RSF- Trois journalistes interpellés sur la place Tiananmen

La presse internationale toujours empêchée de couvrir les activités du mouvement Falungong
 
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Le 20 novembre, Wen-Chun Fan, cameraman de la chaîne de télévision américaine CNN, Jutta Lietsch, correspondante du journal allemand Leipziger Volkszeitung et du quotidien Tageszeitung, et Stefan Niemann, correspondant de la chaîne de télévision allemande ARD à Pékin, ainsi que son assistante, ont été interpellés par la police alors qu'ils couvraient la manifestation de trente-cinq adeptes occidentaux du mouvement spirituel Falungong sur la place Tiananmen à Pékin. Le matériel des cameramen a été confisqué. Les autorités ont reproché aux trois journalistes de ne pas avoir demandé l'autorisation d'effectuer ce reportage. Ils ont été relâchés deux heures plus tard. Mais leur matériel, notamment les pellicules, leur carte de presse et leur carte de résident ont été confisqués. Jutta Lietsch a été convoquée au ministère des Affaires étrangères dans l'après-midi, où il lui a été signifié qu'il ne serait pas tenu compte du délit si les journalistes ne rapportaient pas les événements dont ils avaient été témoins. Mais suite à la publication d'articles dans la presse allemande, un responsable chinois a qualifié le correspondant de l'ARD, Stefan Niemann, de "fauteur de troubles". Et les autorités ont confisqué la carte de presse du reporter de CNN, Wen-Chun Fan, pendant deux mois. Cette sanction pourrait également être appliquée à Stefan Niemann.

Reporters sans frontières proteste contre ces interpellations et ces sanctions, et la manière dont les autorités chinoises tentent d'empêcher les journalistes étrangers de rendre compte des activités de Falungong.

Depuis deux ans, les autorités chinoises harcèlent les journalistes étrangers qui enquêtent sur cette organisation criminalisée par le pouvoir. Le 22 juillet 1999, le gouvernement de Pékin a interdit le mouvement spirituel après l'avoir accusé d'être une "secte superstitieuse" et "diabolique". En vingt-huit mois, la répression lancée par les autorités a provoqué, selon Falungong, la mort d'au moins deux cent cinquante personnes et l'arrestation, pour de plus ou moins longues périodes, de cinq cent mille adeptes.

Depuis le début de l'année 1999, les correspondants de la presse étrangère en Chine se sont intéressés au phénomène Falungong, un mouvement s'inspirant du taoïsme, du bouddhisme et de la méditation traditionnelle chinoise, le Qi Gong. Mais c'est la manifestation du 25 avril 1999, au cours de laquelle des milliers d'adeptes de Falungong ont encerclé le siège du gouvernement central à Pékin, qui a attiré toute l'attention des médias.

Une fois la campagne d'éradication du Falungong lancée par le pouvoir, les journalistes étrangers ont été systématiquement entravés dans leur travail à ce sujet. Les photographes et les cameramen des médias étrangers sont empêchés de travailler sur et autour de la place Tiananmen où des centaines d'adeptes de Falungong ont manifesté au cours des dernières années. Selon les estimations de Reporters sans frontières, au moins cinquante représentants de la presse internationale ont été interpellés. Certains ont été frappés par des policiers. Les correspondants qui ont tenté de couvrir les activités du mouvement interdit ont été harcelés par les services de sécurité. Enfin, plusieurs adeptes de Falungong ont été emprisonnés pour avoir témoigné auprès de journalistes étrangers.

La police est toujours très présente autour de la place Tiananmen, prête à interpeller les photographes et cameramen qui arriveraient à saisir des images des quelques adeptes manifestant pacifiquement contre l'interdiction de leur mouvement.

Les témoignages recueillis par Reporters sans frontières auprès de correspondants de la presse étrangère sont accablants pour les autorités chinoises.

Menaces et filatures

Le 28 octobre 1999, Falungong réussit à organiser une conférence de presse clandestine pour certains médias internationaux. Une dizaine de journalistes sont présents, notamment des agences de presse étrangères. Les orateurs de Falungong ont tout le temps d'expliquer la nature du mouvement et de dénoncer la répression qui s'est abattue sur eux. Le lendemain, les médias du monde entier se font l'écho de cette conférence de presse. Une véritable humiliation pour les services de sécurité chinois, qui fomentent leurs représailles en conséquence. La police chinoise arrête cinq correspondants de la presse étrangère et confisque leur carte de presse. Au cours de longs interrogatoires, ponctués de menaces, les journalistes se voient reprocher de réaliser des "reportages illégaux". Ils sont contraints de signer une lettre dans laquelle ils reconnaissent avoir agi dans l'illégalité. Au cours des mois qui suivent, la majorité des journalistes étrangers qui s'intéressent à Falungong sont suivis, interrogés et menacés. Un correspondant d'un quotidien américain se souvient : "J'étais suivi en permanence. Parfois de loin, parfois de près. Les policiers se montraient très agressifs. Je ne pouvais même plus travailler ou rendre visite à des amis car j'avais peur de leur causer des ennuis. Mes contacts étaient surveillés en permanence et il m'était impossible de rencontrer des adeptes de Falungong de peur qu'ils ne soient arrêtés." Un autre journaliste basé à Pékin dénonce ces pratiques qui l'obligent encore à "quitter son domicile par la porte de derrière, à se cacher à l'arrière des taxis et à vérifier mille fois si l'on n'est pas suivi avant de rencontrer quelqu'un".

La transmission d'informations, notamment aux journalistes étrangers basés à Pékin, a également conduit plusieurs adeptes en prison. Ainsi, Zhang Xueling, citée dans une série d'articles d'Ian Johnson, le correspondant du Wall Street Journal à Pékin, est arrêtée par la police le 24 avril 2001. Elle est condamnée quelques semaines plus tard à trois ans de camp de travail. Le journaliste du quotidien américain avait rapporté dans un article, qui lui a valu un prix Pulitzer, que la jeune femme avait accusé la police de la province de Shandong (est du pays) d'avoir frappé à mort sa mère, également adepte de Falungong. Ian Johnson n'a pas confirmé que l'arrestation de Zhang Xueling était directement liée à son article, mais il est sûr qu'après avoir reçu le prix Pulitzer pour ses articles sur Falungong, la "police chinoise lui aurait fait la vie impossible à Pékin". Il est aujourd'hui correspondant à Berlin.

Gu Linna, adepte de Falungong, a également été condamnée à quatre ans de prison pour avoir fourni des informations à des journalistes étrangers sur l'internement psychiatrique forcé de centaines d'adeptes. Cette ancienne présentatrice de la chaîne de télévision de la province du Hebei avait également participé à l'organisation de conférences de presse pour les journalistes étrangers.


Interpellations et violences

Au cours de ces deux dernières années, des dizaines de journalistes, notamment des photographes et des cameramen d'agences ont ainsi été interpellés par la police alors qu'ils tentaient de couvrir les activités de Falungong à Pékin. Une vingtaine de reporters de l'Agence France-Presse ont été appréhendés par la police. AFP, Reuters, AP, CNN, tous ces médias ont souffert d'expulsions plus ou moins musclées de la place ou testé les camionnettes de la police transformées en commissariat mobile. La presse étrangère est donc "persona non grata" sur la place Tiananmen et aux alentours.

Ainsi, un photographe, d'origine chinoise, d'une agence de presse étrangère à Pékin se fait refouler systématiquement de la place Tiananmen. De même, un reporter français d'une agence de presse interpellé, en 2000, sur la place Tiananmen, est privé de carte de presse pendant plus de dix jours.

Un photographe d'une agence de presse raconte : "Lors des premières manifestations, nous avions décidé d'être présents en permanence sur la place. On se relayait. Dès qu'un groupe de Falungong entamait une manifestation, des policiers cherchaient toutes les personnes avec des appareils photo ou des caméras. Il fallait être rapide pour échapper à l'interpellation. Quand ils vous attrapent, ils ouvrent d'abord votre appareil, puis ils vous prennent votre carte de presse. Si vous avez de la chance, cela peut durer quelques heures, ou plusieurs semaines. En tout cas, ils vous empêchent de travailler." En juin 2001, Stephen Shaver, un photographe de l'AFP, est interpellé et frappé par des policiers lors du concert des Trois ténors en faveur de la candidature de Pékin aux Jeux olympiques de 2008 alors qu'il photographiait l'interpellation d'un individu par la police. Comme à leur habitude, les autorités chinoises ont accusé le photographe d'avoir "travaillé illégalement".

De même, Teresa Bergada, journaliste de la station espagnole Radio Catalunya, est interpellée et frappée par la police, en 2000, après avoir photographié l'arrestation de membres de Falungong à Pékin. Il faudra l'intervention de l'ambassade d'Espagne pour que la journaliste soit libérée.

Les équipes de télévision étrangères qui ont réussi à prendre des images de la répression contre Falungong ont été confrontées à un nouvel obstacle. La chaîne gouvernementale Télévision centrale de Chine, seule habilitée à envoyer des images par satellite vers l'étranger, a bloqué, sur ordre des autorités, la diffusion des images sur Falungong.

Répression contre Internet

Dès 1999, Falungong a utilisé des techniques modernes pour communiquer. Les réunions et les manifestations sont organisées via téléphones portables et e-mails. Falungong a lancé des sites Internet et des radios depuis l'étranger. Les autorités ont réagi très violemment en tentant de punir ceux qui transmettaient des informations et en empêchant les adeptes d'entrer en contact avec les groupes à l'étranger. Ainsi depuis maintenant deux ans, les sites Internet de Falungong sont interdits d'accès aux internautes chinois, et leur consultation est passible de peines de prison.

Les mauvais traitements attribués aux forces de sécurité ont provoqué la mort d'au moins deux adeptes de Falungong impliqués dans la diffusion ou la reproduction d'informations du mouvement sur Internet.
Le 27 juin 2001, Li Changjun meurt après avoir été torturé au cours de sa garde à vue. Il avait été arrêté le 16 mai pour avoir téléchargé et imprimé des documents concernant Falungong sur Internet. Selon le Centre d'information pour les droits de l'homme et la démocratie basé à Hong Kong, Li Changjun, âgé de 33 ans, travaillait au centre des impôts de Wuhan, dans la province de Hubei (centre de la Chine), et avait déjà été arrêté à plusieurs reprises pour avoir maintenu son adhésion à la "secte malfaisante", comme la qualifient les autorités. La mère de Li Changjun a déclaré que son fils était couvert de cicatrices et d'hématomes, que son cou et ses oreilles étaient violacés et qu'il était anormalement maigre.

Le 14 août 2001, Chen Qiulan, âgé de 47 ans, membre de Falungong, meurt d'une crise cardiaque dans le centre de détention de Daging (province de Heilongjiang, nord-est du pays). Il avait été arrêté en juillet 2001 pour avoir diffusé des informations sur Internet à propos du mouvement.

Par ailleurs, le professeur Chang a été condamné à trois ans de prison pour avoir envoyé des informations à une radio du Falungong basée à l'étranger. Il a été reconnu coupable de "diffusion de secrets d'Etat". Il avait en fait relaté la répression qui s'abat sur le mouvement.

Conclusions

Ces multiples violations de la liberté de la presse sont intolérables. L'obstination du gouvernement chinois à empêcher la presse étrangère de couvrir les activités et la répression du Falungong prouve clairement son refus d'accepter le pluralisme de l'information. Ainsi, le Parti communiste chinois dénie à la presse étrangère le droit de traiter de la dissidence, de la corruption, du SIDA dans la province du Henan, des catastrophes naturelles, des séparatismes tibétains et ouighours et du Falungong.

Reporters sans frontières demande aux autorités chinoises de cesser toute intimidation contre les journalistes étrangers qui tentent d'informer l'opinion publique internationale de la situation de Falungong en Chine. "La Chine s'est engagée auprès de la communauté internationale à laisser les journalistes travailler librement lors des Jeux olympiques de 2008 à Pékin. Les autorités devraient anticiper cette généreuse promesse en cessant d'entraver les correspondants de la presse étrangère", a souligné Robert Ménard, secrétaire général de RSF. Avant la prochaine session de la Commission des droits de l'homme des Nations unies, Reporters sans frontières interviendra auprès du rapporteur spécial sur la liberté d'expression pour dénoncer l'attitude des autorités chinoises vis-à-vis des journalistes étrangers.

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