Orphée et Eurydice: Le mythe qui explique les mythes

Le voyage d’un homme pour retrouver son âme
 
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“ Orphée descendu aux Enfers pour demander Eurydice”, 1763, par Jean Restout. (Louvre)

Le voyage de l’âme. Ah ! Notre âme. C’est une histoire qui nous fascine depuis le début. Nous avons de nombreux mythes et légendes qui dépeignent le voyage d’un héros dans le monde souterrain où l’âme réside. Aujourd’hui, bien sûr, le mot " âme " (soul) est démodé, excepté peut-être quand nous l’utilisons de manière descriptive pour désigner quelque chose appelée "musique soul ". Mais même ici, nous avons une idée de sa véritable signification: la musique soul est une musique authentique, une musique venant des tréfonds de l’être humain, une musique qui nous émeut parce qu’elle n’a pas la fausseté de l’intellect mais vibre à un niveau primaire, émotionnel de notre être. En effet, le mot que nous utilisons aujourd’hui pour l’âme est le " soi ", notre véritable "soi ". Donc le voyage pour trouver notre âme est le chemin pour nous retrouver nous-mêmes. L'une des plus grandes de toutes ces histoires est celle d'Orphée.


 
La musique d’Orphée était si belle qu’elle pouvait envoûter les nymphes. " Nymphes écoutant les chants d’Orphée ", 1853, par Charles Jalabert. (Domaine Public)


Orphée et son âme

Orphée (signifiant " obscurité " ou " sans père ", donc un " orphelin ") est poète et chanteur, et fils du dieu Apollon, le dieu de la lumière, de la poésie et de la guérison. L’ épouse d’Orphée, Eurydice (signifiant "justice profonde "), laquelle il aime tendrement, est mordue par un serpent et meurt. Accablé de chagrin, Orphée, dont les mots et la musique peuvent émouvoir jusqu’aux rochers et aux pierres, décide de s’aventurer en enfer, où résident les morts, et implore Hadès, le dieu des morts, de la laisser retourner dans le monde des vivants.

 
Le jour des noces d’Orphée et d’Eurydice, la mariée est mordue par un serpent et meurt. " La mort d’Eurydice ", 1814, par Ary Scheffer. (Domaine public)


Mais il est nécessaire de relever ici deux choses : d’abord, qu’Eurydice meurt d’une morsure de serpent. Pourquoi un serpent ? Qu’est-ce qu’un serpent nous rappelle ? Oui, le jardin d’Éden, un autre mythe. Le serpent est le symbole de la connaissance ou sagesse—mais pas dans un sens positif, comme nous en sommes venus à le comprendre. Nous tuons pour disséquer et obtenir la connaissance, comme le disait Wordsworth, et l’Arbre de la Connaissance nous détruit ; il nous trompe en nous faisant croire que nous sommes des dieux alors que nous n’en sommes pas.


Deuxièmement, qui est Eurydice en réalité ? Son épouse ? Oui, en un sens, elle est pour lui la personne la plus belle et la plus charmante au monde. Mais non, à un niveau plus profond, Eurydice est l’âme d’Orphée; elle est l’anima de son identité masculine, sa véritable bien-aimée, la chose la plus précieuse dans les traditions spirituelles orientales et occidentales—la perle de grand prix.


Le voyage d’Orphée aux Enfers

Donc Orphée trouve l’entrée de l’enfer et commence la longue descente. Toutes les difficultés et terreurs qu’il rencontre, il les vainc et les charme avec sa poésie et ses chants. Deux choses remarquables surviennent en descendant: Premièrement, il descend plus loin et plus profondément aux Enfers qu’aucun autre héro Grec, y compris Héraclès (également connu comme Hercule). Le pouvoir de sa musique et de sa poésie est plus puissant que toutes les armes physiques et la force écrasante des héros traditionnels.


 
La musique d’Orphée était si magnifique qu’elle pouvait charmer les animaux. Ancienne mosaïque de sol romaine, à Palerme, aujourd’hui au Musée Archéologique Régional Antonio Salinas. (Domaine public)


Comme Ann Wroe ( journaliste et auteure) a une fois cité Francis Bacon : " Car comme les œuvres de la sagesse surpassent en dignité et en puissance les œuvres de la force, de même les travaux d’Orphée surpassent les travaux d’Hercule ". Et, lorsqu’Orphée joue, les tourments de l’enfer sont suspendus—même les damnés arrêtent ce qu’ils font absurdement et commencent à revenir à leur rationalité. Tel est le pouvoir de la beauté. Toute chose redevient vivante car la musique céleste de sa lyre les reconnecte à leur origine divine, et donc vivante.


Ici, l’enfer prend fin, si ce n'est …


Finalement, il parvient à la salle du trône de l’enfer même, et se tient devant Hadès, le roi, et Perséphone, la reine des lieux. Et ainsi un troisième remarquable phénomène se produit: Écoutant la musique d’Orphée, Hadès verse une larme (une larme d’un noir total comme le goudron) pour la toute première et unique fois dans la mythologie Grecque. La musique émeut même la Mort, et Hadès accepte en récompense de laisser Eurydice retourner à la vie.


Bien que les faits et la connaissance aient tué son âme, l’imagination d’Orphée, exprimée au travers de son chant et de sa musique, s’est envolée et lui a permis de faire un pacte avec la Mort en personne, et de pouvoir retourner , avec son âme restaurée. Nous voyons ici la limite même du pouvoir humain— un marché avec un dieu.


 
Devant le trône d’Hadès et de Perséphone, « Orphée quitte les Enfers avec Eurydice », de Jean Raoux. (The J. Paul Getty Museum)

Le mythe qui explique pourquoi les mythes sont importants

Mais Hadès a une condition : qu’Eurydice suive derrière Orphée et qu’il ne se retourne pas pour la voir avant d’atteindre la lumière.


Orphée accepte et entame le retour. Il a maintenant la promesse d’Eurydice. Mais pour convertir cela en une réalité vivante il faut premièrement, qu’Orphée croit en la parole du dieu : Est-elle réellement en train de suivre derrière, ou découvrira-t-il qu’il a été dupé en atteignant de nouveau le monde de surface ? Et deuxièmement, qu’il ne se retourne pas pour voir l’âme directement dans le monde irréel de l’enfer. Je dis " irréel " parce que c’est ainsi que la mort nous semble, et l’enfer aussi. Mais d’une autre façon, l’enfer est plus réel que le monde dans lequel nous vivons maintenant.


Le monde dans lequel nous vivons maintenant change et meurt; nous ne sommes que de l’herbe qui prolifère puis disparaît. Mais l’intérêt du monde souterrain est sa nature éternelle. Là nous sommes ce que nous sommes devenus, pour toujours. Qu’est-ce qui pourrait être plus réel que cela ? Effectivement, comme le dit le personnage de Dante, Capocchio, le faussaire, dans l’Enfer : " J’ai bien fait/ Dans la vie. Mais toute chose est réelle en enfer. "


Et c’est pourquoi le mythe d’Orphée est le mythe des mythes, car la condition du retour de l’âme est que nous ne regardions pas en arrière. Le " ne pas regarder en arrière " nous rappelle volontiers l’histoire de la femme de Lot, qui en regardant en arrière s’est transformée en statue de sel. Mais dans cette histoire, le péché de regarder en arrière semble avoir principalement à faire avec l’ingratitude de la femme envers la délivrance que Dieu avait octroyée. D'une certaine manière, nous sentons que le regard en arrière pour elle était lourd d’une passion pour l'ancienne vie et exempt de toute gratitude pour leur fuite, ou pour la nouvelle vie à venir.


 
L’histoire de regarder en arrière tout en échappant à la mort, apparaît également dans la Bible. "L’incendie de Sodome " (anciennement " La destruction de Sodome") par Jean-Baptiste Camille Corot. (The Metropolitan Museum of Art)


Avec Orphée, cependant, alors qu'il est sur le point de faire surface et d'entrer dans la lumière, il se retourne et regarde en arrière. Mais ici, je pense, ce n’est pas tant le " regarder en arrière " qui fait problème, mais ce que le regard en arrière implique: à savoir, regarder directement Eurydice—vraiment, l’acte de voir. Et de rechercher la personne comme étant un objet à voir (et donc l’objectifier) c’est la convertir en un objet, en un fait, en un élément de connaissance : justement ce qui a tué Eurydice, via le serpent, en premier lieu !


En clair, " objectifier " est l’opposé de la loi de l’amour. Quand nous voyons une autre personne comme un sujet semblable à nous-mêmes—ce qui veut dire, avec une volonté et un cœur comme les nôtres—alors nous ne la manipulons pas ou ne la dégradons pas en prétendant que sa réalité est simplement un avant-poste ou une extension de la nôtre. Il s’agit clairement d’un échec qui ironiquement va à l’encontre du but même de sa mission: Il est descendu aux Enfers par amour pour Eurydice, et pourtant son amour s’est montré déficient dans le processus. L’amour de quoi ? L’amour de son âme.


Quand l’imagination (le poète/le chanteur en nous tous) voit quelque chose, elle ne le fait pas directement, ce qui serait simplement la détailler. Non, l’imagination voit—saisit comme en une vision—le monde invisible où toute " chose " prend vie. Si cela semble étrange, alors considérons comment nous expérimentons cela constamment, en particulier dans nos rêves où tout et n’importe quoi prend vie, parfois délicieusement, mais parfois effroyablement, aussi.

 
Orphée sauve son amour Eurydice de l’Enfer, mais la perd une seconde fois. " Orphée et Eurydice " par Gaetano Gandolfi. (Domaine public)


Ainsi, nous ne pouvons pas regarder notre âme directement. Regarder notre âme serait comme demander à nos yeux de regarder nos yeux. Cette prouesse est impossible, excepté en utilisant un miroir ou un bouclier afin de recevoir des reflets de ce qu’est la réalité. Nous ne pouvons regarder nôtre âme qu’indirectement. Et c’est exactement ce que font les mythes. Ils nous racontent indirectement les vérités les plus importantes de l’univers, mais parce qu’ils le font de façon si indirecte, nous en manquons la plupart du temps le sens et échouons à en saisir la portée. Donc, cela devient simplement une histoire, d’un intérêt plus ou moins grand.


Le message spirituel : Revenir d’entre les morts

 
"Jeune femme Thrace portant la tête d’Orphée sur sa lyre", 1865, par Gustave Moreau. (Domaine public)


Les femmes thraces, représentant l'hédonisme, tuent Orphée.Pourquoi ? Parce qu'elles ne peuvent accepter dans leurs festivités avinées qu'un être humain puisse pleurer pour l'amour de son âme - et le préfèrent perpétuellement face à l'hédonisme superficiel des Thraces.


Ce mythe, alors, révèle une vérité profonde: L’humanité est à la recherche de son âme qui a été perdue il y a longtemps dans une quelconque catastrophe ancestrale. De manière intéressante, en retournant à la surface sans Eurydice—au superficiel—sans son âme, ce n’a été qu’une question de temps avant qu’Orphée ne soit tué, mis en pièce et démembré par des femmes Thraces. Pourquoi? Parce qu'elles ne peuvent accepter dans leurs festivités avinées qu'un être humain puisse pleurer pour l'amour de son âme - et le préfèrent perpétuellement face à l'hédonisme superficiel des Thraces.


Cette dernière partie du mythe est révélatrice de la relation actuelle entre les matérialistes et ceux qui ont une orientation spirituelle. Les matérialistes détestent la religion et la spiritualité non pas, comme ils le prétendent, à cause des abus historiques commis au nom de la religion, mais parce que toutes les compréhensions spirituelles rejettent l’ego de l’humanité du centre de l’univers, et ceci—dans le jargon de notre époque qui remplace le " bien et le mal "—est " inacceptable ".


Mais quoi qu’il en soit, sans l’âme, le corps meurt, car l’âme est la partie immortelle. Chacun d’entre nous, par conséquent, doit relever le défi—de trouver notre âme et de vivre non en naissant, mais en revenant d’abord d’entre les morts.


Le mythe d'Orphée semble mal finir, mais en fait on y sent un destin, une noblesse, une grandeur, une vérité. Car quel est le chant que nous devons chanter pour faciliter la descente ? C'est ce que nous recherchons. Jusqu'à ce que nous le trouvions, le mythe d'Orphée suggère que nous pouvons vivre, mais à peine.


Dans cette série, Myths : Mapping Our Way Home, James Sale revient sur les raisons pour lesquelles les mythes - presque tous ignorés aujourd'hui - demeurent cruciaux pour comprendre notre place dans l'univers, sinon pour notre survie même.

James Sale est un homme d'affaires anglais et le créateur de Motivational Maps, qui opère dans 14 pays. Il est l'auteur de plus de 40 livres de grands éditeurs internationaux, dont Macmillan, Pearson et Routledge, sur la gestion, l'éducation et la poésie. En tant que poète, il a remporté le premier prix du concours 2017 de la Société des poètes classiques.


Version originale

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