Combattre l'assassinat des 'Falun Gong' pour leurs organes

Discours devant la Société Internationale pour les Droits de l'Homme
 
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L'avocat David Matas lors d'une conférence de presse. (Woody Wu/AFP/Getty Images)

Discours de David Matas devant la Société Internationale pour les Droits de l'Homme à Bern en Suisse, le 16 janvier 2010, à l'occasion de l'attribution du Prix des Droits de l'homme de la branche suisse

Quatre messagers viennent trouver Job, l'un pour raconter la perte de son bœuf et de ses ânes avec leurs gardiens; le suivant pour raconter la mort de son mouton et de ses bergers; le troisième pour raconter la mise à mort de tous ses chameaux avec les serviteurs; et le quatrième pour raconter le décès de tous ses fils et de toutes ses filles. Chaque messager dit: "Moi seul en ai réchappé pour vous le raconter." Ce sont aussi les mots d'Ishmael, dans le roman de Moby Dick de Herman Melville, à la fin de son tragique récit du Capitaine Ahab et du navire Pequod.

À proprement parler, je ne suis pas un survivant de l'Holocauste, car mes quatre grands-parents sont arrivés au Canada avant la Première Guerre Mondiale. Cependant, stricto sensu, chaque juif est un survivant de l'Holocauste. Six millions de juifs ont été tués. Tous les juifs étaient visés. C'est uniquement le hasard de la guerre qui a donné la victoire aux Alliés plutôt qu'à l'Axe durant la Seconde Guerre Mondiale. Si les forces de l'Axe avaient remporté la victoire, ni moi, ni aucun juif ne serait vivant aujourd'hui.

J'en ai réchappé pour raconter. Bien que nous ne puissions donner aucune signification au massacre insensé de tant de millions d'innocents, nous devons tirer des leçons de l'Holocauste. Il est facile de dire "Jamais plus". Mais que cela soit effectif n'est pas si facile. La réalité est que depuis la Seconde Guerre Mondiale, des génocides se sont produits encore et encore, pas sur des juifs, mais sur des cambodgiens, des Hutus, des Tutsis, des bosniaques, des somaliens et maintenant des pratiquants de Falun Gong.

Une des leçons que j'ai tenté de tirer de l'Holocauste est de ne jamais accepter en silence les brutales violations des droits humains, où qu'elles se produisent. L'Holocauste ne serait pas arrivé si partout les gens avaient protesté contre les violations brutales des droits humains, n'importe où, et aussitôt apparues.

Je me suis engagé dans le travail des droits de l'homme pour que cette leçon perdure, afin de rejoindre la lutte en faveur des droits de l'homme sur ce front. En luttant au premier rang, j'ai dû combattre un ennemi qui rôde sur le champ de bataille des droits humains, un cavalier de notre propre apocalypse, causée par l'homme, le cavalier de l'impuissance.

Il existe un sentiment trop répandu que les violations des droits de l'homme sont si énormes, et si lointaines et que rien ne peut être entrepris contre cela. Je suis d'avis que non seulement les individus dans des pays comme le Canada, très éloignés de violations brutales et incontestables, peuvent avoir un impact positif sur le respect des droits de l'homme, mais que c'est la voix des individus à travers le monde qui sera le plus à même de conduire au respect des droits de l'homme.

On a habituellement tendance à se tourner vers les gouvernements ou les Nations unies pour promouvoir le respect des droits de l’homme. Pourtant, les droits de l’homme appartiennent aux individus. À moins que les individus ne promeuvent le respect des droits, ces droits sont voués à disparaître.

Lorsqu’on m’a demandé, ainsi qu’à David Kilgour, d’investiguer les allégations que les pratiquants de Falun Gong étaient assassinés pour leurs organes. J’ai accepté sans hésitation. Je n’avais aucune idée quant à la véracité des allégations. Mais je savais que le Gouvernement de la Chine avait une politique et une pratique de persécuter les pratiquants de Falun Gong. Et je savais aussi, par ma propre expérience avec les organisations non-gouvernementales des droits de l’homme, que c’était une allégation que ces organisations auraient du mal à confirmer.

Pour ce prétendu crime, il était peu probable qu’il y ait un quelconque témoignage de témoin oculaire. Les personnes présentes sur la scène du prélèvement d’organes de pratiquants de Falun Gong, s’il avait bien lieu, auraient été soit les auteurs soit les victimes. Il n’y aurait pas eu de témoins. Parce que les victimes, selon les allégations, étaient assassinées et incinérées, il n’y aurait pas de corps à trouver, ni d’autopsie à faire. Il n’y aurait pas de victimes ayant survécu pour dire ce qui leur était arrivé. Il était peu probable que les auteurs de tels crimes confessent ce qui serait, s'ils avaient lieu, des crimes contre l’humanité.

La scène du crime, si le crime s’était produit, n’aurait laissé aucune trace. Une fois qu’un prélèvement d’organe est effectué, la salle d’opération dans laquelle il a lieu ressemble à n’importe quelle autre salle d’opération.

Le Gouvernement chinois réprime les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme. Il n’y a pas de liberté d’expression. Ceux qui rendent compte des violations des droits de l’homme en Chine sont souvent emprisonnés et parfois accusés de communiquer des secrets d’état.

Le Comité international de la Croix rouge n’est pas autorisé à visiter les prisonniers en Chine. Pas plus que n’importe quelle autre organisation concernée par les droits de l’homme des prisonniers.

Ces obstacles probatoires me disaient clairement que les organisations non-gouvernementales avec lesquelles je travaillais ne feraient rien à propos des allégations. C’était une allégation appelant à une investigation, mais sans aucune organisation non-gouvernementale établie pour enquêter. J’ai donc accepté de m’impliquer avec David Kilgour pour combler la brèche.

Comment nous avons été capables d’avoir prise sur les allégations, la preuve sur laquelle nous nous sommes appuyés, je vous laisse le découvrir par vous-même en lisant notre travail. Notre conclusion est qu’il y a eu et qu’il continue à y avoir aujourd’hui des saisies d’organes à grande échelle sur des pratiquants de Falun Gong non-consentants.

Nous avons conclu en Juillet 2006 que le gouvernement de la Chine et ses agences dans de nombreuses parties du pays, depuis 1999, avaient mis à mort un grand nombre quoique inconnu de prisonniers de conscience du Falun Gong. Leurs organes vitaux, reins, foies, cornées et cœurs, avaient été prélevés sans consentement pour la vente à bons prix, quelquefois à des étrangers, qui font face normalement à de longues attentes pour des donations volontaires de tels organes dans leurs propres pays.

Notre conclusion n’est pas venue d’un seul élément de preuve, mais plutôt de l'assemblage de tous les éléments de preuves que nous avons considérés. Chaque portion de preuve que nous avons considérée est, en soi vérifiable et, dans la plupart des cas incontestable. Prises ensemble elles dépeignent un terrible tableau. C’est leur combinaison qui nous a convaincus.

Parce que nous sommes tous les deux des activistes des droits de l’homme, nous ne pouvions pas rester sans rien faire après avoir conclu que des innocents étaient tués pour leurs organes. Notre activisme, nos voyages pour cet activisme, nous ont amenés à découvrir une nouvelle preuve. Nous avons produit une seconde version de notre rapport en juillet 2007 et une troisième version sous la forme d’un livre en novembre 2009, sous le titre de Bloody Harvest: The Killing of Falun Gong for their Organs. (Prélèvement meurtriers – l’assassinat des Falun Gong pour leurs organes)

Depuis l’annonce de notre investigation en mai 2006, il y a eu de nombreux changements en Chine et à l’étranger. Les changements en Chine concernant les greffes d’organes sont les suivants :

 

    * Le Gouvernement de la Chine a interdit la vente d’organes. Le 1er juillet 2006, une loi interdisant la vente d’organes a pris effet [1].
        * Les hôpitaux civils engagés dans les transplantations doivent aujourd’hui être enregistrés auprès du Ministère de la Santé. Les hôpitaux civils non enregistrés ne peuvent pas s’engager dans les transplantations.
        * Les patients chinois ont aujourd’hui priorité d’accès aux greffes d’organes par rapport aux étrangers. Le Ministre de la Santé a annoncé ce changement le 26 juin 2007. [2].
        * Le Gouvernement de la Chine s’est engagé à promulguer une loi pour légaliser le prélèvement d’organes sur des personnes en état de mort cérébrale. La proposition d’origine pour le changement de loi concernant les transplantations d’organes qui a pris effet le 1er juillet 2006, incluait une provision à cet effet.
        * Les sites internet en Chine qui faisaient la publicité des prix et des courts délais d’attente pour les transplantations ont disparu. Nous avons archivé les sites, mais ils ne sont plus visibles à partir de leurs sources.
        * Le Gouvernement de la Chine a annoncé en Août 2009 un système de donation d’organes en tant que projet pilote dans dix endroits.
        * Lorsque nous avons commencé notre travail, la position officielle du gouvernement chinois était que tous les organes avaient pour origine des donations volontaires, ceci en dépit de l’absence d’un système de donation d’organes. Aujourd’hui, le Gouvernement de la Chine reconnaît que sa source prédominante d'organes ce sont les prisonniers.    
    * De surcroît, le Gouvernement de la Chine accepte à présent que s’approvisionner en organes sur les prisonniers est erroné. Le Ministre adjoint de la Santé, Huang Jeifu, au moment de l’annonce d’un projet pilote de dons d’organes en Août 2009, a déclaré que les prisonniers exécutés ne “sont assurément pas une source appropriée pour les transplantations d’organes ". [3]

Depuis que nous avons débuté nos travaux, il y a eu aussi des développement significatifs hors de Chine :

    *Israël a adopté une loi interdisant la vente et le courtage des organes {4].
    *Israël a aussi mis fin à son financement par le biais du système d’assurance maladie pour les greffes pour ses ressortissants en Chine
    *Taiwan a interdit la visite de médecins chinois venant effectuer des greffes d’organes [5].
    * Les principaux hôpitaux de greffes de Queesland, Australie ont interdit la formation de chirurgiens chinois [6]
    * Un sénateur belge Patrik Vankrunkelsven et un membre du parlement canadien Borys Wrzesnewskyj ont tous deux présenté au parlement de leur pays une législation extraterritoriale interdisant le tourisme de greffes. La législation proposée devrait, une fois édictée, pénaliser tout patient de greffe ayant reçu un organe sans le consentement du donneur dans le cas où le patient connaissait ou aurait dû connaitre l’absence de consentement.
    *L’Association médicale mondiale a conclu un accord avec l’Association médicale chinoise, selon lequel les organes des prisonniers et autres personnes en garde-à-vue ne doivent pas être utilisés pour des greffes, excepté pour les membres de leur famille immédiate.
    *La société de transplantation s’est opposée aux greffes d’organes provenant de prisonniers ainsi que les présentations d’études impliquant des données du patient ou des échantillons provenant de récipiendaires d’organes ou de tissus issus de prisonniers.

Ces changements ne sont pas suffisants pour résoudre les abus dont nous avons parlé. Au contraire, pour les pratiquants de Falun Gong, le problème ne s'est pas amélioré mais a empiré. Depuis le début de nos travaux, le nombre de prisonniers condamnés à mort, puis exécutés a décru de façon significative, mais le nombre de greffes, au début, a diminué juste un peu, puis est revenu aux niveaux traditionnels. Puisque la seule autre source substantielle d’organes pour les greffes en Chine, en plus des pratiquants de Falun Gong, sont les prisonniers condamnés à mort, une décroissance des sources issues de prisonniers condamnés à mort signifie une augmentation des sources issues des pratiquants de Falun Gong.

Bien que les violations à l’encontre des pratiquants de Falun Gong soient devenues plus intenses depuis le début de nos travaux, le changement significatif dans la politique et la pratique à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de Chine nous encourage. La volonté de changement est présente. Nous devons continuer à exercer des pressions pour obtenir des changements jusqu’à ce que les abus cessent.

La récompense que vous nous donnez ici aujourd’hui, va certainement aider. J’ai reçu, au cours des années, de nombreuses récompenses pour mon travail sur les droits de l’homme, et je les ai toutes appréciées. Mais cette récompense est spéciale du fait du séminaire de cette dernière journée et demi sur l’essentiel de notre travail et l’engagement de la Société internationale pour les Droits de l’homme de se joindre à nous pour combattre ces abus.

Il semble que ces jours-ci, tout le monde veuille un raccourci. Les personnes préparées à étudier nos écrits, vérifier nos sources et tirer leur propre conclusion sont rares et éparpillées. Mais elles existent – Kirk Allison, un universitaire de l’université du Minnesota, Tom Treasure, un chirurgien en greffes britannique, Howard Wang, un étudiant en premier cycle de thèse de Yale, et je les applaudis ici pour cela.

Mais pour les médias, pour les parlementaires, pour les bureaucrates, ce qui importe souvent, n’est pas tant la qualité de notre travail que de savoir qui est d’accord avec lui. Le seul fait que David Kilgour et moi étions pratiquement seuls était, en soi, pour beaucoup, une raison de remettre notre travail en question. Avoir une organisation non gouvernementale respectée comme la Société internationale pour les Droits de l’Homme (et Droits de l’Homme sans frontières dont la maison mère se trouve en Belgique, qui s’est aussi joint à nos efforts) ajoute à la crédibilité de notre travail, soulage le fardeau sur nos épaules, renforce notre campagne de promotion et soutient la capacité de recherche pour le travail en cours.

Donc, je vous remercie pour cette récompense. Et je me réjouis de travailler avec vous dans les mois à venir dans la lutte pour mettre fin à l'assassinat des Falun Gong pour leurs organes.


David Matas est un avocat international des droits de l’homme, installé à Winnipeg, Manitoba, Canada
[1] Article 27, Application clinique des dispositions provisoires pour la gestion de la technologie de greffes d’organes humains
[2] Jim Warren, la Chine bouge rapidement pour changer le systéme de greffes, Informations Greffes, Septembre 2007
[3] ‘’Réforme des organes en Chine’’, Quotidien de Chine, 26 août 2009
[4] Shahar Ilan, Avec la benediction des principaux rabbis, la Knesset approuve la donation d’organes, Haaretz 24/03/2008
[5] Wang Changmin, Les médecins effectuant des greffes d’organes seront interdits de venir à Taiwan, Liberty Times à Taiwan, 26/10/2007
[6] Les hôpitaux interdisent la formation de médecins chinois, le Sydney Morning Herald, 5 décembre 2006

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