Une romancière australienne s’inquiète des restrictions imposées à son travail, imprimé en Chine mais destiné à être publié ailleurs
L’auteure de thrillers australienne Louisa A. Larkin travaillait sur son prochain roman lorsque le téléphone a sonné, le 24 mars dernier. À l’autre bout du fil, le rédacteur en chef du Reader’s Digest, qui s'apprêtait à imprimer une version condensée de son dernier roman Thirst.
L’entreprise chargée d’imprimer le Reader’s Digest en Chine a fait arrêter l’impression et demandé à la revue de retirer les références au Falun Gong et à la torture présentes dans l’œuvre de Mme Larkin. Celle-ci s’est vue proposer deux choix: censurer son roman ou annuler le contrat avec le magazine.
"Je ne m’y attendais vraiment pas, c’était tellement déroutant que j’avais l’impression que cela sortait tout droit d’un roman", a déclaré Louisa Larkin lors d’un entretien au téléphone depuis son domicile de Sydney.
Ce qui m’inquiète le plus, a-t-elle poursuivi, c’est que l’édition en cours d’impression n’était pas destinée à être publiée en Chine. C’était pour les éditions du Reader’s Digest en Australie, en Nouvelle-Zélande, à Singapour, en Malaisie et en Inde.
"C’est de la censure hors territoire et c’est une façon de contrôler une vision du monde de la Chine et d’en faire ce que la Chine veut qu’elle soit," a expliqué Mme Larkin
Elle a refusé de censurer son roman: le Reader’s Digest l’a retiré de l’édition.
Un représentant du Reader’s Digest a affirmé que le magazine n’avait aucune responsabilité dans l’affaire. Le bureau australien n’a pas réagi dans l’immédiat.
Réaction des réseaux sociaux
Twitter s’est enflammé et des auteurs et écrivains du monde entier ont exprimé leur consternation.
L’agent de Mme Larkin, Philip Patterson de l’agence Marjacq Scripts, a confirmé que ces auteurs ont une bonne raison de s’inquiéter. Il a écrit dans un courriel: "La conséquence est que les écrivains commencent à demander à leur maison d’édition ou à leur représentant: 'Mon travail va-t-il être va être modifié?'"
"Je doute qu’un écrivain ayant un minimum d’intégrité prenne volontairement part à cela," a ajouté M. Patterson.
Le Reader’s Digest a annoncé à Louisa Larkin que la revue envisageait de faire imprimer son roman à Hong Kong, où il ne serait pas soumis à la censure chinoise. Un tel procédé coûterait toutefois 30.000 dollars de plus.
Finalement, il a été plus rentable pour le Reader’s Digest d’économiser 30.000 dollars que de préserver la liberté d’expression de ses auteurs.
"Ce qui s’est passé, c’est que le Reader’s Digest a travaillé avec un imprimeur chinois, celui-ci dit à un très grand nombre de maisons d’édition américaines et internationales ce qu’il peuvent et ne peuvent pas faire, et je trouve ça très préoccupant", a dit l’auteure.
Le Falun Gong et les tortures ne sont que brièvement mentionnés dans le roman de Louisa Larkin.
Thirst, un thriller publié en 2012, relate l’histoire d’une équipe de scientifiques dans une station de recherche en Antarctique, assiégée par un groupe de mercenaires.
L’un des personnages piégé dans la station est Wendy Woo, une femme d’origine sino-australienne. Elle a fui la Chine pour l’Australie car sa mère avait été arrêtée pour avoir pratiqué le Falun Gong et elle apprend plus tard que sa mère a été torturée par les autorités chinoises pour avoir refusé de renoncer à sa foi.
"Si je me soumettais à la censure chinoise et que je retirais les références au Falun Gong, j’aurais l’impression d’avoir trahi mes propres convictions, mais également le personnage et sa mère et ce que mes lecteurs attendent de moi," a expliqué l’auteure.
Une croyance menacée
Le Falun Gong est une forme de méditation traditionnelle chinoise enseignent à respecter les principes d’authenticité, de bienveillance et de tolérance. Les adeptes de cette pratique sont violemment persécutés par le Parti communiste chinois (PCC) depuis 1999.
Le Falun Gong fait partie des cinq groupes qui sont aujourd’hui la cible principale de la censure en Chine. Sont également visés les Tibétains, les Ouïgours, les militants pour la démocratie chinoise et les partisans de l’indépendance de Taïwan.
Un rapport publié par Freedom House en 2013 explique pourquoi le PCC se focalise sur ces sujets: "Ces questions touchent à certains des abus les plus flagrants et récurrents commis en Chine aujourd’hui, pointant la nervosité du PCC à l’idée de voir son régime de violence révélé, ainsi que les coûts humains du silence international."
Le rapport dénonçait également que les censeurs chinois essaient d’étendre la censure au-delà des frontières de leur pays, et en particulier autour de ces sujets. Cette influence va du satellite de l’entreprise française Eutelsat qui a coupé le signal de la chaîne de télévision chinoise New Tang Dynasty pour "faire un bon geste envers le régime chinois", à l’agence de presse Bloomberg News qui auto-censure certains de ses articles pour éviter de froisser les autorités chinoises.
Le Reader’s Digest a informé Mme Larkin que la Chine avait déjà insisté auparavant pour censurer un ouvrage général dans lequel le Tibet était mentionné.
Celle-ci a cependant déclaré que cette tentative de censurer son travail était le premier exemple de censure d’une œuvre de fiction destinée à être distribuée hors des frontières chinoises et elle trouve les conséquences de cet acte très inquiétant.
"Cela prouve la vulnérabilité des auteurs et des maisons d’éditions lorsqu’ils travaillent avec un pays où la liberté d’expression n’existe pas", a conclu Mme Larkin.
* * *
Vous pouvez imprimer et faire circuler tous les articles publiés sur Clearharmony et leur contenu, mais veuillez ne pas omettre d'en citer la source.
Version en anglais :
Chinese Censors Twist Arm of Reader’s Digest