Le spectre de la solidarité des travailleurs n'a jamais fait son apparition en Chine. Selon toutes les prédictions de dirigeants syndicalistes comme Han Dongfang, aucun mouvement travailliste anti-gouvernemental n'a jamais pu émerger et ne le fera certainement jamais. Nul ne sait quand le volcan chinois du mécontentement social produira une éruption, mais les protestations d'ouvriers au cours de cette semaine dans les provinces de Liaoning et de Heilongjiang ne vont certainement pas déclencher une explosion de déstabilisation. Le mécontentement des travailleurs dans le nord-est industriel suit le schéma classique des revendications d'usine et des réunions en-dehors des quartiers-généraux régionaux du Parti. Le Parti réagit en formulant de sombres menaces en privé, des paroles mielleuses en public et en arrêtant les meneurs, ou "la petite minorité des fauteurs de troubles". Finalement, le gouvernement provincial ou central trouve de l'argent pour acheter les travailleurs au moins temporairement pendant que les organisateurs disparaissent pour de longues condamnations. Jamais on n'a vu les travailleurs contestataires se transformer en union travailliste non officielle mais organisée couvrant une région géographique ou industrielle. Les revendications sont toujours organisées par de relativement petits groupes de travailleurs réunis autour d'une usine (souvent au bord de la faillite). Ces contestataires se battent souvent pour persuader les fonctionnaires d'améliorer leur salaire. De telles manifestations sont tolérées et quelquefois soutenues par les directeurs d'usine. L'agitation réellement anti-gouvernementale des cités industrielles du nord-est vient du mouvement Falun Gong. Récemment, à Changchun ils ont même osé prendre le contrôle de la diffusion des programmes d'information de l'état pour faire passer leur message.
Bien que les moyens technologiques soient accessibles aux travailleurs pour communiquer et organiser leurs activités, ils ne les utilisent pas. La raison est partiellement idéologique; il s'agit de la classe ayant bénéficié des avantages du socialisme et ses membres ont toujours fait confiance au parti pour prendre soin d'eux. De plus, la plupart d'entre eux dépend de la bonne volonté du Parti pour presque toutes les nécessités; unité de travail, logement, soins médicaux, nourriture, éducation et retraite. Il faut être intrépide pour rejeter tout cela et s'engager dans un combat idéologique illégal pour saborder le gouvernement. Les manifestations de travailleurs à Liaoyang, à environ 40 km de Shenyang, capitale de Liaoning, ont souvent pris une grande place depuis le milieu des années 1990. Le chômage a atteint 25 %, en raison de la fermeture de la plupart des usines textiles, chimiques et métallurgiques. Les réformes commerciales du début des années 1990 permettaient aux fournisseurs et aux clients de choisir leurs partenaires commerciaux selon les lois du marché plutôt qu'à des directives.
De nombreuses usines, avec leurs vieux directeurs et équipements venant de l'économie autoritaire, ne pouvaient rivaliser avec leurs concurrents du sud. Jusque là, cela reste compréhensible. Ce qui a créé une révolution potentielle venait de la corruption grossière et des réformes maladroites des cadres. Tout un groupe de fonctionnaires de haut rang à Liaoyang, y compris Fan Yicheng, ancien directeur de l'usine de Liaoyang, Ferro-Alloy, ont été arrêtés pour corruption. Des directeurs accumulent d'énormes dettes, près d'un milliard de yuan dans le cas de l'usine, utilisant les prêts des banques de l'état. D'après la direction, les travailleurs, en désaccord avec les fonctionnaires municipaux, auraient dépensé une bonne partie de cet argent, laissant l'état et les unités de travail faire face aux conséquences.
L'énorme courant de corruption à Liaoning a été porté à la connaissance du public, après l'arrestation de plus de 120 fonctionnaires de haut rang à Shenyang. Cela a commencé par le Secrétaire du Parti, Mu Suixin. Son dispositif de parti travaillait main dans la main avec la mafia locale et a effectivement détruit les tentatives de construire une nouvelle économie crédible.
Malgré tout cela, le Premier Ministre Zhu Rongji décida de choisir Liaoning comme le meilleur banc d'essai pour le nouveau système national de pension. Pendant la conclusion de sa conférence de presse au Congrès National du Peuple, il déclara que cela, ainsi que d'autres expériences avaient été couronnées de succès. Les manifestations de protestation à Liaoyang et Daqing, dans le Heilongjiang, prouvent le contraire. Il a été impossible de lancer un plan pilote à Liaoning parce que personne ne voulait contribuer à un fond de pension commun. La plupart des fonds de pension d'entreprise avaient été pillés et aucun gouvernement local ne voulait dilapider le reste en l'injectant dans une caisse commune.
Le gouvernement central préfère plutôt concentrer ses ressources sur des projets grandioses, comme la reconstruction de Beijing pour les Jeux Olympiques. C'est ainsi que des millions de travailleurs de Liaoyang et d'autres villes n'ont pu retirer leurs pensions ou leurs revenus de subsistance.
Les travailleurs de Daqing, dans le grand champ pétrolifère qui fut autrefois une terre sauvage, s'en sortent mieux, par comparaison. Daqing est maintenant dirigé par PetroChina, qui en 2000 se plaça à New York et Hong Kong. C'est une énorme entreprise capitaliste affichant une valeur boursière de 29 milliards de dollars (HK$225 milliards) et des bénéfices de 6.7 milliards de dollars pour l'année passée. PetroChina a libéré des milliards de dollars pour des fonds et peut en faire encore davantage s'il le désire, tant qu'il se débarrasse des travailleurs et des affaires superflues. Jusqu'à présent il a évincé 50願 de ses 442願 employés mais les malchanceux ont au moins la possibilité de recevoir des indemnités substantielles. Les protestations de 90願 travailleurs à Daqing semblent porter principalement sur les montants de ces paiements. Ceux de Liaoyang ont reçu environ180 yuan par mois (HK$169) comme revenu de chômage et se voient proposer une prime en une fois de 20願 yuan. Les travailleurs des champs pétrolifères cherchent à obtenir deux ou trois fois plus. Après avoir été payés, les ouvriers abandonnent tous les droits sociaux à moins qu'ils ne choisissent de contribuer individuellement au nouveau fond de pension. La réelle injustice des négociations se trouve dans la différence de pouvoir entre les deux côtés. Les cadres de PetroChina profitent de tous les avantages d'une grande corporation dans une économie capitaliste, y compris des valeurs boursières, mais profitent d'un système politique léniniste qui interdit le libre-échange et les discussions publiques. Il existe un syndicat officiel mais il dépend de l'autorité du comité du Parti local. Il est illégal de former un syndicat non officiel ou toute autre organisation indépendante, et la Chine a montré peu d'enthousiasme face aux suggestions de libre-échange de l'Organisation Internationale du Travail.
Les Han Dongfang de Chine ne profitent même pas du soutien des dirigeants occidentaux qui représentent leur mouvement travailliste intérieur, tels que Tony Blair en Angleterre ou Gerhard Schroeder en Allemagne. De tels personnalités n'ont exercé aucune pression sur la Chine afin de libérer les syndicalistes emprisonnés et d'adhérer aux conventions internationales des droits professionnels. La majorité des meneurs syndicalistes disparaissent sans laisser de trace, et leurs noms sont rarement connus du monde extérieur. Dans la semi-privatisation des industries lucratives, les nouveaux propriétaires se sentent dépendants des associés; l'état ou l'investisseur privé.
Quand les employés n'aiment pas leur condition, la police armée est toujours là pour les ramener à la raison.
Jasper Becker est le rédacteur en chef du Post de Beijing.
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