Depuis qu’elle a 23 ans, Zhang Minghui vit dans la terreur. Elle craint le harcèlement de la police et les arrestations après avoir vu les policiers chinois frapper son père avec des planches de bois jusqu’à ce que ses pieds enflent et prennent une couleur violet foncé, et lui brûlent ensuite le bras avec un briquet.
Un peu avant ses deux ans, la police l’a enfermée avec son grand‑père dans un centre de détention non officiel pendant une semaine. Privés de nourriture et de boissons, ils ont dû se contenter des quelques restes que leur a fait parvenir en cachette un ami de son grand‑père.
La détention dans cette pièce sombre avec seulement deux petites fenêtres fait partie des souvenirs fragmentés de son enfance.
Quand elle était petite, elle se demandait si tout cela n’était pas un mauvais rêve.
Si seulement c’était le cas. Trois mois après avoir fui la Chine et s’être envolée pour l’Amérique en 2019, la police a de nouveau arrêté son père et l’a ensuite condamné à quatre ans de prison. Les 11 membres de la famille de Mme Zhang, comme des millions de foyers chinois, sont harcelés par les autorités. Leur crime, être des pratiquants de Falun Gong, une discipline spirituelle ancrée dans la tradition qui enseigne trois principes de vie fondamentaux : la vérité, la compassion et la tolérance.
Mme Zhang fait partie des 2 000 pratiquants de Falun Gong qui ont participé à un défilé dans le quartier de Flushing à New York le 23 avril 2022, pour marquer le 23e anniversaire de l’appel historique lancé par les adhérents à Pékin le 25 avril 1999.
Cet appel a été la plus grande manifestation pacifique de la Chine moderne depuis les manifestations étudiantes de 1989 sur la place Tiananmen. Et comme les manifestations de 1989, elle s’est soldée par une répression féroce de la part du Parti communiste chinois (PCC), qui ne tolère aucune dissidence.
Hostilité
Le Falun Gong était extrêmement populaire en Chine dans les années 1990. De bouche à oreille, il a attiré entre 70 et 100 millions de personnes pour ses bienfaits sur la santé et ses enseignements moraux. Les parents de Mme Zhang se sont rencontrés lors d’un événement de Falun Gong à cette époque, et se sont mariés par la suite. Pendant des années, les autorités chinoises ont ouvertement clamé les bienfaits de cette pratique pour la santé.
Ce sont les années que Mme Zhang n’a jamais connues, ces années qui ont précédé le brusque revirement du régime.
C’est en avril 1999, que les autorités ont initié leur premier acte d’hostilité, dans la ville de Tianjin, dans le nord de la Chine. La police est alors intervenue pour battre et arrêter des dizaines de pratiquants.
Les autorités de la ville leur ont signalé qu’ils pouvaient adresser une pétition à Pékin pour obtenir la libération des détenus. La nouvelle s’est répandue et plus de 10 000 pratiquants venant de tout le pays ont fini par se rendre à Pékin.
Mme Zhang n’était qu’une enfant à l’époque mais d’autres personnes présentes aux événements commémoratifs à Flushing et ailleurs étaient assez âgées pour s’en souvenir, comme Fan Minghua, notamment, une femme de 62 ans vivant en Virginie.
Défendre ce qui est juste
En 1999, Mme Fan, trentenaire, tenait un commerce à Tianjin. Quelques années auparavant, la femme d’affaires qu’elle était n’aurait jamais participé à l’appel du 25 avril.
Dans sa ville natale, Yangcun, Mme Fan était autrefois connue pour être une personne « rusée ». Elle savait tout vendre, des vêtements au poisson en passant par le charbon. Elle augmentait ses bénéfices en escroquant ses voisins. Elle mentait sur la longueur des pantalons, manipulait la balance pour faire paraître ses produits plus lourds ou diluait l’huile de sésame avec de l’huile végétale moins coûteuse.
« Je ne pensais pas à la morale à l’époque. L’argent était roi », raconte pour Epoch Times Mme Fan, alors qu’elle participe à un événement similaire commémorant l’appel de 1999 à Washington le 23 avril.
La lecture des livres de Falun Gong en 1997, dit‑elle, a provoqué un « changement à 360 degrés » dans son esprit. Après avoir compris l’importance d’être une bonne personne, elle a mis fin à toutes ses pratiques sans scrupules. Et la voilà, de temps à autre, à faire don gratuitement de ses produits aux clients en difficulté.
Le fameux jour du 25 avril, debout dans la rue Fuyou, près du complexe de Zhongnanhai, le siège du Parti communiste chinois (PCC) à Pékin, Mme Fan ressentait une énorme fierté, de l’amour propre, en défendant les valeurs auxquelles elle s’identifiait réellement.
Li Huilai, une dame de Pékin, de quelques années son aînée, éprouvait la même chose. Ce matin, Mme Li s’était éclipsée bien tôt de la maison alors que son mari et son fils dormaient encore. Comme Mme Fan, Mme Li était venue pour prendre position.
« S’ils peuvent arrêter des gens à Tianjin aujourd’hui, ils peuvent nous faire la même chose demain [à New York] », explique à Epoch Times Mme Li, qui vit désormais à New York et participe au défilé de Flushing. Elle a aujourd’hui 66 ans.
Un appel pacifique
Dans la rue bordée d’arbres, les pratiquants formaient tranquillement des rangées s’étendant sur plus d’un kilomètre, certains faisaient des exercices de méditation ou lisaient les livres du Falun Gong qu’ils avaient apportés. D’autres, comme Mme Fan, ramassaient des bouteilles en plastique et d’autres déchets sur le sol. Beaucoup se souviennent avoir vu des voitures passer lentement dans la rue, et des personnes munies de caméras qui filmaient.
Mme Fan se souvient que les pratiquants se tenaient sur le trottoir tout en laissant un maximum de place aux piétons. Le calme des pratiquants de Falun Gong contrastait bizarrement avec le bruit des voitures de police. Selon Mme Fan, pas un seul pratiquant ne faisait d’esclandre ni ne se montrait arrogant, tous étaient très calmes. « C’était magnifique », se souvient‑elle.
Le soir, tous ceux venus pour l’appel quittèrent la capitale après avoir appris que les pratiquants de Tianjin détenus avaient été libérés et avoir été assurés de leur droit de pratiquer librement et sans crainte.
Lors des manifestations organisées sur la place Tiananmen, à quelques rues de là, des nuées d’éboueurs sont normalement déployés pour nettoyer plusieurs tonnes d’ordures laissées par les militants. Mais après une journée de manifestation de 10 000 pratiquants de Falun Gong, se souvient Mme Li, il n’y avait pas même un mégot de cigarette (pas même « ceux de la police »).
Passant devant un policier qui filmait, Mme Li lui a dit : « S’il vous plaît, regardez, où trouvez‑vous des gens aussi bons que ça ? » Le policier n’a pas dit un mot.
Terrorisme d’État
Les assurances données par Pékin aux pratiquants se sont révélées fausses.
Le 20 juillet de la même année, une répression sanglante allait s’abattre et faire régner la terreur dans toute la Chine. Quelques mois plus tard, Mme Li serait licenciée de son entreprise pour s’être rendue à Pékin. Son mari craignant les représailles du gouvernement lui annoncerait son intention de divorcer (avant de se raviser).
Mme Fan, qui avait bénévolement mis en place un site pour faire les exercices de Falun Gong, a dès le départ été une cible privilégiée.
Au petit matin du 20 juillet, la police a fait irruption dans sa maison après avoir escaladé les murs et l’a arrêtée. Au centre de détention, la police l’a forcée à regarder des vidéos de propagande et à signer un document où elle acceptait de renier sa foi.
Durant l’enfance, Mme Fan avait vu sa maison saccagée pendant la révolution culturelle. Les gardes rouges – des adolescents fanatisés qui appliquaient violemment les doctrines radicales de Mao Zedong – avaient emporté tous les objets de valeur de sa famille, y compris la porte. Traumatisée par ces expériences de terrorisme d’État, Mme Fan finit par céder à la police.
Elle n’oubliera jamais le moment où elle a renoncé à sa foi. « J’ai eu l’impression que mon corps tout entier était paralysé. »
Le lourd tribut d’une famille
C’est dans une telle atmosphère qu’a grandi Zhang Minghui.
Dix des onze membres de la famille de Mme Zhang pratiquent le Falun Gong, et ils ne comptent plus les arrestations, les perquisitions et le harcèlement policier subis au cours des vingt dernières années.
Le jour même du déclenchement de la campagne de persécution, Wang Zhen, la grand‑mère de Mme Zhang, a été emmenée par la police dans une camionnette à Weifang, dans le centre de la province orientale du Shandong, et détenue pendant environ deux semaines.
Ce même jour également, son père, qui se trouvait à Pékin pour lancer un appel en faveur du Falun Gong, a été brutalement battu par des policiers, roué de coups de poing, de coups de pied, de coups de matraque et de planches en bois. Il est donc revenu en sang, la tête boursouflée et des ecchymoses sur tout le corps, selon le témoignage que sa femme a soumis sur le site Minghui en 2017. Le site Minghui, tenu à partir des États‑Unis, suit la persécution en Chine et recueille des témoignages.
Pendant sa détention, les pieds de son père ont fini par enfler au point qu’il ne pouvait plus mettre ses chaussures. Des zones se sont infectées sur ses bras, à l’endroit où la police l’avait brûlé avec un briquet. Il a fallu attendre plus de deux mois pour que les gonflements disparaissent.
En 2000, alors que la famille avait prévu de se réunir pour le Nouvel An chinois, les parents et les grands‑parents de Mme Zhang ont à nouveau été arrêtés. Cela deviendrait fréquent désormais dans leur vie. Par conséquent, Mme Zhang a été prise en charge par sa tante.
Après un mois de torture, son père a perdu la moitié de son poids, passant de plus de 90 kg à environ 45 kg. Peu après, il a été condamné à trois ans de prison.
Cette persécution si longue dans le temps, a fait passer les Zhang d’une famille aisée à une famille qui se bat pour survivre. À chacune de leurs visites, les policiers confisquent tout leur argent et leurs biens. Ils ont notamment confisqué deux voitures d’une valeur totale de 50 000 yuans (env. 7 000 €), ce qui représente quatre fois le revenu annuel d’un habitant du Shandong.
Persévérance
Avant de venir aux États‑Unis et de s’inscrire aux beaux‑arts, Mme Zhang espérait que sa famille la rejoindrait. Mais l’arrestation et l’emprisonnement de son père en 2019 ont coupé court à ce rêve.
« Nous ne cherchons vraiment pas à vivre une vie extravagante, mais même vivre une vie des plus basiques est maintenant difficile », explique‑t‑elle à Epoch Times.
Depuis que le Covid‑19 a éclaté, les familles ne sont plus autorisées à rendre visite aux prisonniers. Depuis la mi‑décembre, les proches n’ont pas pu passer un seul appel vidéo avec son père, et ils ne savent rien de son état de santé.
Bien qu’elle soit en sécurité et libre en Amérique, Mme Zhang est très inquiète pour sa famille restée en Chine. La pression psychologique, dit‑elle, n’est presque pas différente de celle qu’on ressent en prison.
Mais avec le recul, Mme Zhang pense que les 22 années de persévérance de sa famille en valaient la peine. « Je ne serais même pas née sans Dafa », dit‑elle, en faisant référence à un autre nom du Falun Gong, Falun Dafa.
La question de savoir s’il faut persévérer dans sa foi est une question à laquelle de nombreux pratiquants en Chine ont été confrontés.
Mme Li boite légèrement en raison d’une chute du quatrième étage d’un immeuble alors qu’elle fuyait la police. Souvent ses collègues, les officiers du comité du quartier, les agents qui l’interrogeaient et ses supérieurs au travail l’ont exhorté à remplir un formulaire pour renoncer à sa foi.
« Vous pouvez tout avoir, votre salaire, votre emploi, rien ne sera affecté si vous vous contentez de pratiquer secrètement chez vous », faisaient‑ils valoir.
Bien que la proposition l’ait tenté quelquefois, elle a décidé de rester fidèle à ses convictions. Même lorsqu’elle était détenue, une pensée la faisait tenir bon : « Quelqu’un doit défendre la justice. »
Terri Wu a contribué à cet article.
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