De grâce plus de Dante ! (Première partie) : Comment Dante suscite la réflexion

Facebook Logo LinkedIn Logo Twitter Logo Email Logo Pinterest Logo

Dante nous montre un chemin qui mène de l'enfer au purgatoire. Détail d'un portrait allégorique de Dante Alighieri, fin du XVIe siècle, par un maître inconnu. Galerie nationale d'art. (Domaine public)


Récemment, un brillant universitaire américain d'une université fort prestigieuse m'a adressé quelques mots : "Les universités sont en train de mourir". Je ne sais pas personnellement si c'est vrai, n’ayant jamais fréquenté une université américaine et ne vivant pas aux États-Unis. Mais ses paroles ont résonné en moi, car c'est certainement vrai au Royaume-Uni.


Peut-être que les facultés de sciences, de technologie et de médecine fonctionnent à merveille à leur propre façon, satisfaites d'elles-mêmes, car elles continuent d'attirer des bourses et des aides, et surtout, elles sont amenées à croire quels garçons et filles intelligents ils sont, la crème de la réussite intellectuelle. Mais il s'agit en fait d' une grave distorsion de ce que l'on entend par éducation.


La science, par exemple, nous dit "comment" sont les choses, mais pas vraiment " quoi " et, avant tout, " pourquoi ". Le "pourquoi" des choses est bien plus important que le "comment" ; cela ne veut pas dire que le "comment" n'est pas important, mais le "pourquoi" englobe des questions ultimes telles que notre objectif. La science et la technologie, sans véritable but, ne sont pas bénéfiques pour l'humanité, mais dangereuses.


Pour découvrir le pourquoi, nous devons revisiter les sciences humaines et leurs différentes facultés, ce qui est, bien sûr, là où la mort arrive.


Voici un aperçu : entre 7 et 10 ans, mon plus jeune fils, Joseph, était un fan d'Harry Potter ; et grâce à "Harry Potter", ses capacités de lecture et d'imagination ont énormément progressé. Mais ça a été un peu surprenant quand à ses 18 ans (en 2011), il a cherché des universités potentielles et en a trouvé une au Royaume-Uni qui proposait un diplôme d'anglais - dont les études relatives à "Harry Potter" étaient un élément clé ! Comme l'université était fière de son approche contemporaine et non élitiste de la littérature. Et comme ce doit être triste pour cette université aujourd'hui, alors que la seule réponse appropriée, apparemment, à un livre de J.K. Rowling est de le brûler pour l’opinion insensible de son auteur selon laquelle être une femme signifie être une femme.


J.K. Rowling recevant un prix Robert F. Kennedy des droits de l'homme en 2019 à New York. Elle a depuis rendu le prix. (Bennett Raglin/Getty Images pour les droits de l'homme Robert F. Kennedy)


Tout cela m'amène au point fondamental que si nous ne cherchons pas sérieusement à comprendre à quoi ressemble la grande pensée - que l'on retrouve dans les œuvres des théologiens, des philosophes, des écrivains et des poètes - nous en tant que civilisation allons sombrer. La chute se fera dans les idéologies furtives - l'égalité, la diversité, le 'woke"- toutes soutenues par une forme virulente de marxisme, et la fin de toutes les vraies valeurs telles que nous les connaissons et les aimons.


À quoi ressemble une grande pensée
Si nous réduisons la grande pensée à un domaine qui me passionne personnellement, ce serait pour dire : chaque enfant devrait être exposé en permanence, au cours de son éducation, à la bonne, à la grande et à la plus grande littérature. En effet, en tant qu'adultes, le besoin de connaître davantage que les best-sellers et les éditions numériques est également d'une importance capitale si nous voulons continuer à grandir en tant qu'êtres humains et en tant que citoyens.


Ce qui constitue la grande littérature, ce ne sont pas les livres contemporains pleins de politiquement correct, de mèmes et de thèmes woke avec toute leur vertu ostentatoire, signalant leur supériorité. Ils sont l'équivalent de la restauration rapide, mais moins nutritifs. Les textes classiques ne sont pas définis par des hommes patriarcaux, blancs et de classe moyenne ; au contraire, ils émergent des cultures parce que les gens d'une culture ont longuement réfléchi au texte et ont constaté qu'à chaque fois qu'ils y reviennent, il y a plus de valeur à en tirer : plus de divertissement, plus d'idées, plus d'apprentissage, plus de beauté, et - oserais-je le dire ? – plus de transcendance. Le grand classique parle aux parties les plus profondes de la nature humaine et indique généralement une certaine divinité au-delà de celle-ci.


Un bon exemple de la littérature que j'ai en tête serait la "Divine Comédie" de Dante, une œuvre de génie. En ce qui concerne le canon occidental, on ne peut lui comparer qu'une demi-douzaine d'œuvres environ.


Soyons clairs aussi. Il n'y a rien de mal à avoir un canon occidental, surtout s'il fait l'objet d'un débat animé et d'une révision. C'est l'écrivain anglais Samuel Johnson qui, dans sa "Préface" aux "Pièces de William Shakespeare", a présenté la question de la manière la plus succincte : "Ce que l'humanité possède depuis longtemps, elle l'a souvent examiné et comparé, et si elle persiste à l'apprécier, c'est parce que des comparaisons fréquentes ont confirmé l'opinion en sa faveur. Comme parmi les œuvres de la nature, aucun homme ne peut appeler à juste titre un fleuve profond ou une montagne haute, sans la connaissance de multiples montagnes et de multiples fleuves ; ainsi, dans les œuvres du génie, rien ne peut être qualifié d'excellent tant qu'il n'a pas été comparé à d'autres œuvres du même genre ... Ce qui est connu depuis longtemps a toujours été le plus estimé, et ce qui est le plus estimé est le mieux compris".


Un portrait de l'homme de lettres Samuel Johnson, vers 1772, par Sir Joshua Reynolds. (Domaine public)

Et le fait est que la "Divine Comédie" de Dante n'est pas un livre académique poussiéreux que nous pourrions poliment applaudir pour son érudition, ou une parabole politiquement correcte vantant des vertus utopiques adaptées à des futurs utopiques qui ne seront jamais. Au contraire, la "Divine Comédie " est une histoire captivante comme aucune autre : un voyage jusqu’en enfer, à travers le purgatoire et s’appuyant sur le paradis lui-même. Même un seul chant sur les 100 qui constituent l'ensemble du poème est plein de surprise, de mystère, d'émotion, de mythologie, de philosophie et plus encore, y compris, surtout, ce que nous voulons tous savoir - les gens, leurs difficultés et leurs conditions, toutes sortes d’entre eux.


Même un seul chant du chef-d'œuvre de Dante, la "Divine Comédie", est plein de mystère et d'émotion. Chant 1 de "L'Enfer", la première partie de la "Divine Comédie". (Domaine public)


La nature de la réalité
La "Divine Comédie" est une œuvre qui explore la nature même de la réalité. Comme l'observe le professeur William Franke dans son brillant ouvrage "Dante's Interpretive Journey", comprendre la réalité n'est jamais facile ; c'est une chose avec laquelle chacun doit se battre. La "Divine Comédie" n'est pas une œuvre de propagande catholique. Dante invite constamment le lecteur à interpréter le sens de ce qui se passe pour lui ou elle. Et ce n'est pas : Voici la vérité ; à prendre ou à laisser. Au contraire, le texte s'interroge et vous invite, vous le lecteur, à faire exactement la même chose. Comme ce pourrait être stimulant pour un lycéen en fin de scolarité, sans parler d’un adulte ?



Le livre du professeur William Franke offre des aperçus édifiants sur l'œuvre de Dante.


Quelques exemples pourraient aider à clarifier ce que je veux dire ici. Le problème principal de l'ensemble du poème est de savoir s'il est littéralement vrai, comme le prétend Dante. Que devons-nous faire de cette œuvre : S'agit-il simplement d'une œuvre d'art ou Dante est-il vraiment allé en enfer et au-delà, comme il le prétend ? Est-il un visionnaire ou un prophète de Dieu ? Comment pouvons-nous savoir comment décider de ces affirmations ?


Ou bien prenez un autre exemple que j'aime particulièrement et que Franke explore dans son livre : Comment se fait-il que Dante, d'une part, se réfère aux dieux anciens et païens et les rejette comme menteurs et faux, et que, d'autre part, il invoque Calliope et Apollon comme ses muses pour l'inspirer dans son voyage ?


Avec ces questions, nous en arrivons à explorer la question fondamentale de ce qu'est la vérité, et à quel point ce récit du voyage de Dante est vrai.


Une statue de Dante Alighieri, 1865, par Enrico Pazzi, à côté de l'église Santa Croce à Florence, Italie. (Jörg Bittner (Unna) / CC BY-SA 3.0)

Les grands sujets par rapport aux mèmes à la vertu ostentatoire
Ce sont de grands sujets, mais les jeunes personnes aiment les grands sujets, n'est-ce pas ? C'est certainement le genre de livre qui suscite la curiosité, l'émerveillement et l'étonnement, et qui fournit un lest intellectuel pour le reste de la vie ! Mais j'espère, aussi, qu’ il est évident que ce mode de pensée est à des millions d'années-lumière des certitudes de la pensée 'woke' et du politiquement correct.


Dans la culture 'woke', la vérité est toujours noire et blanche, au sens propre du terme : les noirs sont bons, les blancs sont mauvais ; les femmes sont bonnes, les hommes sont mauvais ; la liberté (alias : la licence) est bonne, l'autorité est mauvaise ; les libéraux sont bons, les conservateurs sont mauvais ; et ainsi de suite. Ces vérités évidentes sont bien sûr loin d'être évidentes, mais il est clair que tant de gens ont maintenant perdu leur capacité à penser - c'est-à-dire à "discriminer" dans le vrai sens du terme - qu'ils tombent dans le panneau de ces mèmes stupides.


Nous sommes maintenant littéralement dans la 700e année depuis la mort de Dante Alighieri. Il est mort le 13 septembre 1321, et l'année prochaine nous devons donc célébrer ce géant dans le monde de la poésie et de la philosophie. Mais, dans l'intervalle, quelle pourrait être la plus grande contribution de la poésie de Dante à notre monde actuel ?


La réponse, je pense, est la question de la liberté de la volonté et de son fatal opposé, le déterminisme. Nous nous pencherons sur cette question dans la deuxième partie de cet article et nous verrons comment elle est explorée dans les trois mondes de Dante et comment, dans notre société actuelle, nous faisons l'expérience de l'incrédulité dans le libre arbitre qui se révèle désastreuse.


James Sale est un homme d'affaires anglais dont la société, Motivational Maps Ltd, est présente dans 14 pays. Il est l'auteur de plus de 40 livres sur la gestion et dans le domaine de l'éducation, publiés par de grands éditeurs internationaux, dont Macmillan, Pearson et Routledge. En tant que poète, il a remporté le premier prix du concours 2017 de la Society of Classical Poets et est intervenu en juin 2019 lors du premier symposium du groupe qui s'est tenu au Princeton Club de New York.


Version anglaise:
More Dante Now, Please! (Part 1): How Dante Provokes Thinking


* * *

Facebook Logo LinkedIn Logo Twitter Logo Email Logo Pinterest Logo

Vous pouvez imprimer et faire circuler tous les articles publiés sur Clearharmony et leur contenu, mais veuillez ne pas omettre d'en citer la source.