suit tente de résoudre cette question au travers du prisme de l’évidence d’un génocide des pratiquants de Falun Gong en Chine.
Le Falun Gong, est un mélange et une mise à jour de traditions spirituelles et d'exercices chinois qui ont été interdits en Chine en 1999. Il y a eu une preuve convaincante d'assassinats de masse de pratiquants de Falun Gong, soit par torture pour soutirer des abjurations, soit par prélèvements forcés d’organes pour les transplantations. Quoi que l’on pense de la preuve du génocide du Falun Gong, l’opacité croissante du régime communiste chinois sur la provenance des organes transplantés est incontestable.
Les Principes Directeurs de l’Organisation Mondiale de la Santé sur la Transplantation de Cellules, Tissus et Organes Humains requièrent, au principe 10, la traçabilité, et au principe 11, la transparence des sources de greffe. La Chine viole ces deux principes.
A. La recherche
La recherche présentée dans les rapports publiés en juin 2006, janvier 2007 et dans le livre Prélèvement meurtrier en novembre 2009, documents et livre que j’ai co-signés avec David Kilgour, ainsi que dans le livre Organes d’Etat, en août 2012, écrit en collaboration avec Torsten Trey, concluait que les prisonniers de conscience en Chine ont été tués par dizaines de milliers pour leurs organes, en vue de transplantations. La plupart de ces victimes étaient des pratiquants de Falun Gong.
Le Falun Gong, est un mélange et une mise à jour de traditions spirituelles et d'exercices chinois. Il a commencé en 1992 avec les enseignements de Li Hongzhi et s’est rapidement propagé à l’ensemble de la Chine, avec l’encouragement des fonctionnaires du gouvernement qui en considéraient les exercices comme bénéfiques pour la santé et pour les finances du système de santé. En 1999 les pratiquants de Falun Gong se trouvaient, selon une enquête du gouvernement, être plus nombreux que les membres
du Parti Communiste. A ce moment-là, par peur de perdre sa suprématie idéologique et par jalousie de sa popularité, le Parti a banni le Falun Gong.
Ceux qui faisaient les exercices après 1999 furent arrêtés et il leur fut demandé de dénoncer leur pratique. Ceux qui ne le faisaient pas furent torturés. Ceux qui refusaient d’abjurer après torture disparurent.
Nous conclûmes, David Kilgour et moi-même, qu’une grande partie de ces disparus étaient donc tués pour leurs organes. Quoique cela nous entraînerait trop loin de passer en revue toutes les preuves qui nous ont amenés à cette conclusion, je veux mentionner quelques éléments.
• Des enquêteurs ont passé des appels auprès d’hôpitaux dans toute la Chine, se faisant passer pour des parents de patients qui avaient besoin de greffes, et demandant si les hôpitaux avaient des organes provenant de pratiquants de Falun Gong à vendre selon le principe que, puisque les pratiquants de Falun Gong sont en bonne santé grâce à leurs exercices, leurs organes seraient sains. Nous avons obtenu sur bande des admissions, transcrites et traduites, à travers toute la Chine.
• Des pratiquants de Falun Gong, qui avaient été détenus et avaient abjuré après torture, puis étaient sortis de détention et de Chine, nous ont raconté qu’ils subissaient systématiquement des analyses de sang et un examen de leurs organes pendant leur détention. Les autres détenus, non. L’analyse de sang et l’examen d’organes ne pouvaient pas avoir pour but la santé des pratiquants de Falun Gong puisqu’ils avaient été torturés; mais ils auraient été nécessaires en cas de greffes d’organes.
• Les temps d’attente pour des transplantations d’organes en Chine se comptent en jours et en semaines. Partout ailleurs dans le monde, ils se comptent en mois, voire en années. Un temps d’attente court pour la transplantation d’un organe provenant d’un donneur décédé signifie que quelqu’un est tué pour cette greffe.
• Il n’y a pas d’autre explication pour le nombre des transplantations que la source des pratiquants de Falun Gong. La Chine est le second plus gros pays de greffes dans le monde en volume après les Etats-Unis. Pourtant, jusqu’en 2010 elle n’avait pas de système de donation après décès et encore aujourd’hui, ce système ne produit que des dons sans réelle signification statistique. Les sources de donneurs vivants sont limitées par la loi aux parents proches des donneurs et officiellement découragées du fait que les donneurs vivants souffrent de complications de santé pour avoir fait don d’un organe.
B. La charge de la preuve
Toutefois, et quoi qu’on puisse penser de notre travail, il ne nous appartient pas d’établir que la provenance des organes pour les transplantations en Chine est impropre. C’est au contraire au régime chinois qu’il revient d’établir que la provenance des organes de la transplantation en Chine est correcte. Les Principes Directeurs de traçabilité et de transparence de l’Organisation Mondiale de la Santé dans l’obtention d’organes de greffe engagent les Etats membres de l’Organisation. Ces principes engagent la Chine.
1) Les criminels exécutés
Le Ministère chinois de la Santé admet que les organes de greffe proviennent presqu’entièrement de prisonniers. Il soutient que ces prisonniers sont des criminels condamnés à mort et non des prisonniers de conscience.
Bon, d’accord, combien de personnes en Chine sont condamnées à mort? Le régime chinois ne veut pas communiquer ce chiffre. Et il n’est pas juste qu’il se taise sur la question. Les représentants officiels rejettent activement et explicitement toute demande de rendre cette information publique.
Selon l’Examen Périodique Universel du Conseil des Nations Unies pour les Droits de l’Homme, créé en 2006, chaque Etat, selon un cycle établi sur quatre ans, est l’objet d’une étude. Le tour de la Chine s’est présenté pour la première fois en février 2009 à Genève.
Seuls des Etats ont le droit d’intervenir dans le débat du Groupe de Travail de l’examen Périodique Universel. Mais cela peut être n’importe quel Etat; il n’est pas nécessaire que cela soit un Etat qui soit membre du Conseil pour les Droits de l’Homme. Le débat est un dialogue interactif, ce qui signifie que la Chine a un droit de réponse.
Le Groupe de Travail de l'Examen Périodique Universel a sorti un rapport sous forme de tableau présentant les recommandations des Etats qui se sont exprimés au cours du débat. La réaction du régime chinois a immédiatement suivi la parution du rapport. Il acceptait certaines recommandations, pour l’essentiel provenant d’autres Etats aux violations manifestes, qui louaient le régime de la Chine pour ses efforts et l’encourageaient à poursuivre ce qu’il faisait. Le régime chinois déclara qu’il prendrait en considération d’autres recommandations. Mais, il y avait également une longue liste de recommandations qu’il rejeta d’emblée.
Le Canada, la Suisse, le Royaume-Uni, la France, l’Autriche et l’Italie recommandaient que la Chine publie des statistiques sur la peine de mort. Le régime refusa cette recommandation. La Chine n’était pas disposée à ne serait-ce queconsidérer cette recommandation. Elle fut rejetée immédiatement.
Les Nations Unies ont tenté par d’autres moyens de découvrir la source des organes de greffes. Les Rapporteurs des N.U. sur la Torture et l’Intolérance Religieuse ainsi que le Comité des N.U. contre la Torture ont demandé à la Chine d’expliquer la divergence entre les volumes de greffes et celui des sources.
En voici le détail. Le Rapporteur des Nations Unies sur la Torture de l’époque, Manfred Nowak, et le Rapporteur des Nations Unies sur l’Intolérance Religieuse de l’époque, Asma Jahangir, écrivirent dans leur compte-rendu en 2007: «Allégation transmise: L’extraction d’organes a été infligée à un vaste nombre de pratiquants de Falun Gong non consentants, dans une grande variété de lieux, dans le but de mettre à disposition des organes en vue d’opérations de greffe… On rapporte qu’il existe beaucoup plus de greffes d’organes que de sources identifiables d’organes, même après prise en compte des chiffres pour les sources identifiables, à savoir: les estimations de prisonniers exécutés annuellement, lesquels fournissent un fort pourcentage d’organes à en croire la déclaration en 2005 du Vice-ministre pour la Santé M. Huang Jiefu; les donneurs consentants parmi les membres de la famille, qui pour des raisons culturelles, sont souvent réticents à faire don de leurs organes après leur mort; et des donneurs en état de mort cérébrale. Qui plus est, les courtes périodes d’attente rapportées avoir été communiquées pour des organes parfaitement compatibles suggéreraient l’existence d’un système informatisé d’appariement pour transplantations et d’une vaste banque de donneurs potentiels vivants. On allègue que la différence entre les organes disponibles et les chiffres provenant de sources identifiables s’expliquerait par les organes prélevés sur des pratiquants de Falun Gong, et que l’augmentation des greffes à partir de 2000 coïncide, et est en parfaite corrélation, avec le démarrage de la persécution contre ces personnes.»
Le régime chinois répondit à ce rapport, mais sans tenir compte des questions soulevées. Conséquemment, les rapporteurs réitérèrent leurs inquiétudes en 2008 par ces mots:
"En particulier, un point essentiel n’a pas été abordé dans les précédentes réponses du régime. On rapporte qu’il existe beaucoup plus de greffes d’organes que de sources identifiables d’organes, même après prise en compte des chiffres pour les sources identifiables, à savoir: les estimations de prisonniers exécutés annuellement, lesquels fournissent un fort pourcentage d’organes, à en croire la déclaration en 2005 du Vice-Ministre pour la Santé M. Huang Jiefu; les donneurs consentants parmi les membres de la famille, qui pour des raisons culturelles, sont souvent réticents à faire don de leurs organes après leur mort; et les donneurs en état de mort cérébrale. Qui plus est, les courtes périodes d’attente rapportées, qui ont été avancées pour des organes parfaitement compatibles suggéreraient l’existence d’un système informatisé d’appariement pour transplantations et d’une vaste banque de donneurs potentiels vivants. On allègue que la différence entre les organes disponibles et les nombres provenant de sources identifiables s’explique par les organes prélevés sur les pratiquants de Falun Gong, et que l’augmentation des greffes à partir de 2000 coïncide, et est en parfaite corrélation, avec le démarrage de la persécution contre ces personnes. Les Rapporteurs Spéciaux prennent note des rapports selon lesquels le 15 novembre 2006, le Vice-ministre Huang réitéra lors d’un congrès de chirurgiens à Guangzhou que la plupart, des organes obtenus, proviendrait de prisonniers exécutés. Et en dépit des critères rigoureux qui nous ont été indiqués être en place pour les donneurs, y compris ceux condamnés à mort, le régime nous informa dans sa réponse du 28 novembre que les dons volontaires et ceux entre personnes d’une même famille sont les deux autres sources légitimes d’organes pour greffe. D’après les allégations, fondées sur des données provenant de l’Association Médicale Chinoise de Greffe d’Organes, entre les années 2000 et 2005 il y a eu 60.000 transplantations d’effectuées, soit approximativement 10.000 par an pendant six ans. Cette période coïncide avec l’augmentation indiquée pour la persécution de pratiquants Falun Gong. En 2005, on indique que seuls 0.5% de la totalité des greffes se voit couverte par des donations de parents; il y avait environ neuf donneurs en état de mort cérébrale non liés par le sang en 2006; et les estimations, étant donné que le régime ne fournit pas de statistiques publiques sur les exécutions, indiquent pour 2005 que l’on aurait effectué 1.770 exécutions, et condamné à mort 3.900 personnes. On affirme que la différence entre le nombre de greffes exécutées et le chiffre des sources disponibles est composée des organes prélevés sur les pratiquants de Falun Gong. Cependant, on prétend également que le nombre véritable des exécutions est estimé être autour de 8.000 à 10.000 l’an, au lieu des 1.770 indiqués ci-dessus. Ainsi que le recommandait le Rapporteur Spécial sur la torture dans le compte-rendu de sa visite en Chine, il réitère que le régime (E/CN.4/2006/6/para. 82, recommandation q) devrait utiliser l’occasion de la restauration du pouvoir de révision de tous les cas de sentences à mort par la Cour Suprême du Peuple, pour publier des statistiques nationales sur la peine capitale. Une explication pleine et entière de la source des organes de greffe réfuterait les allégations de prélèvement d’organes sur les pratiquants de Falun Gong, en particulier si on pouvait les tracer jusqu’à des donneurs consentants ou des prisonniers exécutés. On réitère ici la requête d’une explication à propos de la différence entre le nombre de transplantations entre les années 2000 à 2005 et le nombre de sources identifiables d’organes.»
Le régime chinois, dans une réponse envoyée par lettre aux Rapporteurs, datée du 19 Mars 2007 et publiée dans le rapport du Professeur Nowak au Conseil des N.U. pour les Droits de l’Homme en date du 19 Février 2008, déclarait que "les allégations des communications que nous avons reçues selon lesquelles, entre les années 2000 et 2005, on effectua 60.000 transplantations, sont extraites de données erronées citées dans un rapport compilé par deux Canadiens enquêtant sur des allégations de prélèvements d’organes sur des pratiquants de Falun Gong en Chine. Le rapport affirme: "Le Professeur Shi Bingyi, vice-président de l’Association Médicale Chinoise de Transplantation d’Organes, déclare qu’il y aurait eu un total d’environ 90.000 [greffes d’organes] jusqu’en 2005, ce qui en laisse environ 60.000 dans la période de six ans de 2000 à 2005 à partir du démarrage de la persécution contre le Falun Gong. Il a été dûment vérifié qu’en janvier 2007, au cours d’une interview avec la BBC, le Professeur Shi Bingyi a expressément clarifié le fait qu’il n’a en aucune occasion fait pareille déclaration ou donné quelque chiffre que ce soit de ce type, et ces allégations comme les chiffres qui y sont liés sont une pure fabrication".
Qui plus est, le régime chinois, au cas où il resterait le moindre doute, affirmait que "les statistiques annuelles de santé de la Chine sont effectuées sur la base des catégories de troubles de santé et non en fonction des différents types de traitement fournis".
Donc la position chinoise officielle, en réponse à une demande d’explication sur la divergence entre les volumes des transplantations et celui des sources, est que la Chine n’a pas, pendant la période concernée, produit de statistiques sur les volumes de greffes. Cette déclaration est absolument fausse.
La source effective de l’information provenant de Shi Bingyi est notée en pied de page dans notre rapport. Il s’agit d’une source chinoise, le Réseau des Nouvelles de Santé. L’article du Réseau était posté sur le site web des professionnels de la transplantation en Chine. Le texte, daté du 02/03/2006, indiquait, en partie et en traduction: "Le Professeur Shi a déclaré qu’au cours des dix dernières années, la greffe d’organes en Chine a connu une croissance rapide; les types d’opérations de greffe que l’on peut effectuer étaient très vastes, allant du rein, foie, cœur, pancréas, poumon, à la moelle osseuse et la cornée; à ce jour, il y a eu plus de 90.000 greffes exécutées sur le territoire national; rien que l’année dernière, il y a eu près de 10.000 greffes de reins effectuées et presque 4.000 du foie."
En juin 2008, cet article demeura sur son site internet chinois d’origine, bien qu’il en ait été retiré depuis. La source originale de cette information était encore disponible en Chine par l’internet à l’époque où le gouvernement de la Chine niait l’information.
Supposons que ce qu’a déclaré le régime chinois, en réponse aux requêtes des N.U. soit vrai, qu’il n’ait effectivement publié aucune statistique sur les volumes de chirurgies de greffes. Comment ce silence satisfait-il aux exigences de transparence et de traçabilité? Ce n’est sûrement pas le cas.
Le Comité des Nations Unies contre la Torture prit le relais des rapporteurs spéciaux. Dans ses observations de clôture en novembre 2008, il écrivait: "Quoique prenant note des renseignements apportés par le Parti-Etat concernant le Règlement Temporaire de 2006 sur les Transplantations d’Organes Humains et l’Ordonnance de 2007 sur les Transplants d’Organes Humains, le Comité prend connaissance de toutes les allégations présentées au Rapporteur Spécial sur la Torture, lequel a noté qu’un accroissement des opérations de greffe d’organes coïncide avec ‘le début de la persécution des [pratiquants de Falun Gong]’, et a demandé ‘une pleine explication sur la source des organes transplantés’ qui pourrait jeter la clarté sur la différence et prouver que l’allégation d’extraction d’organes est fausse (A/HRC/7/3/Add.1). Le Comité en outre exprime sa préoccupation par rapport aux informations reçues que des pratiquants de Falun Gong ont été soumis de manière généralisée à la torture et aux mauvais traitements dans les prisons et que certains d’entre eux ont été utilisés pour des greffes d’organes (art. 12 et 16)."
La question fut ensuite encore amplifié par le Groupe de Travail de l'Examen Périodique Universel des Nations Unies en février 2009. Au Groupe de Travail de la l'Examen Périodique Universel, le Canada recommanda que la Chine mette en œuvre les recommandations du Comité contre la Torture. Le régime chinois a, explicitement et par écrit, rejeté cette recommandation.
C. Dégradation
1) Le registre des Greffes du foie à Hong Kong
Le problème que manifeste la Chine n’est pas seulement le silence et le déni. Au fil du temps, il y a eu une dégradation progressive de l’information disponible. L’information autrefois disponible ne l’est plus aujourd’hui. Il y a eu une tentative active de masquer les faits, de retirer tous les indices possibles qui pourraient permettre des déductions externes sur l’origine des organes. La Chine, au lieu d’avancer vers une meilleure traçabilité et transparence, s’en est éloignée.
On peut le voir d’une myriade de façons. Un exemple est le Registre Chinois des Greffes du Foie. Pour Prélèvement meurtrier, David Kilgour et moi avions été en mesure de recueillir des renseignements utiles sur les volumes de greffes à partir du Registre Chinois des Greffes du Foie à Hong Kong. Une fois que notre travail publié, le Registre Chinois des Greffes du Foie a fermé l’accès public aux données statistiques globales sur son site. L’accès n’est désormais possible qu’à ceux qui possèdent un identifiant et un mot de passe émis par le Registre.
Au Congrès sur la Transplantation de Vancouver en août 2010, Haibo Wang, qui était alors directeur adjoint du Registre Chinois des Greffes du Foie, fit une présentation à la même session que moi. Je lui ai demandé pourquoi l’accès public aux données du site internet du Registre avait été fermé et s’il pouvait être rétabli. Sa réponse fut que l’accès au public avait été clos parce que les gens, selon ses propres termes, "faisaient des interprétations fausses" des données. Désormais pour obtenir un accès, il fallait que le Registre connaisse tout d’abord le but dans lequel les données étaient utilisées et ait une relative confiance dans le fait que les données ne seraient pas, de son point de vue, "mal interprétées".
Le système de santé chinois gère quatre registres de transplants, respectivement un pour le foie, pour le rein, pour le cœur et le poumon. Les trois autres se trouvent en Chine métropolitaine —rein et cœur à Pékin, poumon à Wuxi. Les données des trois autres sites aussi ne sont accessibles qu’à ceux qui possèdent un nom d’accès et un code fournis par le registre.
2) Un documentaire
Un autre exemple d’efforts actifs du régime chinois pour dégrader et nier toute information a été une réponse sous forme documentaire à notre rapport, produit par Phoenix TV, un organe de presse de Hong Kong. Ce documentaire était un exercice magistral de travestissement et d’obscurcissement des faits.
J’ai fait référence un peu plus tôt aux appels téléphoniques que des enquêteurs avaient passés auprès d’hôpitaux dans l’ensemble de la Chine, se présentant comme les parents de patients en attente de greffe et demandant si ces hôpitaux avaient des organes du Falun Gong à vendre. L’un de ces appels, passé à l’Hôpital Minzu de Nanning City dans la Région Autonome de Guangxi (22 Mai 2006) contenait l’échange suivant :
"Q: Est-ce vous n’aviez pas utilisé les organes de pratiquants de Falun Gong, dans le temps?
A: Ça a changé maintenant par rapport à avant….
Q: Et eux alors [les hôpitaux de Guangzhou auxquels l’appelante s'est vue renvoyer], ils utilisent les organes de pratiquants de Falun Gong?
A: C’est ça, c’est ça, c’est ça….
Q: Il paraît que les organes venant de pratiquants de Falun Gong sont en relativement bonne santé et en meilleur état. Est-ce qu’ils utilisent ce type aussi?
A: En effet, en effet, en effet. Habituellement on choisit ceux qui sont sains.
Q: Ce que je veux dire c’est que les organes de pratiquants de Falun Gong sont mieux. Est-ce qu’eux aussi ils utilisent cette sorte?
A: C’est ça, c’est ça, c’est ça ….
Q: …, ce que vous utilisiez avant, ils venaient de centres de détention ou de prisons?
A: Des prisons.
Q: Ah, des prisons. Et c’était de pratiquants Falun Gong en bonne santé, les Falun Gong sains c’est bien ça?
A: C’est ça, c’est ça, c’est ça. On choisissait les meilleurs, parce que nous voulons assurer la qualité de nos opérations.
Q: Ca signifie que vous choisissez les organes vous-même?
A: Voilà, voilà, voilà….
Q: … D’habitude quel est l’âge du fournisseur de l’organe?
A: Habituellement la trentaine.
Q: Trentaine. Alors vous vous déplacez à la prison pour faire la sélection vous-même?
A: En effet, en effet, en effet. Il faut qu’on sélectionne.»
Dans ce documentaire, Lu Guoping reconnaît avoir reçu l’appel de notre correspondante. Il confirme avoir référé notre appelante à un hôpital de Guangzhou. Il reconnaît que la correspondante a demandé si cet hôpital-là usait d’organes de pratiquants de Falun Gong.
Ce qui change dans le documentaire est la réponse qu’il dit avoir donnée. Dans l’interview télévisée, il déclare: Je lui ai dit que je n’étais pas impliqué dans les opérations chirurgicales et n’avais pas la moindre idée à propos de la provenance des organes. Je lui ai dit que je ne pouvais pas répondre à ses questions. Elle m’a ensuite demandé si ces organes provenaient des prisons. Je lui ai répondu non dans des termes sans équivoque.
Sur la vidéo, le Dr. Lu se voit présenter une transcription partielle de l’appel qui lui a été passé et que l’on trouve dans notre rapport. Il a réagi en disant: "Les minutes de l’appel téléphonique ne sont pas conformes à la vérité. Plusieurs parties en ont été déformées ou mutilées. Le rapport déclare que quand on m’a demandé d’où provenaient les organes prélevés sur des pratiquants de Falun Gong prisons ou maisons de détention, j’aurais dit qu’ils venaient des prisons. Mais ce n’est pas ce que j’ai répondu….Le rapport dit aussi que quand la personne qui appelait m’a demandé si nous devions aller à la prison pour sélectionner les organes j’aurais répondu oui et ajouté que nous devions bien y aller pour effectuer un choix. Cette question n’a en fait même pas été posée à ce moment-là».
Le documentaire de Phoenix TV ne donne aucune indication sur le fait que nous avons un enregistrement où le Dr. Lu dit de sa propre voix les mots que notre rapport lui attribue. Et ni le docteur, ni l’interviewer ne font ou non de tentative pour expliquer comment diable nous pourrions avoir la voix du médecin sur un enregistrement en train de dire ce qu’il nie avoir dit, alternant sans heurts avec ce qu’il admet avoir dit: s’il n’a pas dit ce qu’il nie avoir dit. La suggestion laissée par le documentaire est que nous avons modifié une transcription. Comme il n’y a aucune reconnaissance d’un enregistrement, on ne peut suggérer que nous avons modifié l’enregistrement.
Shi Bingyi fut également interviewé pour ce documentaire. Cette vidéo montre Shi Bingyi déclarant sur l’écran qu’il n’a simplement jamais donné les chiffres que nous citons comme provenant de lui. Il dit dans la vidéo: «Je ne peux pas avoir fait une telle déclaration, car je n’ai aucune connaissance de ces chiffres je n’ai pas fait d’investigation détaillée sur ce sujet, combien avaient été effectuées et en quelle année. De ce fait je n’ai pas de chiffres à montrer. Je n’ai donc pas pu dire cela».
Lorsque Lu Guoping nie avoir déclaré ce que la bande sonore indique qu’il a dit, lorsque Shi Bingyi nie avoir précisé ce que des média officiels le montrent en train de dire, il n’y a visiblement aucune tentative d'accéder à la vérité. Au contraire, on nie la vérité pour des raisons de propagande. C’est l’antithèse même de la transparence et de la responsabilité.
3) Les sites web
Sur les sites web chinois, il y a eu un démantèlement progressif de l’information qui donne un aperçu des pratiques de transplantation. Un exemple est l’information internet sur les courts temps d’attente pour des greffes, information à laquelle nous nous référions dans notre rapport.
De courts temps d’attente signifient que les sources se font tuer pour leurs organes. De plus, du fait du besoin de compatibilité des types sanguins entre la source et le receveur ainsi que la prévalence de l’hépatite B en Chine, ce qui rend bien des sources potentielles inutilisables, et l’absence d’un système national de distribution d’organes, ce qui freine l’utilisation d’organes multiples à partir d’une même source, il faut que le nombre de personnes prêtes à être tuées pour leurs organes à un moment donné soit un multiple du nombre d’organes transplantés.
Le site web du Centre Chinois d’Assistance Internationale pour la Transplantation affirme: "Cela peut ne prendre qu’une semaine pour trouver un donneur (de rein) convenable, le temps maximum étant un mois…" Il poursuit en précisant: "Si quelque chose n’allait pas avec l’organe du donneur, le patient aura l’option de se voir offrir un autre donneur d’organe et avoir l’opération à nouveau programmée dans un délai d’une semaine". Le site du Centre Oriental pour les Greffes d’Organes proclamait au début d’avril 2006 que «le temps d’attente moyen (pour un foie compatible) est de 2 semaines». Le website de l’Hôpital Changzheng à Shanghaï indiquait: "…le temps d’attente moyen pour la fourniture d’un foie est d’une semaine tous patients compris.
Si vous allez maintenant sur ces sites, ces déclarations sont introuvables. Vous pouvez les voir sur notre propre site web, parce que nous les avons archivées, mais plus sur les sites dont elles sont originaires.
Ceci a représenté un schéma constant. Avec régularité, dès que nous citons une source officielle chinoise, la source disparaît.
D. Une enquête indépendante
En 2006, David Kilgour et moi désirions nous rendre en Chine pour notre enquête. Nous demandâmes par écrit à rencontrer l’ambassade chinoise au Canada afin de discuter des termes de notre entrée. Notre requête pour un rendez-vous fut acceptée. Mais la personne que rencontra David Kilgour n’avait d’autre intérêt que de nier les allégations et pas du tout d’organiser notre visite.
Le Comité des Nations Unies contre la Torture, dans ses observations de conclusion de novembre 2008, écrivait: "Le Parti-Etat se doit de conduire immédiatement ou de commissionner une enquête indépendante sur les déclarations selon lesquelles certains pratiquants de Falun Gong ont été soumis à la torture et utilisés pour des greffes d’organes et de prendre des mesures appropriées pour s’assurer que les responsables de tels abus soient poursuivis en justice et punis".
L’enquête que David Kilgour et moi avons conduite était indépendante, et le Comité contre la Torture ne prétendait pas suggérer autre chose. Ce qu’ils proposaient était une investigation indépendante du régime chinois avec laquelle ce dernier coopèrerait néanmoins en permettant l’accès au territoire chinois, aux documents, lieux de détention et témoins en Chine sans crainte d’intimidation ou de représailles.
Le rejet du régime chinois, lors du Groupe de Travail de la Revue Périodique Universelle des Nations Unies en février 2009, de la proposition canadienne que la Chine mette en œuvre les recommandations du Comité contre la Torture incluait le rejet de cette recommandation particulière. À la suggestion d’une investigation indépendante, la Chine a répondu par la négative.
Les ONG Médecins Contre le Prélèvement Forcé d’Organes (DAFOH) et le Parti Radical ont fait circuler une pétition appelant le Haut Commissaire aux Droits de l’Homme des Nations Unies "à engager la formation d’une équipe d’enquête indépendante et professionnelle pour superviser l’investigation sur les pratiques d’extraction forcée d’organes en Chine, avec une attention particulière pour les prisonniers de conscience".
Étant donné la nature des Nations Unies, ce type d’investigation aurait plus de chances de se produire si le régime chinois exprimait sa bonne volonté à coopérer.
E. Conclusion
Bien souvent, quand un crime est commis, la dissimulation qui s’ensuit est pire que le crime lui-même. Dans le cas d’espèce, la dissimulation pâlit à côté du crime que constitue le fait de tuer des innocents pour leurs organes. Pourtant, le couvrir rend le crime bien pire, car il met en cause encore plus de personnes que celles impliquées dans l’abus de greffe lui-même.
Celles qui sont directement impliquées dans l’abus de greffe d’organes sont en nombre limité —les gardes de prison, le personnel médical, les cadres du Parti qui encouragent et tirent profit de cet abus. Le nombre impliqué dans la dissimulation est bien plus étendu.
L’appareil tout entier du Parti et de l’État en Chine se trouve complice de la dissimulation du crime. Des personnes qui n’ont rien eu à voir dans la tuerie d’innocents pour leurs organes et qui y sont peut-être activement opposées se trouvent entachées par cette dissimulation et coupables d’aveuglement délibéré.
Les principes de traçabilité et de transparence de l’Organisation Mondiale de la Santé existent pour une bonne raison: prévenir les abus. Si les officiels chinois veulent éviter d’être complices de cet abus, il faut qu’ils se montrent francs, ouverts et honnêtes sur les sources d’organes de greffe. Ce qui signifie a minima :
a) de fournir des statistiques, passées et présentes, sur la peine de mort
b) de rendre publiquement accessibles l’ensemble des données sur les transplantations, passées et présentes, des quatre registres de greffes, et
c) d’indiquer une volonté de coopérer avec une enquête indépendante internationale sur les sources d’organes de greffe en Chine.
David Matas est un juriste international spécialiste des droits de l’homme basé à Winnipeg, Manitoba, Canada.
Version anglaise
Assessing Evidence of Genocide
Vous pouvez imprimer et faire circuler tous les articles publiés sur Clearharmony et leur contenu, mais veuillez ne pas omettre d'en citer la source.
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