Le Jugement de Paris: Qui ignorons-nous?

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“Le Jugement de Paris,” entre1485 et 1488, par Sandro Botticelli et son atelier. (Domaine public)


Une des plus grandes histoires issues de la mythologie Grecque est celle du Jugement de Paris. Elle est, d'une certaine façon, une histoire simple, mais sous le vernis apparemment évident de "qui est la plus belle de toutes ?", résident de profondes implications qui nous interpellent aujourd'hui, car cette histoire résonnera toujours, tant que les êtres humains réfléchiront sur leurs vies.


Mais d'abord, de quelle histoire s'agit-il, exactement ? Il s'agit du prélude, ou de la célèbre cause, de la Guerre de Troie. Homère ne s'y appesantit pas particulièrement, mais son chef-d’œuvre "L’Iliade" et la mort d'Achille découlent directement du Jugement de Paris, tout comme les errances de l'Odyssée, après le saccage de Troie. Dit d'une autre manière, toute une civilisation, Troie, et des dizaines de milliers de personnes, des deux côtés, ont été détruites suite au jugement. Ce qui semble sans importance s’avère avoir d'énormes implications.


Pour illustrer ce point en termes relativement modernes, nous pourrions penser à Gavrilo Princip, un inconnu de 19 ans, mais un terroriste, qui en 1914, a tué l'Archiduc Ferdinand d'Autriche. Ce qui a déclenché la Première Guerre Mondiale, des millions de morts et la chute d'au moins trois empires majeurs: Russe, Austro-Hongrois et Allemand.


Paris lui-même était le fils de Priam, roi de Troie. Il était particulièrement beau, bien qu'avant sa naissance, une prophétie avait annoncé que sa vie mènerait à la destruction de Troie.


Lors du mariage de Pélée, un être humain, avec la déesse Thétis, toutes les divinités avaient été invitées, à l'exception d’Éris. Elle était la déesse du conflit, et il aurait été trop fâcheux de l'inviter à un aussi beau mariage. Éris prend sa revanche en lançant au milieu des noces, une pomme d'or sur laquelle étaient inscrits les mots " à la plus belle". Immédiatement, trois déesses majeures ont réclamé le prix comme étant le leur.


Ainsi débute la saga. Le premier point à noter est qu'aucun homme ne cherche à prétendre être "le plus beau". Les Grecs ont clairement compris qu'il s'agissait d'un domaine féminin ; si sur la pomme avait été écrit "pour le plus fort de tous", alors une lutte entre hommes s'en serait presque certainement suivi, et probablement sur le champ ! Ce que les femmes veulent (de manière caractéristique)--être "belle"--n'est pas ce que veulent ( de manière caractéristique) les hommes. Leurs psychologies comme leurs physiologies, sont différentes.


Trois déesses majeures du Mont Olympe réclament le prix comme étant le leur. (La pauvre Thétis, la mariée, le jour de son mariage, n'en fait pas partie.) Ces déesses sont Héra, reine du ciel et épouse de Zeus, qui en tant que roi des dieux est de loin le plus puissant ; Athéna, déesse de la sagesse et de la stratégie guerrière, ou dit plus succinctement, de la victoire et, de surcroît, fille favorite de Zeus; et finalement Aphrodite, déesse de l'amour et de la sexualité, et dont les origines sont complexes, étant d'une certaine manière, la propre tante de Zeus.


Même pour le roi des dieux, dans une telle situation, une décision serait impossible : son épouse contre sa fille, pour ne mettre en évidence qu'un seul conflit d’intérêt. Ainsi, Zeus décrète que le jeune et beau prince Paris, qui garde des troupeaux sur le Mont Ida, sera l'arbitre qui décidera quelle déesse est la plus belle et recevra la pomme d'or.

Trois déesses grecques dirigées par Zeus pour laisser Paris juger qui est la plus belle. Détail du "Jugement de Paris" aux alentours de 1480, par Master of the Argonaut Panels. Fogg Museum. (Domaine public).


Jeune, inexpérimenté et influençable
Le jeune et inexpérimenté Paris est soudain approché par les trois déesses et, sans surprise, est terrifié. Des peintures sur des vases anciens représentant la scène, montrent Paris tentant de fuir, poussé par la peur, à l'approche des déesses. Néanmoins, il lui est demandé de juger, et une chose très humaine se produit: Chacune des trois déesses tente de l'influencer, en lui faisant une offre qu'il ne peut refuser.


Héra lui offre le pouvoir impérial : son sceptre s'étendra aussi sur l'Asie et l'Europe—pour être donc un grand empereur. Athéna lui offre la victoire dans la bataille : Il mènera une armée troyenne qui vaincra la Grèce, un inverse d'Alexandre le Grand, pour ainsi dire. Et Aphrodite ? Elle lui offre la plus belle femme au monde comme épouse et compagne. Pouvoir politique, succès militaire ou grande romance.


Un aspect des Grecs et de leurs philosophies, bien sûr, était que la maxime du dieu Apollon était écrite en grand comme une sagesse proverbiale, à savoir "la modération en toutes choses", ou pas trop de quoi que ce soit. L’excès dans n'importe lequel de nos choix peut entraîner des conséquences pouvant potentiellement nous détruire. J'aime à penser que le choix de Paris, ici, est analogue à ceux auxquels était confronté le philosophe grec Platon.


Platon et ses successeurs se querellaient sur ce que nous appelons trois réalités transcendantales, à savoir, la bonté, la vérité et la beauté. D'une certaine façon, le choix que Paris doit faire se situe entre ces trois : la bonté (Héra, en tant que déesse du ciel), la vérité (Athéna, en tant que déesse de la sagesse) et la beauté (Aphrodite, en tant que déesse de l'amour, de la sexualité et de la séduction). Et souvent, ce sont ces trois critères (transcendantaux, si vous voulez) qui déterminent nos choix. En effet, le meilleur exemple et la catastrophe la plus grave au cours de laquelle ces trois critères entrent en jeu, se situe au début de notre temps.


Les excès de Ève
Dans le verset 6 du chapitre 3 du livre de la Genèse, nous trouvons la tentation d’Ève formulée en ces termes : La femme vit que l'arbre était bon à manger (bonté) agréable à la vue (beau), et qu'il était précieux pour ouvrir l'intelligence [vérité] ; elle prit de son fruit, et en mangea ; elle en donna aussi à son mari auprès d'elle, et il en mangea."

"Adam et Ève", 1504, par Albrecht Dürer (1471-1528). Gravure, la Collection Frick; Henry Clay Frick Bequest. (Milene Fernandez/The Epoch Times)


Ici, bien entendu, il n'y a aucune modération du tout. Ève et par la suite, Adam sont entièrement séduits par un désir accablant de posséder les trois propriétés, plutôt que se restreindre ou limiter leurs appétits. Mais le point à noter sont les conséquences inattendues des mauvais choix.


Ainsi, pour en revenir au point véritablement important concernant la décision de Paris, nous devons garder à l'esprit que, comme Jung l'a fait observer, les dieux et les déesses que nous ignorons sont des entités spirituelles qui n'ont pas été intégrées dans nos personnalités. Ainsi, nous ne sommes pas "entiers" ou en bonne santé, et ces failles se manifesteront d’ elles-mêmes via des moyens que nous ne pouvons prévoir.


Prenons le mariage de Pélée. Si nous considérons cette congrégation comme une "personne" et tous les dieux, déesses, humains et autres invités comme des types de sous-personnalité, alors nous voyons qu'ils étaient tous là. Tous--exceptée une.


Les dieux de notre psychologie humaine n'ont pas accepté la présence d'Eris, la déesse du conflit Et quelle a été la conséquence de ne pas l'intégrer dans le "parti", pour ainsi dire ? Des querelles d'une intensité inimaginable éclatent dans tout le monde grec connu. La destruction de presque tout ce qui a de la valeur se produit, et les plus grands héros meurent alors qu'ils sont encore dans la fleur de leur jeunesse.


Ce qui se produit sur la scène du monde reflète alors ce qui s'est produit longtemps auparavant lors d'une simple réception de mariage : les déesses importantes et puissantes sont maintenant en guerre les unes contre les autres et prendront parti dans le conflit à venir, en fonction du choix de Paris.


Encore une fois Jung : "Une névrose est un dieu offensé." En ces temps difficiles, qui offensons-nous ? Quel dieu ou déesse n'a pas reçu son dû dans notre psychée ? Et qui a été réprimé et se vengera dans les jours, les semaines, les mois et les années à venir ? Ce que nous avons nié en nous reviendra sous la forme d'un destin extérieur, et il est impossible d'y échapper, pensait Jung.


Aimer Aphrodite, Ignorer Éris
Aujourd'hui, alors que nous voyons des conflits partout, cette histoire est pertinente. Et comme à l'époque de Paris, nous voyons le même choix pour la société occidentale : Nous choisissons Aphrodite et ignorons les autres dieux et déesses importantes. Robert Johnson dans son "Nous : Comprendre la psychologie de l'amour romantique" remarque que "l'amour romantique est le plus grand système énergétique dans la psyché occidentale. Dans notre culture, il a supplanté la religion comme arène dans laquelle les hommes et les femmes recherchent le sens, la transcendance, l'intégralité et l'extase."


Cela semble profondément vrai de nos jours. Notons aussi la suppression d’Éris, ou le conflit, ce qui, bien sûr, produit davantage de conflits. Dans nos efforts profanes, nous tentons de créer une fraternité où tout le monde est égal, et nous chantons avec John Lennon pour "Imaginer" un monde sans conflit. (Ironiquement, bien entendu, il a été tué).


Quelqu'un a-t-il remarqué la recrudescence, ces dernières années, des mèmes sur Facebook, Twitter et autres sur le thème "Soyez gentil" et l'idée qu'il ne faut pas contredire un autre être humain de peur que celui-ci ne subisse un choc ou un traumatisme irréversible ? Quel choc ! Nous voulons, nous insistons, nous devons avoir de la diversité, car tout le monde doit être inclus sans qu'il y ait conflit, sauf la diversité d'opinions. Nous ne pouvons pas avoir cela.


Ainsi, notre obsession d'Aphrodite et notre exclusion d'Eris nous montrent que nous aussi, nous nous dirigeons là où Paris s'est arrêté, vers un lieu de destruction individuelle et collective. C'est ce que nous dit le choix de Paris.


Par une immense ironie, les survivants de l'holocauste causé par la décision de Paris s’avèrent être Menelas, le roi cocu et plutôt indéfinissable et mari d'Hélène, la plus belle femme du monde ; et Hélène elle-même, dont on peut dire que si elle était peut-être belle, elle n'était guère intéressante, sage ou bonne - et donc également indéfinissable.


Ménélas veut la tuer pour sa trahison, la voit dans les ruines de Troie, puis tombe amoureux (ou est-ce de la luxure ?) à nouveau et pardonne son infidélité ! Après tout, pourquoi pas ? Était-elle responsable ? Bien sûr que non. Ce sont les dieux qui l'ont fait, et qui les conteste ?


Et, bien sûr, une fois que nous ne sommes plus responsables - les dieux l'ont fait ! - nous sommes à nouveau transportés dans notre monde moderne, où peu de gens semblent capables d'assumer la responsabilité de leurs actes, et nous nous délectons d'une culture de victime où d'autres ont causé tous nos problèmes et nous exigeons une compensation.


Pour éviter ce sort, il me semble que nous devons revenir à ces choix fondamentaux que nous faisons, et en assumer la responsabilité. La responsabilité consciente demande : Quels dieux excluons-nous des profondeurs de notre propre être ?


La citation de la Bible est tirée de https://saintebible.com/genesis/3-6.htm

James Sale est un homme d'affaires anglais dont la société, Motivational Maps Ltd, est présente dans 14 pays. Il est l'auteur de plus de 40 livres sur la gestion et l'éducation, publiés par de grands éditeurs internationaux, dont Macmillan, Pearson et Routledge. En tant que poète, il a remporté le premier prix du concours 2017 de la Society of Classical Poets et est intervenu en juin 2019 lors du premier symposium du groupe qui s'est tenu au Princeton Club de New York.


Version anglaise disponible à:
https://www.theepochtimes.com/the-judgment-of-paris-who-are-we-ignoring_3261355.html

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