Genève, Suisse : Discours prononcé par le juge argentin Octavio Aráoz de Lamadrid lors d’un forum sur les droits de l’homme en Chine, aux Nations Unies, 1ère partie

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Voici la première d’une série de trois parties présentant le texte intégral du discours prononcé par le juge argentin Octavio Aráoz de Lamadrid, lors d’un forum des Nations Unies sur les droits de l’homme en Chine. Le discours a été présenté à Genève, Suisse, en mars 2010.


Contexte

Le 12 décembre 2005, lors de la visite en Argentine de Luo Gan, ancien secrétaire des affaires légales et politiques du comité central du Parti communiste de la République populaire de Chine, coordinateur du bureau pour le contrôle du Falun Gong (Bureau 6/10), l’Association de Falun Dafa d'Argentine a engagé une action en justice contre Luo Gan pour torture et génocide de pratiquants de Falun Gong en Chine. L'affaire a été acceptée par le juge du tribunal fédéral pénal N° 9, le Dr Octavio Aráoz de Lamadrid.


Après plus de 4 ans d’enquête, dont un voyage à New York pour interroger des victimes réfugiées, et avoir écouté les témoignages de différentes victimes venues pour témoigner en Argentine, le juge en est arrivé à la conclusion que, depuis l’année 1999, à la demande du président de la république populaire de Chine d’alors, JIANG ZEMIN, un plan totalement organisé et systématiquement développé avait été mis en œuvre pour persécuter Falun Gong et ses pratiquants. Le but était de forcer les pratiquants à abandonner leur croyance spirituelle via la torture et le meurtre, éradiquant ainsi Falun Gong.


Le 17 décembre 2009, le juge Araóz de Lamadrid a établi qu’il y avait suffisamment de preuves pour qu’il puisse les déclarer suspects de crimes décrits comme étant des crimes contre l’humanité, dans le cas de la persécution des pratiquants de Falun Gong en Chine.


Il a jugé qu’ils devraient être amenés à faire des déclarations au cours d’interrogatoires préliminaires. Du fait de la gravité des crimes impliqués, il a émis un ordre d’arrestation pour amener ces deux personnes en Argentine afin d'y être interrogées. L’ordre d’arrestation devait être mis à exécution par le département d’Interpol de la police fédérale argentine. Après avoir été ramenés en Argentine, ils auraient été placés en incarcération solitaire. Le juge, basait sa décision sur le principe de juridiction universelle.


Dès le début du procès, le gouvernement chinois a forcé le gouvernement argentin à bloquer l’affaire. Le 21 décembre 2009, le juge a démissionné en raison de la pression politique interne venant du gouvernement argentin. Il a affirmé dans un entretien qu’il préférait démissionner plutôt que de renoncer et faire certaines choses qu'il aurait regrettées plus tard.


En mars 2010, le juge de Lamadrid a assisté à la 13eme session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies pour porter le cas devant la communauté internationale. Le 17 mars, il a prononcé un discours lors du forum des droits de l’homme en Chine, organisé par l’Association des Nations Unies de San Diego.


Dans sa présentation, le Dr Aráoz de Lamadrid a expliqué le droit universel à l’accès à la justice, déclarant que : ‘’Toute victime d’un crime décrit comme étant CONTRE L HUMANITE a le droit de présenter son appel à la justice devant les tribunaux de n’importe quel pays (sous les conditions indiquées) et demander une enquête et probablement une sanction contre les auteurs de ces crimes.’’


Il a aussi insisté que ‘’…la reconnaissance urgente, la promotion et la protection de tous les droits de l’homme impose aux états, la nécessité d’un maximum d’efforts dans toutes les domaines pour réaliser cet objectif et empêcher que les intérêts politiques et économiques soient prioritaires.


Il a souligné que le développement des relations économiques avec la Chine ‘’doit être accompagné par un dialogue politique efficace, et demande que le respect des droits de l’homme soit partie intégrante du nouveau cadre de travail sur l’accord qui est actuellement négocié avec la Chine.


Voici la première partie du discours du juge Octavio Aráoz de Lamadrid :

CONFÉRENCE DU Dr Octavio Aráoz de Lamadrid (Argentine)

CONSEIL DES DROITS DE L HOMME DES NATIONS UNIES

(Articles, 8,10 et en accord avec la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée et proclamée par la résolution 217 A-III- de l’Assemblée générale des Nations Unies, le 10 décembre 1948).


Présentation par le Dr Octavio Araoz de Lamadrid (Argentine)

Lors de la 13eme session du conseil des droits de l’homme, Genève, Suisse (du 1er au 26 mars 2010)

Tout d’abord, je souhaiterais clarifier le fait que ces propos ne sont PAS, quelle que soient les circonstances, une déclaration en faveur d’un groupe religieux, mais plutôt une étude technique sur un problème actuel, plus quelques informations issues de mes expériences personnelles.


Ce n’est non plus, ni un argument politique ni une critique ayant un contenu idéologique. Bien que mes évaluations proviennent d’un cas réel avec deux nations protagonistes, elles peuvent être appliquées à n’importe quel pays dans le monde. Les droits de l’homme sont pour tous, où que ce soit dans le monde.

II) II) Présentation personnelle

Je m’appelle Octavio Aráoz de Lamadrid. Je suis né en Argentine, il y a 40 ans. J’ai été avocat en droit criminel pendant plus de 15 ans. J’ai effectué mes études de premier cycle à l’université catholique d’Argentine et mes études supérieures dans le même institut. Je me suis spécialisé dans la loi criminelle à l’université australe d’Argentine et passé une maitrise en droit criminel et science criminelle dans les universités de Barcelone et de Pompeu Fabra en Espagne.


Le 5 septembre 2005, j’ai été élu par le conseil judiciaire de la nation pour devenir juge fédéral responsable de l’un des 12 tribunaux fédéraux ayant juridiction dans la capitale de la république (siège du gouvernement), poste que j’ai occupé jusqu’à ma démission, le 29 décembre de l’année dernière (2009)


En tant que juge fédéral, j’ai eu l’opportunité d’intervenir dans différents processus où la reconnaissance des droits fondamentaux, en particulier, le droit à l’identification (suppression ou remplacement de l’identité et appropriation des nouveau-nés) était en jeu, mais tous sont des évènements qui remontent à de nombreuses années, lors de la dictature militaire qui a dirigé le pays entre 1976 et 1983.


Ce phénomène de mener des procès pour des situations qui se sont produites en moyenne 30 ans plus tôt, est le résultat de l’évolution de la doctrine légale de la Cour suprême d’Argentine. Ceci s’est produit fin 1995, lorsqu’un crime a été qualifié de crime de génocide’’….le fait qu’ils aient assassiné soixante-quinze juifs qui n’étaient pas prisonniers de guerre, non acquittés, accusés ou mis à disposition d’un tribunal militaire allemand ou de la police allemande, parmi un groupe de trois cent trente-cinq tués…’’ à cause du massacre qui s’est produit le 24 mars 1944, lors de la Seconde Guerre Mondiale dans les grottes Ardéatines à la périphérie de Rome, Italie. Et comme le génocide était reconnu comme un crime contre l’humanité, il ne peut donc jamais perdre sa validité, comme il est établi dans les principes de la loi du peuple (jus cogens) de la loi internationale, rendant ainsi possible l’extradition du criminel de guerre Nazi et capitaine SS, Erich Priebke, pour être jugé en Italie (il a été inculpé). (CSJN échec du 02.11.1995 sur le dossier "demande d’extradition de Priebke, Erich ", No. 16.063/94)


Cette décision, ainsi que d’autres dans le passé, consacrée à inapplicabilié de toutes les normes des lois internes qui empêchent ou entravent les procès pour violations des droits de l’homme (par exemple, les règles d’amnistie et les dates d’expiration), ont permis l’enquête, la poursuite et la condamnation, comme je l’ai dit auparavant, de nombreux auteurs de tels types de crimes pour des événements qui se sont produits 30 ans plus tôt.


Néanmoins, l’opportunité pour un tribunal, au moins dans mon pays, d’intervenir dans les événements actuels, évènements qui se produisent actuellement, est soit habituelle ou commune. Je me réfère, bien sûr, aux tribunaux intérieurs ou locaux, non aux tribunaux internationaux.


En fait, il est inhabituel que le pouvoir judiciaire, étant un pouvoir essentiellement ‘’historique’’ parce qu’il résout ou agit en relation avec les événements qui se sont déjà produits, intervienne dans des évènements actuels traitant de violations des droits de l’homme récemment survenues et tente aussi d’empêcher de que telles violations continuent dans le futur.


Dans mon cas particulier, le 13 décembre 2005, j’ai reçu au tribunal fédéral que je présidais, une plainte officielle, présentée par Mme Liwei Fu d’origine chinoise, qui réside en Argentine et présidente de l’Association locale de FALUN DAFA, contre M. LUO GAN, ancien secrétaire des affaires politiques et légales du comité central du Parti communiste de la république populaire de Chine, coordinateur du bureau pour le contrôle du Falun Gong (Bureau 6/10), une agence créée par le président de l’époque, JIANG ZEMIN, dans le but spécifique de contrôler et éradiquer la pratique de Falun Gong.


La plaignante demandait la détention de M. LUO GAN, en accord avec l’article 6, 1er point de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres traitements ou punitions cruels, inhumains ou dégradants (Résolution 39/46 datée du 10 décembre 1984)


La plaignante a expliqué de manière explicite les caractéristiques et les principes spirituels et religieux de la pratique de FALUN GONG ou FALUN DAFA, ainsi que la popularité croissante de cette pratique depuis 1992 et le nombre important de pratiquants (estimé à 100 millions de personnes). Étaient aussi décrits en détail et documentés la variété des actes de persécution, arrestations sans mandats, tortures, privations illégales de liberté, déménagements forcés et encouragement à la haine envers la pratique de cette discipline religieuse parmi la population chinoise.


Il y avait aussi les descriptions des divers effets résultant d’une persécution systématique comme les menaces, l’expropriation et l’emprisonnement illégal forcé (sans aucune protection légale) dans les camps de travail sous un système de forçat, dans les hôpitaux psychiatriques et les prisons, et l’exécution de tortures physiques (ingestion d’acides, brûlures de toutes sortes, arrachages des ongles, chocs électriques, viol répété ou en groupe, avortement forcé, etc..) et la torture psychologique (par exemple, par des techniques de ‘’lavage de cerveau’’, soumettre les victimes pendant de nombreuses heures quotidiennes, à des vidéos de ‘’rééducation’’ ou les priver de sommeil pendant des jours), disparitions, crémation, etc…


Les faits rapportés (suffisants pour initier l’action en justice) incluaient des rapports d’Amnesty International, de la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies de 2001, et le Rapport annuel sur la liberté religieuse internationale du département d’état des Etats-Unis, également de 2001. (les quels confirmaient le décès de plus de 200 pratiquants suite aux tortures infligées lors de leur arrestation et détention).


Finalement, il a été établi que ‘’….selon les données utilisées par la Coalition d’Investigation sur la persécution du Falun Gong, fondée le 20 janvier 2003, aux États-Unis, et aussi utilisées officieusement par le gouvernement chinois lui-même, le taux de décès suite à la terrifiante torture pouvait atteindre prés de 50 000 personnes…’’


Quant aux lois applicables décrivant les faits comme des crimes de génocide et de torture, la plaignante a présenté une analyse des législations internationales comme la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’Assemblée générale des Nations Unies le 11 décembre 1946, la Convention pour la prévention et la punition du génocide du 9 décembre 1948, la Convention contre la torture et autres traitements ou punitions cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, ainsi que la loi chinoise.


Considérant le fait que la Chine ne poursuivrait pas ces responsables pour violations des droits légaux reconnus par les législations internationales, la plaignante a considéré la possibilité d’engager une action via le Tribunal pénal international, cependant, en vertu du principe de rétroactivité, les crimes tombent hors de la portée du tribunal pénal international, parce qu’ils se sont produits avant juillet 2002 et ainsi, la Chine n’a pas accepté sa juridiction. Une autre considération était la possibilité de présenter la plainte devant le conseil de sécurité des Nations Unies, mais ceci ne pourrait mener à aucun résultat à cause du pouvoir de véto de la république populaire de Chine dans cette organisation.


Finalement, la plaignante a conclu ‘’…que si la juridiction universelle n’est pas admise, nous ferions face à ce que la communauté internationale cherche à éviter et a évité en tout temps, c’est-à-dire l’impunité.’’


Il est bon de rappeler ici, qu’alors que la république populaire de Chine était l’un des états membres participant aux délibérations et même à la rédaction finale du statut de la Cour pénale internationale, elle n’en a jamais approuvé ni ratifié le contenu. C’est pourquoi sous les termes du traité, la Chine se trouve hors de la juridiction de cette organisation.

III) L’approche du sujet/ L’hypothèse de départ :

De plus, à cause de la bureaucratie de la procédure au sein de la loi fédérale interne, l’arrestation de M. LUO GAN ne pouvait être réalisée sur le territoire d’Argentine.

Le cas a soulevé un certain nombre de questions de grandes importance et signification, à la fois pour les lois nationales et internationales, c’est-à-dire :

1. Est-il possible de poursuivre des personnes qui jouissent de l’immunité diplomatique ou de l’immunité de la juridiction pour les crimes contre l’humanité ?

2. Est-il possible et valide d’utiliser le droit universel à l’accès à la justice pour initier en Argentine (ou dans n’importe quel pays), une enquête pour des actes commis par un appareil d’état souverain (dans ce cas, la Chine), à l’intérieur de son propre territoire ?

3. Comment est-il possible d’enquêter sur des délits commis dans un autre pays lorsqu’il n’existe aucune possibilité de demander des informations à ce même pays ?

4. Quelle est l’efficacité de ce processus ?


La réponse générique à ces questions est inclue dans l’article 3 du Programme de cette 13eme session du conseil des droits de l’homme, qui nous a amenés ici, aujourd’hui: la reconnaissance urgente, la promotion et la protection de tous les droits humains, impose aux états la nécessité d’efforts maximum dans tous les domaines afin de réaliser cet objectif et d’empêcher les intérêts politiques et économiques d’être une priorité. Sans quoi, les droits et les garanties reconnus universellement par tous les êtres humains sont simplement transformés en de simples déclarations, vides de contenu et d’efficacité : SS le pape Jean XXIII a déclaré : ‘’….en traitant ce sujet, lorsqu’il est question de la dignité humaine en général et en particulier de la vie d’une personne, que rien ne peut surpasser, il doit être mis à la première place…’’ (Lettre encyclique ‘’Mater et Magistra, 15 mai 1961)

IV) Liberté de croyance

Sans négliger la déclaration générique ci-dessus, et le fait qu’elle soit particulièrement présente en réalité, j’ai tenté d’apporter une réponse concrète à chacune des questions soulevées.


Mais il est d’abord nécessaire de clarifier que pour mettre en œuvre l’enquête, je me suis mis en retrait, isolé et j’ai complètement ignoré toute considération concernant le ‘’contenu’’ de FALUN GONG.


J’ai volontairement omis toute référence à la croyance, la pratique ou la philosophie du mouvement. Et ceci est la façon dont chaque juge devrait agir, qui doit intervenir dans un processus de ce type. Dans le but d’évaluer si la persécution est juste ou non, je ne dois pas évaluer ni exprimer le fait que je partage ou non les postulats de FALUN GONG, ou s’ils me semblent être meilleurs ou pires que les autres.


Chacun a le droit de choisir et de pratiquer librement sa religion et de ne souffrir d’aucune interférence de la part de l’état.


Ce postulat fondamental à l’esprit, et ayant suffisamment déterminé que la pratique de FALUN GONG ne montre aucun élément d’une quelconque activité violente ou de conflit avec les règles les plus élémentaires de coexistence ni n’est contraire à la dignité de l’être humain, l’enquête judiciaire devait être dirigée sur les témoignages de la persécution et les crimes rapportés et, comme établi auparavant, sans aucune référence ou évaluation de la pratique religieuse.


La nature pacifique de FALUN GONG, qui mérite d’être mentionnée, est aisée à établir lorsque, d’abord, on entre en contact ou observe leurs pratiques habituelles, et ensuite, lorsque l’on devient conscient que le gouvernement de la république populaire de Chine base sa décision d’interdire et de persécuter les pratiquants de cette discipline, sur une simple affirmation abstraite et sans la moindre explication qu’elle ait à voir avec un ‘’culte hérétique’’ (c’est-à-dire, ‘’sacrilège’’, qui commet une erreur dans le domaine de la ‘’foi’’). De ce point de vue, il est hautement éclairant de lire l’Article 1 de la constitution chinoise (04/12/1982) qui établit que ‘’La république populaire de Chine est un état socialiste sous la dictature démocratique du peuple…Le système socialiste est le système basique de la république…’’ D’après cela, on peut déduire que la ‘’religion’’ de l’état, comme définie dans le préambule de ce document est ‘’l’idéologie socialiste de Marx et de Lénine’’ et donc, en relation avec ce point, FALUN GONG est considéré comme une hérésie.


Ceci est absolument inacceptable comme justification d’une politique d’état


Raison pour laquelle, comme je l’ai dit, j’ai mis de coté toute considération au sujet de FALUN GONG en soi et me suis concentré sur le fait de fournir des réponses aux questions susmentionnées.


... à suivre.

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