En 1996, des ouvriers de construction découvrirent un site funéraire contenant 400 statues de Bouddha. Avaient-elles été jetées? Cachées? En arrivant en Angleterre, Sarah Wise témoigne d'un extraordinaire trésor du 12e siècle. Doigts manquants, nez coupés ou pieds absents, rien ne dépare les Boudddhas de Qingzhou exposés à la Royal Academy de leur majestueuse sérénité. Nous, les non-éveillés, aurions tendance à voir le Bouddha comme un petit homme replet assis jambes croisées, affichant une large grimace au-dessus d'un ventre arrondi comme un tonneau, ou comme un géant au visage impassible. Mais les 35 sculptures de l'exposition le montrent sous de bien différents aspects. Créés entre 529 et 577, ces Bouddhas sont menus et minces, avec des torses aux courbes androgynes, des bouches en boutons de roses, et de longs nez fins. Mis en valeur par des spots individuels dans les trois pièces d'exposition plongées dans la pénombre, ils émanent une tranquillité sublime qui s'élève bien au-dessus de la mêlée de la "Royal Academy". Leur véritable but reste aussi mystérieux que les circonstances de leur disparition, il y a plus de 800 ans. En 1996, des ouvriers travaillant à la construction d'une école primaire dans la ville de Qingzhou (à environ 380 kilomètres au sud de Beijing dans la province Shandong) découvrirent un site funéraire en-dessous du terrain de jeux, qui fit autrefois partie du périmètre d'un temple bouddhiste. Il y avait là quelque 400 représentations du Bouddha, enterrées entre l'an 1100 et 1150. Les torses avaient été placés par couches, séparés par des tapis d'herbe, alors que les pièces de monnaie avaient été réparties sur la surface d'une manière cérémonielle. Toutes les statues étaient brisées, bien que plusieurs fussent réparées et restaurées. Quelques-unes portaient des traces qui suggéraient des dommages occasionnés par un incendie ou un tremblement de terre. Les fragments Qingzhou pourraient représenter l'ensemble d'une statuaire stylistiquement obsolète, que le monastère désirait remplacer par un art nouveau sans oser le détruire complètement. Autre hypothèse: elles pourraient également avoir été enterrées pour échapper aux dangers d'une des périodes de purges anti-bouddhistes; ou encore, elles auraient été écartées d'un seul coup, dans un accès d'iconoclasme. Après tout, le Bouddha lui-même avait recommandé à ses disciples de ne pas vénérer son image, l'adoration ne constituant pas le chemin de l'illumination. Tout comme la chrétienté avait subi les ravages de certains schismes dûs à l'adoration d'images, le bouddhisme eut l'occasion de s'interroger sur la pertinence des icônes. Quelques-unes des découvertes de Qingzhou portaient le nom des donateurs, montrant ainsi que la notion d'acheter sa place plus près du nirvâna s'était implantée.
Quelle que soit la raison de leur ensevelissement, les bouddhas sont de retour, débarquant à Piccadilly après Berlin et Zurich. L'esprit du Bouddha est également de retour en Chine: d'une lointaine parenté, le Falun Gong (mouvement spirituel) continue de croître en nombre, et des centaines de ses fidèles ont été internés par les autorités, les mêmes autorités si désireuses d'exhiber leurs trésors du 6e siècle dans le monde occidental (au-delà de la frontière provinciale Shandong-Henan, selon Amnesty International, de nombreux fidèles sont actuellement "ré-éduqués par le travail", dans la ville de Luongyang).
Quelques ornements des bodhisattva de Qingzhou montrent encore leurs couleurs d'origine; rouge, vert, noir. Ailleurs, la couleur de peau initiale du Bouddha est également bien conservée: le fabuleux rayonnement du Bouddha est rendu par de la dorure, alors que son chignon (symbolisant sa sagesse) est encore d'un bleu profond sur une des plus anciennes pièces exposées. Sur les visages, on a décelé des traces de petite moustache. D'une façon discordante pour le spectateur contemporain, on peut voir le relief d'un swastika sur le buste doré d'une des plus tardives effigies du Bouddha, dénotant ses 1000 perfections, et symbolisant la bonne fortune, jusqu'à ce qu'une période plus récente se l'approprie pour véhiculer un message bien différent. L'exposition est structurée de manière à montrer le changement qui s'est opéré depuis le style linéaire et stylisé des deux dynasties Wei (de l'an 386 à 550) jusqu'à une recréation en trois dimensions de la forme humaine, plus naturaliste de la triomphante dynastie du nord Qi (550-577), probablement inspirée par les innovations sculpturales de la Grèce antique via les artisans de l'Inde du nord-est.
Les plus anciennes sculptures présentées ici proviennent d'artistes anonymes de la dynastie du nord Wei (nomades mongols/turkmènes qui se sont installés en Chine avec la volonté de s'intégrer rapidement). Su Bai, érudit de l'art bouddhiste ancien pense que les Wei ont intégré les aspects dominants de l'art de leur pays adoptif dans leurs images du Bouddha: les figurines de la première salle ont en commun une qualité statique à deux dimensions; elles font partie de leur fond sculpté, ou en émergent, et ont des visages stylisés et standardisés. L'habillement (même celui du Bouddha) est similaire aux robes des prêtres confucéens.
Des sculptures de dragons élaborés s'enroulent autour des pieds du Bouddha, pendant que des êtres divins s'élèvent au-dessus de sa tête, le protégeant lui et sa doctrine sacrée. Les Qi du Nord étaient aussi des conquérants. Toutefois, selon Su Bai, ils rejetèrent la culture chinoise en faveur de tout ce qui venait de l'ouest (Inde), et deux salles à la Royal Academy montrent des statues Qi se libérant de leur environnement, tandis que l'habillement du Bouddha se réduit à une pièce de tissu, laissant apercevoir la chair et les muscles. Les visages deviennent individualisés, plus larges, plus joufflus, et les yeux sont baissés dans une attitude méditative. Les habits tombent en plis sur le corps, et on peut voir un Bouddha faire un pas en avant (la première tentative de ce genre dans la sculpture chinoise). Le Bouddha était réputé posséder 32 signes de perfection sur son corps, et 80 marques supplémentaires d'excellence. Aucun artiste n'était censé montrer littéralement les 112 phénomènes. Les 40 dents parfaites de Gautama ainsi que sa longue langue, par exemple, pouvaient être lues d'une manière implicite par le spectateur éclairé, sans être vraiment visibles.
Pourtant, paradoxalement, les artistes bouddhistes, essayant de saisir l'insaissable (le point de transfiguration, une entité sur le point d'atteindre le vide), portaient leur attention sur une série de critères mondains: les faits, les silhouettes et les mesures précises si l'uvre d'art devait accomplir ce que les chinois appellent "la résonance de l'esprit". Les sculpteurs Wei et Qi l'ont obtenu à coup sûr: le titre de l'exposition "le retour du Bouddha" est certainement un rappel du retour de la Momie, et il y a ce sens d'une vie latente, d'une énergie comprimée à l'intérieur des objets, le sentiment que, peut-être, seulement peut-être, ils se mettront à bouger une fois que nous serons tous repartis.
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